Pour le pape François il y a « non seulement un œcuménisme fait de gestes, de paroles et d’engagement, mais une communion déjà effective, grandit chaque jour dans la relation vivante avec le Seigneur Jésus, s’enracine dans la foi professée et se fonde réellement sur notre baptême, sur le fait d’être des ‘‘créatures nouvelles’’ en lui ».
Après la Conférence interreligieuse pour la paix, le pape François s’est rendu, à 6 km de là, à l’hôtel Al-Masah pour rencontrer les autorités du pays – environ 800 personnes – et tenir un deuxième discours, après celui du président Al-Sissi. A 18h45 il est arrivé au patriarcat copte orthodoxe où l’attendait le pape Tawadros II : une rencontre privée a suivi la présentation des délégations. Après leurs deux discours, le patriarche et le pape ont signé une déclaration commune, annulant notamment l’obligation d’un second baptême pour un catholique devenant orthodoxe. Après une prière oecuménique, ils ont rendu hommage aux martyrs.
Le pape a notamment insisté sur cet œcuménisme du sang dans son allocution : « Sur ce chemin passionnant qui, – comme la vie- n’est pas toujours facile et linéaire, mais sur lequel le Seigneur nous exhorte à aller de l’avant, nous ne sommes pas seuls. Nous accompagne une foule immense de saints et de martyrs, qui déjà pleinement unis, nous poussent à être ici-bas une image vivante de la « Jérusalem céleste ». »
Il a aussi évoqué la longue tradition spirituelle de l’Egypte, du Sinaï à la sainte Famille, de saint Marc aux martyrs et aux moines.
Au dîner, à la nonciature, des enfants des écoles comboniennes ont accueilli le pape, qui a ensuite rencontré quelque 300 jeunes du Sud et du Nord de l’Egypte.
Voici le texte intégral de l’allocution du pape François.
AB
Discours du pape François
Le Seigneur est ressuscité, il est vraiment ressuscité! [Al Massih kam, bihakika kam!]
Sainteté, très cher Frère,
C’est depuis peu qu’a eu lieu la grande Solennité de Pâques, centre de la vie chrétienne, que nous avons eu la grâce de célébrer cette année le même jour. Nous avons ainsi proclamé à l’unisson l’annonce de la Résurrection, en revivant, en un certain sens, l’expérience des premiers disciples, qui ce jour-là, ensemble, « furent remplis de joie en voyant le Seigneur » (Jn 20, 20). Cette joie pascale est aujourd’hui enrichie par le don d’adorer ensemble le Ressuscité dans la prière et d’échanger de nouveau, en son nom, le saint baiser et l’accolade de la paix. J’en suis très reconnaissant : en arrivant ici comme pèlerin, j’étais certain de recevoir la bénédiction d’un Frère qui m’attendait. Grande était l’attente de nous retrouver : en effet, je garde bien vivant le souvenir de la visite de Votre Sainteté à Rome, peu après mon élection, le 10 mai 2013, une date qui est heureusement devenue l’occasion de célébrer chaque année la Journée d’amitié copte-catholique. Dans la joie de poursuivre fraternellement notre route œcuménique, je voudrais rappeler avant tout ce jalon dans les relations entre le siège de Pierre et celui de Marc qu’est la Déclaration commune signée par nos prédécesseurs il y a plus de quarante ans, le 10 mai 1973. Ce jour-là, après des « siècles d’histoire difficiles », au cours desquels « ont surgi des divergences théologiques qui ont été entretenues et aggravées par des facteurs de caractère non théologique » et par une méfiance toujours plus généralisée dans les relations, grâce à Dieu on est arrivé à reconnaître ensemble que le Christ est « Dieu parfait pour ce qui est de sa divinité, et homme parfait pour ce qui est de son humanité » (Déclaration commune signée par le Saint-Père Paul VI et par Sa Sainteté Amba Shenouda III, 10 mai 1973). Mais non moins importants et non moins actuels sont les mots qui précèdent immédiatement, par lesquels nous avons reconnu « notre Seigneur et Dieu et Sauveur et Roi de nous tous, Jésus Christ ». Par ces expressions, le siège de Marc et celui de Pierre ont proclamé la seigneurie de Jésus : ensemble, nous avons confessé que nous appartenons à Jésus et qu’il est notre tout.
De plus, nous avons compris qu’étant siens, nous ne pouvons plus penser aller chacun son chemin, car nous trahirions sa volonté : que les siens soient « tous […] un […] pour que le monde croie » (Jn 17, 21). Devant le Seigneur, qui nous veut « parfaitement un » (v. 23), il ne nous est plus possible de nous cacher derrière les prétextes des divergences d’interprétation ni non plus derrière des siècles d’histoire et de traditions qui nous ont rendus étrangers. Comme l’a dit ici Sa Sainteté Jean-Paul II : « Il n’y a pas de temps à perdre à ce sujet. Notre communion dans l’unique Seigneur Jésus Christ, dans l’unique Esprit Saint et dans l’unique Baptême constitue déjà une réalité profonde et fondamentale » (Discours lors de la rencontre œcuménique, 25 février 2000). Il y a, en ce sens, non seulement un œcuménisme fait de gestes, de paroles et d’engagement, mais une communion déjà effective, qui grandit chaque jour dans la relation vivante avec le Seigneur Jésus, qui s’enracine dans la foi professée et se fonde réellement sur notre baptême, sur le fait d’être des ‘‘créatures nouvelles’’ (cf. 2 Co 5, 17) en lui : en somme, « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4, 5). D’ici, nous repartons toujours, pour préparer le jour si désiré où nous serons en pleine et visible communion à l’autel du Seigneur.
Sur ce chemin passionnant qui, – comme la vie- n’est pas toujours facile et linéaire, mais sur lequel le Seigneur nous exhorte à aller de l’avant, nous ne sommes pas seuls. Nous accompagne une foule immense de saints et de martyrs, qui déjà pleinement unis, nous poussent à être ici-bas une image vivante de la « Jérusalem céleste » (Ga 4, 26). Parmi eux, se réjouissent certainement aujourd’hui de notre rencontre, à titre particulier, les saints Pierre et Marc. Le lien qui les unit est grand. Qu’il suffise de penser au fait que saint Marc a placé au cœur de son Évangile la profession de foi de Pierre : « Tu es le Christ ». Ce fut la réponse à la question, toujours actuelle, de Jésus : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mc 8, 29). Aujourd’hui également beaucoup de gens ne savent pas répondre à cette interrogation ; il manque même quelqu’un pour la susciter et surtout pour offrir en réponse la joie de connaître Jésus, cette même joie avec laquelle nous avons la grâce de le confesser ensemble.
Ensemble, nous sommes donc appelés à témoigner de lui, à porter au monde notre foi, avant tout de la manière propre à la foi : en la vivant, car la présence de Jésus se transmet avec la vie et parle le langage de l’amour gratuit et concret. Coptes orthodoxes et Catholiques, nous pouvons toujours plus parler ensemble cette langue commune de la charité : avant d’entreprendre une initiative pour le bien, il serait beau de nous demander si nous pouvons la faire avec nos frères et sœurs qui partagent la foi en Jésus. Ainsi, en édifiant la communion dans le concret quotidien du témoignage vécu, l’Esprit ne manquera pas d’ouvrir des voies providentielles et imprévues d’unité. C’est avec cet esprit apostolique constructif que Votre Sainteté continue de réserver une attention authentique et fraternelle à l’Église copte catholique : une proximité dont je suis très reconnaissant et qui a trouvé une admirable expression dans le Conseil National des Églises Chrétiennes, auquel elle a donné naissance pour que ceux qui croient en Jésus puissent œuvrer toujours davantage ensemble, au bénéfice de la société égyptienne tout entière. J’ai beaucoup apprécié également la généreuse hospitalité offerte à la 13ème rencontre de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales, qui s’est tenue ici l’année dernière à votre invitation. C’est un beau signe que la rencontre suivante se soit déroulée cette année à Rome, presque pour exprimer une continuité particulière entre les sièges de Marc et de Pierre.
Dans les Saintes Écritures, Pierre semble de quelque manière répondre à l’affection de Marc en l’appelant « mon fils » ( 1P 5, 13). Mais les liens fraternels de l’Évangéliste et son activité apostolique concernent aussi saint Paul qui, avant de mourir martyr à Rome, parle de l’utilité prévenante de Marc dans son ministère (cf. 2 Tm 4, 11) et le cite plus d’une fois (cf. Phm 24 ; Col 4, 10). Charité fraternelle et communion de mission : voici les messages que la Parole divine et nos origines nous livrent. Ce sont les semences évangéliques que nous avons la joie de continuer à irriguer et, par la grâce de Dieu, à faire croître ensemble (cf. 1 Co 3, 6-7).
La maturation de notre chemin œcuménique est soutenue, de manière mystérieuse et plus que jamais actuelle, également par un vrai et authentique œcuménisme du sang. Saint Jean écrit que Jésus est venu « par l’eau et par le sang » (1 Jn 5, 6) ; qui croit en lui, ainsi « est vainqueur du monde » (1 Jn 5, 5). Par l’eau et le sang : en vivant une vie nouvelle dans notre Baptême commun, une vie d’amour toujours et pour tous, y compris au prix du sacrifice du sang. Que de martyrs dans ce pays, depuis les premiers siècles du christianisme, ont vécu la foi héroïquement et jusqu’au fond, en versant leur sang plutôt que de renier le Seigneur et de céder aux illusions du mal ou seulement à la tentation de répondre au mal par le mal. Le vénérable Martyrologue de l’Église copte en témoigne bien. Encore récemment, malheureusement, le sang innocent de fidèles sans défense a été cruellement versé : leur sang innocent nous unit. Très cher Frère, tout comme la Jérusalem céleste est unique, unique est notre martyrologe, et vos souffrances sont aussi nos souffrances. Fortifiés par votre témoignage, œuvrons pour nous opposer à la violence en prêchant et en semant le bien, en faisant grandir la concorde et en maintenant l’unité, en priant afin que tant de sacrifices ouvrent la voie à un avenir de pleine communion entre nous et de paix pour tous.
La merveilleuse histoire de sainteté de cette terre n’est pas particulière uniquement à cause du sacrifice des martyrs. À peine terminées les persécutions antiques, a émergé une forme nouvelle de vie qui, donnée au Seigneur, ne retenait rien pour elle: dans le désert a commencé le monachisme. Ainsi, aux grands signes que Dieu, par le passé, avait accomplis en Égypte et dans la Mer rouge (cf. Ps 106, 21-22), a fait suite le prodige d’une vie nouvelle, qui a fait fleurir de sainteté le désert. Avec vénération pour ce patrimoine commun, je suis venu en pèlerin sur cette terre, où le Seigneur lui-même aime se rendre: ici, glorieux, il est descendu sur le mont Sinaï (cf. Ex 24, 16) ; ici, humble, il a trouvé refuge en tant qu’enfant (cf. Mt 2, 14).
Sainteté, très cher Frère, que le même Seigneur nous accorde de repartir aujourd’hui, ensemble, en pèlerins de communion et en messagers de paix. Sur ce chemin, que nous prenne par la main Celle qui a accompagné ici Jésus et que la grande tradition théologique égyptienne a déclarée depuis l’antiquité Theotokos, Mère de Dieu. À ce titre, s’unissent admirablement l’humanité et la divinité, car dans la Mère, Dieu s’est fait pour toujours homme. Que la Vierge Sainte, qui nous conduit toujours à Jésus, symphonie parfaite du divin avec l’humain, apporte encore un peu du Ciel sur notre terre!
[Texte original: Italien]
© Librairie éditrice du Vatican
Le pape et le patriarche Tawadros © L'Osservatore Romano
Rencontre avec le patriarche Tawadros II, discours du pape (texte complet)
Une communion « déjà effective »