Le pape François qui a approuvé la publication d’un décret de la Congrégation pour les causes des saints reconnaissant le martyre de l’archevêque lituanien Théophile Matulionis (1875-1962), le 1er décembre 2016. Il a ainsi ouvert la voie à sa béatification, dans la capitale, Vilnius, dimanche, prochain, 25 juin 2017, lors d’une célébration présidée par le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation romaine, sur le parvis de la cathédrale Saint-Casimir, en présence de quelque 20 000 pèlerins de Lituanie et d’Europe, notamment de jeunes qui achèveront trois jours de Festival catholique.
Cette brève biographie du premier bienheureux lituanien béatifié dans sa patrie est élaborée principalement à partir des éléments publiés par le CCEE en italien, anglais et polonais.
Théophile Matulionis est un contemporain de sainte Faustine (1905-1938) et du bienheureux Michal Sopocko (1888-1975), mais il ne semble pas avoir croisé leur route. Pourtant son existence héroïque manifeste une évidence : le message de Jésus miséricordieux, confié à Faustine dans les années trente, devait aider la Lituanie – et le monde – à traverser l’épreuve des dictatures sanglantes du XXe siècle. Et son martyre reflète le martyre de sa patrie, sous les jougs bolchevik, nazi puis soviétique.
Une haute idée du sacerdoce
Théophile Matulionis, est né le 22 juin 1873, à Kudoriškis, dans le district d’Utena, en Lituanie, à un peu moins de 100km au nord-est de la capitale actuelle Vilnius. Il était le deuxième des trois enfants de Jurgis Matulionis et de Ona Juočepyté, une famille aisée et profondément catholique. Il est baptisé le 1er juillet suivant dans l’église paroissiale d’Alunta.
Son enfance est marquée par la mort de sa mère : elle a vingt-sept ans, il en a quatre.
Il a la passion de l’étude : il part étudier au lycée de Daugpilis, en Lettonie. Et c’est en 1892 qu’il entre au séminaire, en Russie, à Saint-Pétersbourg. Pourtant, il a une conception si élevée du sacerdoce qu’il s’en sent indigne, si bien que pendant un an il quitte le séminaire. Il reprend cependant sa théologie en 1895 et il est ordonné prêtre le jour de la Saint-Casimir, saint patron de la Lituanie, le 4 mars 1900.
Il exerce son ministère tout d’abord en Lettonie, comme vicaire à Varaklianai, puis curé à Bikava. A partir de 1910, il est vicaire cette fois en Russie, à Saint-Pétersbourg à l’église Sainte-Catherine. L’administrateur du diocèse de Moguilev (Biélorussie) lui confie ensuite la construction, dans le quartier des travailleurs, de l’église du Sacré-Cœur du Sauveur : un chantier interrompu par la Révolution Bolchevik d’octobre 1917.
Premier emprisonnement à Moscou
C’est en 1923 que le p. Mutulionis est arrêté pour la première fois par des agents de la police politique soviétique, le NKVD ou « Commissariat du peuple aux affaires intérieures », en même temps que l’évêque de Moguilev, Mgr Jan Cieplak, et que 15 autres prêtres de Petrograd (Saint-Pétersbourg). Et, pour avoir refusé la confiscation par l’État de biens et de bâtiments de l’Église, il est condamné à trois ans de détention qu’il passe dans les prisons de Butyrka et de Sokolniki à Moscou. Mais il est libéré au bout de deux ans, le 25 février 1925, grâce à l’intervention de ses paroissiens. Et il revient à Petrograd, devenue Léningrad, comme curé de la paroisse du Sacré-Coeur.
C’est avec le consentement du pape Pie XI qu’il est nommé évêque clandestinement le 28 décembre 1928 : il devient coadjuteur de l’administrateur apostolique de Léningrad. Le 9 février 1929, toujours clandestinement, il est ordonné évêque par l’évêque du vicariat apostolique de Léningrad, Mgr Anton Malecki.
Le goulag des îles Solovski
Mgr Matulionis est à nouveau arrêté le 25 novembre 1929, et il est condamné, sans procès, à dix ans de camp de concentration, dans les îles Solovki, sur la Mer Blanche, en Carélie russe. C’est l’un des pires camps de l’Union soviétique : on y a vu le « laboratoire du goulag ». Sa situation s’aggrave en 1933, avec une condamnation à un an d’isolement et aux travaux forcés.
Mais il est libéré au bout de quatre ans, le 19 octobre 1933, en même temps que 10 autres prêtres et trois laïcs catholiques, grâce à un échange de prisonniers politiques entre la Lituanie et l’Union soviétique. Il exprime alors le désir de se consacrer à l’apostolat en Russie, mais il est contraint au retour en Lituanie.
L’hommage du pape Pie XII
L’année suivante, il se rend à Rome et il est reçu en audience privée par le pape Pie XI, le 24 mars 1934. Le pape refuse qu’il s’incline devant lui: « Vous êtes un martyr, c’est à moi de m’incliner devant vous ! » Puis il effectue un voyage aux Etats-Unis, en Terre Sainte et en Pologne.
A son retour en Lituanie, il est nommé évêque auxiliaire de Kaunas, l’ancienne capitale. En 1938, il devient aussi recteur de l’église des bénédictines de Kaunas. Le 13 octobre de la même année, l’archevêque, Mgr Juozapas Skvireckas, le nomme aussi vicaire judiciaire.
Les invasions nazie et soviétique, troisième arrestation
Le 19 avril 1940, il devient l’Aumônier militaire de l’armée lituanienne, mais c’est pour peu de temps : le 15 juin 1940, c’est l’invasion soviétique.
Puis survient l’occupation nazie. En 1943, en pleine Seconde guerre mondiale, Mgr Matulionis est nommé évêque de Kaišiadorys. Il dénonce les persécutions nazies.
L’année suivante, les troupes soviétiques envahissent à nouveau la Lituanie, et les persécutions contre l’Eglise s’intensifient : il les dénonce également.
Mgr Matulionis est arrêté pour la troisième fois le 18 décembre 1946 et le 27 septembre de l’année suivante il est condamné à 7 ans de prison. Il est transféré en Biélorussie, à la prison d’Orša, puis à celle de Vladimir, en Russie.
Sa peine purgée, il est transféré, en 1954, à la Maison des invalides de Patma, toujours en Russie.
Le retour du pasteur auprès des siens
Il ne peut rentrer en Lituanie qu’en 1956, avec interdiction de résider dans son diocèse. Il s’installe à Birštonas, sous la surveillance étroite du KGB.
Agé et souffrant, il ne s’en préoccupe pas moins de son diocèse de Kaišiadorys et de l’Eglise en Lituanie. Il estime que là où est le troupeau là doit être le pasteur : « Pensez combien notre Seigneur est bon et miséricordieux. Il trouve son troupeau dans les bois, dans la toundra, à minuit… Je le remercie de tout mon cœur ! La Providence nous mènera, nous, les prêtres, où vont les croyants. Les pasteurs suivent leur troupeau. » Il exhorte les administrateurs diocésains et les prêtres à ne pas céder à des compromis ni collaborer avec le régime communiste.
Selon la volonté du pape Pie XII, et sans autorisation de l’occupant, il ordonne évêque Mgr Vincentas Sladkevičius, futur cardinal, le 25 décembre 1957, pour donner un pasteur à son Eglise de Kaišiadorys. Celui-ci est exilé l’année suivante, à plus de cent kilomètres de là, à Šeduva.
Mgr Matulionis est prévenu de risques d’arrestation, il n’a pas peur : « Si lors d’une promenade, quelqu’un faisait soudain irruption devant moi en criant “bouh !”, j’aurais peur! … Mais je ne crains pas du tout l’idée d’une arrestation ou d’un nouvel emprisonnement. »
La reconnaissance de Jean XXIII et le martyre
Le 31 mai 1960, le pape Jean XXIII lui accorde le titre d’Assistant au seuil pontifical, et, le 9 février 1962, il lui confère la dignité d’archevêque.
Quelques mois plus tard, le 17 août 1962, une perquisition violente est menée dans son logement. La police politique lui injecte un soi-disant sédatif: c’est un poison. Il meurt trois jours plus tard, le 20 août 1962. Il est âgé de 89 ans. Le 23 août, il est inhumé dans la crypte de la cathédrale de Kaišiadorys.
Après sa béatification, dimanche prochain, il faudra la reconnaissance d’un miracle dû à son intercession pour son éventuelle canonisation.
Mgr Théophile Matulionis © teofilius.lt
Mgr Théophile Matulionis, ou le martyre de la Lituanie
Béatification à Vilnius, dimanche prochain