Pape Paul VI @ Wikimedia commons / Ambrosius007

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L’engagement constant de Paul VI en faveur de la paix, par le card. Parolin

Intervention à Madrid devant les cardinaux espagnols (Traduction intégrale)

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« L’engagement constant de Paul VI en faveur de la paix » ne fut pas « une manière indirecte de reproposer le rôle de l’Église dans la réalité internationale » : ce fut « profondément évangélique et non instrumental », a assuré le cardinal Pietro Parolin lors d’un symposium à Madrid (Espagne). Des extraits de son intervention ont été publiés dans L’Osservatore Romano du 14 octobre 2016.
Le secrétaire d’État du Saint-Siège a pris la parole au siège de la Conférence épiscopale espagnole, devant tous les évêques du pays, dans le cadre du symposium international intitulé « Paul VI et la paix », organisé en lien avec la Fondation Paul VI.
Evoquant les nombreuses prises de position du bienheureux Paul VI en faveur de la paix, le cardinal Parolin a noté « une forte empreinte humaniste » où le pape « tisse étroitement son engagement pour la paix avec l’amour des pauvres ».
Pour Paul VI, a-t-il expliqué, la réflexion sur la paix touche aussi « la question écologique » et les « menaces contre les sources de vie comme l’air, l’eau et la nourriture ». Elle concerne également « la protection des minorités ethniques et l’opposition à des politiques démographiques toujours plus douloureuses, l’engagement contre la torture en faveur de l’intégrité physique et psychique des personnes ». Et elle est connectée à « la bataille contre la faim dans le monde ».
AK
Intervention du cardinal Parolin
« Plus la guerre ! » : Paul VI a répété ce cri passionné dans son discours prononcé le 4 octobre 1965, à l’occasion de la première visite d’un pape au siège de l’ONU. Dès le début de son pontificat, son engagement pour la paix a été très intense. Sans doute le bienheureux Giovanni Battista Montini a-t-il hérité de son prédécesseur, Jean XXIII, l’insistance sur ce thème, particulièrement évident après la crise de Cuba et la publication de Pacem in terris. Mais sa réflexion sur ce sujet répondait à des convictions profondes, qui avaient émergé auparavant et qui eurent un caractère propre et original.
À l’occasion de la première journée mondiale de la paix, qu’il a instituée le 1er janvier 1968 – alors que se profilait le danger d’une diffusion croissante de la bombe à hydrogène – ce fut Paul VI lui-même qui fit observer que dans son magistère, il recourait souvent au mot « paix ». Mais non dans l’intention de suivre la mode « des temps qui courent », comme s’il s’agissait d’un prix payé par l’Église pour se faire accepter par le monde.
Il faut situer dans cette perspective aussi le geste audacieux de sa participation, en 1965, à l’Assemblée générale de l’ONU, événement inédit dans la tradition de la papauté. Quelques mois plus tard, le pape expliqua qu’avec ce voyage, « l’Église est, en un certain sens, sortie d’elle-même pour rencontrer les hommes de notre temps ». À New York, Paul VI se présenta humblement, non en maître et avec la prétention d’imposer son enseignement, mais se mettant, au contraire, au service de tous les pays du monde, en grande partie représentés à ce siège.
Le thème de l’unité du genre humain, d’autre part, avait déjà été mis en évidence par ses prédécesseurs, en particulier par Pie XII pendant la seconde guerre mondiale ; ces années-là, la question était très connue parmi les catholiques renommés comme Giorgio La Pira, Joseph Ratzinger et Edward Schillebeeckx. Cette unité ne devait pas être entendue seulement comme un donné de fait fondamental, mais aussi comme une mission à réaliser et, en apportant à New York un message adressé au monde entier, Paul VI était convaincu d’accomplir un devoir étroitement lié à son ministère.
Le discours à l’ONU révèle une forte empreinte humaniste : souligner l’unité du genre humain signifie aussi se prononcer sur l’identité même de l’homme et sur l’universalité qui fait de tous les hommes des frères.
Dans cette clé humaniste, Paul VI tisse étroitement son engagement pour la paix avec l’amour des pauvres. Le thème de la « préférence » pour les pauvres a traversé Vatican II en profondeur, même s’il n’émerge de manière explicite que dans quelques passages des documents approuvés par le concile. Sur ce terrain, l’expression de Jean XXIII « Église de tous et en particulier des pauvres » est connue. Mais comme l’ont souligné des études récentes, Paul VI aussi a dédié une grande attention à ce thème dans les années du concile. Dans son magistère, on trouve à ce sujet des expressions profondes et pénétrantes ; ce fut lui qui sollicita du cardinal Lecaro des réflexions et des propositions sur cette question et une sensibilité particulière à ce propos fut mise en évidence par Paul VI lui-même avec le geste du renoncement à la tiare pour la donner aux pauvres. Sur la même ligne s’insère son voyage de 1964 en Inde, où il fut accueilli par plus de quatre millions de personnes. En Inde, il lança la proposition d’un fonds mondial pour les nations sous-développées.
Au commencement de 1967, Paul VI institua un nouveau dicastère, la Commission pontificale Justice et paix, devenue par la suite le Conseil pontifical Justice et Paix, pour constituer de manière permanente et structurelle l’engagement du Saint-Siège et de toute l’Église catholique en faveur de la justice sociale et de la paix mondiale.
Ces divers éléments – ministère universel du pape et unité de la famille humaine, élan humaniste et préférence pour les pauvres, dialogue avec le monde et nouveau rôle de l’Église, justice sociale et engagement pour la paix – convergeront dans la grande encyclique innovatrice Populorum progressio, dont la longue préparation commença en 1963 pour parvenir finalement à sa publication en 1967, précisément le jour de Pâques : on parla alors d’ « encyclique de la Résurrection ».
Avec cette encyclique, Paul VI traça les lignes maîtresses d’un nouvel « humanisme planétaire », reprises par Jean-Paul II pour le vingtième anniversaire de Populorum progressio avec Sollicitudo rei socialis, et par Benoît XVI à l’occasion du quarantième anniversaire, avec Caritas in veritate.
La paix occupa une position centrale dans Populorum progressio : l’attention consacrée dans l’encyclique aux pays en voie de développement était liée à la conviction que, dans ces pays, se jouaient alors les destins de la paix mondiale. Plus encore que par des facteurs politiques ou idéologiques, les équilibres internationaux apparaissaient au pape menacés par la faim, l’injustice et la colère présentes dans le sud du monde et d’où naissaient rancœur, ressentiment, méfiance et animosité envers les pays du nord. C’est dans ce contexte que s’inscrit la fameuse phrase : « Le développement est le nouveau nom de la paix ». C’est une phrase encore actuelle, bien qu’elle acquière aujourd’hui une nouvelle évidence, cette fois en clé contraire et sous une forme négative : le développement est impossible sans la paix.
Dans les années soixante, la question cruciale de redéfinir les rapports entre le nord et le sud de la planète devait se nouer avec la dure opposition entre l’est et l’ouest. La guerre froide constituait en ce sens un empêchement quasiment insurmontable pour réaliser un nouveau dessein universel, capable d’inclure tous les peuples et de garantir pleinement la paix. A ce propos, la guerre du Vietnam apparaissait emblématique, les raisons de soutenir la libération d’un peuple au long passé colonial se mêlant avec celles de l’affrontement politico-idéologique entre communisme et anticommunisme. Paul VI s’engagea à fond contre cette guerre, adressant de nombreux appels publics pour la paix et formulant des propositions concrètes de trêve.
Se dédouaner de tout rapport privilégié avec le monde occidental, ce dont l’Église était généralement accusée, ne signifia pas pour Paul VI négliger le rôle que l’Occident, et en particulier l’Europe, pouvaient et devaient jouer en faveur de la paix. Ce pape approuva et soutint le processus d’unification européenne avec l’objectif prioritaire de « promouvoir et protéger la paix ». Partant des immenses ruines provoquées par le conflit (mondial) – comme il le rappela souvent – le projet européen promu par De Gasperi, Adenauer et Schuman se développa : en eux, la tragédie de la guerre avait suscité un élan audacieux pour réaliser ce qui, à la lumière de l’histoire passée, semblait carrément impensable : la pacification définitive franco-allemande.
L’Europe ne pouvait pas rester refermée sur elle-même : elle devait se mettre au service de la paix dans le monde. Mais le rôle même d’une Europe en faveur de la paix dans le monde se heurtait à l’opposition persistante entre l’est et l’ouest, qui avait son épicentre justement dans le vieux continent. L’Europe devait par conséquent aider le monde en s’aidant elle-même et vice-versa : les divisions qui l’affligeaient se projetaient vers l’extérieur et les affronter signifiait aussi s’acquitter d’une partie de ses responsabilités envers les autres peuples. En 1968, aussitôt après l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, Paul VI parla avec préoccupation d’un « climat sombre en Europe ».
Dans ce contexte, le bienheureux Giovanni Battista Montini montra une attention croissante pour le déroulement de la Conférence sur la sécurité en Europe, à Helsinki, en  1975, qui comprenait trente-cinq pays occidentaux et communistes. Le Saint-Siège y participa aussi. L’objectif principal de la conférence était de stabiliser définitivement les frontières nées après la seconde guerre mondiale, à partir de celles qui existaient entre l’Allemagne et la Pologne, question dont Paul VI se préoccupa intensément. Le pape espérait en outre qu’au-delà du rideau de fer qui continuait de diviser les États, puisse prévaloir en Europe une koiné culturelle enracinée et généralisée, imprégnée de christianisme, plus forte que l’action destructrice constamment poursuivie par les régimes communistes. Dans les années qui suivirent, la décision audacieuse de Paul VI de faire participer le Saint-Siège à la Conférence d’Helsinki fit l’objet de réserves et fut considérée par certains comme un signe d’abaissement devant le bloc soviétique. Mais les documents sortis des archives soviétiques après 1991 ont révélé la profonde préoccupation du Kgb pour la Conférence d’Helsinki et pour le processus de détente qui l’accompagna. En outre, dans l’optique universaliste de ce pontificat, l’Ostpolitique montinienne – qui trouva chez Agostino Casaroli un des principaux promoteurs – non seulement initia le rapport entre le Saint-Siège et les pays communistes en Europe, mais réalisa aussi l’objectif plus vaste de la paix dans le monde entier et parmi ses motivations était aussi l’urgence de changer en profondeur les relations entre le nord et le sud de la planète.
Au début de la décennie des années soixante, Paul VI étendit sa réflexion sur la paix au terrain de la question écologique et aux menaces contre les sources de vie comme l’air, l’eau et la nourriture. La crise pétrolifère qui suivit la guerre du Yom Kippur lui fit craindre que puisse éclater une lutte terrible entre les grandes puissances pour les ressources nécessaires à leur développement.
Aux thèmes déjà traités les années précédentes, s’ajoutèrent aussi la protection des minorités ethniques et l’opposition à des politiques démographiques toujours plus douloureuses, l’engagement contre la torture en faveur de l’intégrité physique et psychique des personnes. Entre-temps, la bataille contre la faim dans le monde reprit force pour devenir une des principales préoccupations du pontificat.
Dans l’engagement constant de Paul VI en faveur de la paix, certains ont vu une manière indirecte de reproposer le rôle de l’Église dans la réalité internationale. En fait, son approche fut profondément évangélique et non instrumentale. Le lien entre évangélisation et paix, qui émerge avec force dans les dernières années de son pontificat, le démontre.
Dans Evangelii nuntiandi, Montini exprime un souhait : « Puisse le monde de notre temps, qui cherche parfois dans l’angoisse, parfois dans l’espérance, recevoir la Bonne Nouvelle non pas d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients et anxieux, mais de ministres de l’Évangile, dont la vie irradie de ferveur, qui aient les premiers reçu en eux la joie du Christ ». La joie acquiert une importance centrale dans les paroles de ce pape, souvent décrit comme hamlétien, triste, pessimiste. C’est le thème de Gaudet in Domino qui précède de quelques mois Evangelii nuntiandi, l’un et l’autre en 1975 : la joie de celui qui annonce est liée au contenu de ce qui est annoncé et le monde a besoin d’évangélisateurs crédibles de la « bonne nouvelle ». Les deux documents sortirent après le synode de 1974, où les Églises non européennes firent entendre leur voix avec force. Les délégués latino-américains, en particulier, arrivèrent à Rome après un débat intense et interne de leurs Églises et leurs interventions se concentrèrent sur les rapports entre évangélisation et promotion humaine, sur la religion populaire, sur la relation entre dialogue et mission, sur le rôle des communautés de base comme agents de l’évangélisation, sur les problèmes des jeunes. Au cours de la rencontre, l’orientation eurocentriste fut dépassée par un vif débat sur des questions comme la pauvreté, l’inculturation, le dialogue avec les religions, les contenus de l’évangélisation et le pluralisme théologique. L’assemblée discuta en particulier l’alternative entre l’instance de préserver l’évangélisation de l’engagement socio-politique et celle, opposée, de l’unir étroitement à l’engagement politique. Le travail de l’assemblée mit en lumière une pluralité d’orientations et le rapporteur, le cardinal Wojtyla, proposa de confier la synthèse au pape. C’est ainsi que nacquit Evangelii nuntiandi qui rassembla les multiples interventions synodales en les fondant en une synthèse harmonieuse, proposant une évangélisation renouvelée dans son style et dans ses contenus, unissant la joie de celui qui annonce à la richesse de l’annonce.
L’Évangile ne s’identifie avec aucune culture, clarifia alors Paul VI, mais l’évangélisation ne peut « s’asservir à aucune »
Evangelii nuntiandi constitua un message important pour ces Églises dans lesquelles beaucoup d’initiatives favorisaient une réduction de l’évangélisation au seul engagement socio-politique. Pour Paul VI, la libération évangélique ne s’épuisait pas dans la libération politique et, sur la question de la violence, il exprima clairement sa condamnation. Mais en même temps, la véritable paix offerte par l’Évangile était incompatible avec les conditions de misère, de souffrance et d’injustice dans lesquelles vivaient de grandes masses dans de nombreux pays du monde.
Traduction de Zenit, Constance Roques

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Constance Roques

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