« Une des choses que Jésus aimait le plus, c’était d’être avec la foule », relève le pape François dans son homélie de ce jour, au cours de la messe matinale dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe. Mais, poursuit-il, « une des choses que les apôtres aimaient le moins, c’était la foule, parce qu’ils aimaient être proches du Seigneur ». Et le Seigneur « essayait de former le coeur des pasteurs » à « cette attitude pastorale qu’est la proximité à l’égard du peuple de Dieu », pour le servir.
Le pape François a commenté l’Évangile de ce vendredi 24 avril 2020, dans lequel saint Jean raconte l’épisode de la multiplication des pains. Jésus nourrit une grande foule avec cinq pains et deux poissons, alors que les apôtres voudraient renvoyer les gens et rester seuls avec le Seigneur. L’évangéliste montre l’attitude de Jésus à l’égard des apôtres, a expliqué le pape : « Il les mettait continuellement à l’épreuve pour les former ». Et en leur disant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », le Seigneur « les met à l’épreuve ».
« C’est vrai que le peuple de Dieu fatigue le pasteur, a reconnu le pape François, « parce que les gens vont toujours trouver le bon pasteur pour une raison ou pour une autre ». Mais aujourd’hui encore, c’est cela que Jésus dit à tous les pasteurs : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». « Ils sont angoissés ? Donnez-leur vous-mêmes la consolation ? Ils sont perdus ? Donnez-leur vous-même une issue. Ils se sont trompés ? Donnez-leur vous-mêmes une aide pour résoudre leurs problèmes… ».
La messe célébrée par le pape François à 7 heures du matin était retransmise en direct streaming par les médias du Vatican, comme c’est le cas tous les jours depuis le début du confinement.
Voici notre traduction de l’homélie du pape François.
HG
Homélie du pape François
La phrase de ce passage de l’Évangile nous fait réfléchir : « Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire » (Jn 6,6). C’est ce que Jésus avait en tête lorsqu’il dit à Philippe : « Où pourrions- nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? »(Jn 6,5). Mais il le disait pour le mettre à l’épreuve. Lui, il savait.
On voit ici l’attitude de Jésus avec ses apôtres. Il les mettait continuellement à l’épreuve pour les former et, quand ils étaient en dehors de la fonction qu’ils devaient assurer, il les arrêtait et les formait. L’Évangile est plein de ces gestes de Jésus pour faire grandir ses disciples et faire d’eux des pasteurs du peuple de Dieu, dans ce cas-ci, des évêques : pasteurs du peuple de Dieu. Et une des choses que Jésus aimait le plus, c’était d’être avec la foule parce que c’est aussi un symbole de l’universalité de la Rédemption. Et une des choses que les apôtres aimaient le moins, c’était la foule, parce qu’ils aimaient être proches du Seigneur, entendre le Seigneur, entendre tout ce que le Seigneur disait. Ce jour-là, il sont allés là-bas prendre une journée de repos… – c’est ce que disent les autres versions dans les Évangiles, parce qu’ils en parlent tous les quatre… peut-être y a-t-il eu deux multiplications des pains – ils rentraient de mission et le Seigneur a dit : « Allons nous reposer un peu » (cf. Mc 6,31) et ils sont partis là-bas. Les gens s’aperçurent qu’ils partaient en mer, ils ont suivi la rive et les ont attendus de l’autre côté… Et les disciples n’étaient pas contents parce que la foule avait gâché leur « lundi de Pâques » : ils ne pouvaient pas faire cette fête avec le Seigneur. En dépit de cela, Jésus a commencé à enseigner, ils écoutaient, puis ils parlaient entre eux… et les heures passaient, les heures, les heures, Jésus parlait et les gens étaient heureux. Et eux, ils disaient : « … On a gâché notre fête, on a gâché notre repos ».
Mais le Seigneur cherchait la proximité avec les gens et il essayait de former le coeur des pasteurs à la proximité avec le peuple de Dieu pour le servir. Et eux, cela se comprend, ils se sentaient élus, ils se sentaient un peu un cercle privilégié, une classe privilégiée, « une aristocratie », disons-le ainsi, proches du Seigneur et très souvent le Seigneur faisait des gestes pour les corriger. Par exemple, pensons avec les enfants. Eux, ils protégeaient le Seigneur : « Non, non, non, ne laissez pas approcher les enfants qui importunent, qui dérangent… Non, les enfants avec les parents ! ». Et Jésus ? « Laissez venir les petits enfants » (cf. Mc 10, 13-16). Et eux, ils ne comprenaient pas. Ils ont compris après. Je pense aussi à la route vers Jéricho, l’autre qui criait : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! » (Lc 18,38). Et eux : « Mais tais-toi, tais-toi, le Seigneur passe, ne le dérange pas ! ». Et Jésus dit : « Mais qui est-ce ? Faites-le venir ! » (cf. Lc 18, 35-43). Une autre fois, le Seigneur. Et ainsi, il leur enseignait la proximité avec le peuple de Dieu.
C’est vrai que le peuple de Dieu fatigue le pasteur, il fatigue : quand il y a un bon pasteur, les choses se multiplient parce que les gens vont toujours trouver le bon pasteur pour une raison ou pour une autre. Une fois, un grand curé d’un quartier simple, humble, de mon diocèse, avait un presbytère qui était comme une maison normale, comme les autres, et les gens frappaient à sa porte ou frappaient à la fenêtre, à n’importe quelle heure… et une fois, il m’a dit : « Mais j’aurais envie de murer ma porte et ma fenêtre pour qu’on me laisse me reposer ». Mais il se rendait compte qu’il était pasteur et qu’il devait être avec les gens !
Et Jésus forme, il enseigne à ses disciples, aux apôtres, cette attitude pastorale qu’est la proximité à l’égard du peuple de Dieu. Et le peuple de Dieu fatigue, parce qu’il nous demande toujours des choses concrètes ; il te demande toujours quelque chose de concret, peut-être pas juste, mais il te demande des choses concrètes. Et le pasteur doit s’occuper de ces choses. La version des autres évangélistes de cet épisode montre que les heures ont passé et que les gens devaient partir parce que la nuit tombait… et ils disent cela : « Mais renvoie ces gens pour qu’ils aillent s’acheter à manger », précisément au moment où il fait sombre, quand la nuit tombe… (cf. Lc 9, 12-13). Mais qu’avaient-ils en tête ?
Au moins de faire un peu de fête entre eux, cet égoïsme qui n’est pas mauvais, mais qui est compréhensible, d’être avec le pasteur, d’être avec Jésus qui est le grand pasteur, et Jésus répond, pour les mettre à l’épreuve : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (cf. v.13). Et c’est cela que Jésus dit aujourd’hui à tous les pasteurs : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». « Ils sont angoissés ? Donnez-leur vous-mêmes la consolation ? Ils sont perdus ? Donnez-leur vous-même une issue. Ils se sont trompés ? Donnez-leur vous-mêmes une aide pour résoudre leurs problèmes… Donnez-leur vous-mêmes, donnez-leur vous-mêmes… » Et le pauvre apôtre sent qu’il doit donner, donner, donner… Mais de qui reçoit-il ? Jésus nous l’enseigne : de Celui-là même de qui Jésus recevait.
Après cet événement, il renvoie les apôtres et va prier, de son Père, de la prière. Cette double proximité du pasteur, c’est celle que Jésus cherche à faire comprendre à ses apôtres pour qu’ils deviennent de grands pasteurs. Mais bien souvent, la foule se trompe et ici, elle s’est trompée, non ? « À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : “C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde.” Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira » (Jn 6, 14-15). Peut-être, peut-être mais… – l’Évangile ne le dit pas – que l’un des apôtres aurait dit : « Mais Seigneur, profitons-en pour prendre le pouvoir ! ». Une autre tentation. Et Jésus lui montre que ce n’est pas le bon chemin.
Le pouvoir du pasteur, c’est le service, il n’a pas d’autre pouvoir et quand il se trompe en prenant une autre pouvoir, sa vocation est gâchée et il devient, je ne sais pas, gestionnaire d’entreprises pastorales, mais pas pasteur. La structure ne fait pas la pastorale : c’est le cœur du pasteur qui fait la pastorale. Et le cœur du pasteur est ce que Jésus nous enseigne maintenant. Demandons aujourd’hui au Seigneur, pour les pasteurs de l’Église, de leur parler toujours, parce qu’il les aime tant : de nous parler toujours, de nous dire comment sont les choses, de nous expliquer et surtout de nous apprendre à ne pas avoir peur du peuple de Dieu, à ne pas avoir peur d’être proches.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat