« Si ton cœur brûle d’amour pour Jésus-Christ, tu es un bon évangélisateur ou une bonne évangélisatrice », explique le pape François aux jeunes consacrés qu’il exhorte à être « des hommes et des femmes d’adoration ».
Le pape François a reçu en audience les quelque 5 000 participants au Congrès international pour les jeunes consacrés, jeudi 17 septembre, dans la salle Paul VI. Ce rassemblement est organisé à Rome actuellement, dans le cadre de l’Année de la vie consacrée (du 15 au 19 septembre) par le dicastère romain pour la vie consacrée.
Avec l’adoration, le pape recommande la proximité, la prophétie du témoignage, le zèle apostolique « qui réchauffe le cœur des autres, même sans paroles », et la mémoire. Il raconte aussi son premier appel, le 21 septembre 1953. Il a mis en garde, notamment, contre la rigidité, les bavardages (une « bombe ») et le narcissime.
Le pape a cité plusieurs fois Thérèse de Lisieux et Thérèse d’Avila. Et il s’est dit « féministe ».
Voici notre traduction intégrale des trois questions des jeunes et des réponses du pape François.
Nous avons publié hier, 17 septembre, la confidence du pape sur la petite croix du prêtre martyr en Irak. Nous publions aussi à part le récit de sa vocation, par le pape François.
A.B.
Dialogue du pape avec les jeunes consacrés
Bonjour !
Je vous remercie. Le cardinal préfet m’a dit que vous étiez cinq mille jeunes consacrés. Je commencerai avec les questions que vous avez préparées et que vous avez eu la courtoisie de m’envoyer.
Mais avant tout, je sais qu’il y a parmi vous des consacrés et des consacrées d’Irak et de Syrie. Je voudrais commencer par une pensée pour nos martyrs d’Irak et de Syrie, nos martyrs d’aujourd’hui. Peut-être en connaissez-vous beaucoup, ou quelques-uns… Il y a quelques jours, sur la Place, un prêtre irakien s’est approché et m’a donné une petite croix : c’était la croix que tenait en main, pour ne pas renier Jésus-Christ, un prêtre qui a été égorgé. Cette croix, je la porte ici…
À la lumière de ces témoignages de nos martyrs d’aujourd’hui – qui sont plus nombreux que les martyrs des premiers siècles – et aussi des martyrs de votre terre d’Irak et de Syrie, je voudrais commencer notre dialogue en remerciant le Seigneur : que son Église accomplisse dans son corps ce qui manque à la passion du Christ, encore aujourd’hui, et en demandant la grâce du tout petit martyre quotidien, de ce martyre de tous les jours, dans le service de Jésus et de notre vie consacrée.
Et maintenant, posez-moi vos questions, et ensuite nous verrons…
1re question, l’appel de 1953 (Alep, Syrie, italien)
Saint-Père, l’Évangile que nous tous, consacrées et consacrés, avons embrassé comme forme de vie, nous dit qu’aux deux disciples qui le suivaient et lui demandaient : « Où habites-tu ? », le Seigneur Jésus a répondu : « Venez et voyez. » Ces jours-ci, nous avons fait mémoire de notre appel et des nombreux autres appels que le Seigneur nous a adressés depuis que nous avons répondu la première fois à son invitation à le suivre de plus près et de manière prophétique. Saint-Père, vous aussi, vous avez entendu l’appel à la vie consacrée et vous avez suivi Jésus ; vous aussi, vous vous souviendrez de cette « dixième heure » de l’appel. Est-ce trop audacieux de vous demander de nous faire partager ce que fut ce premier appel en septembre 1953 ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez Jésus et dans l’Évangile ? Pourquoi êtes-vous devenu religieux, pourquoi êtes-vous devenu prêtre ?
Le pape — D’où es-tu ? (applaudissements)
R. — Je suis d’Alep, en Syrie. (applaudissements)
2e question, l’évangélisation (Inde, anglais)
Cher Saint-Père, dans Evangelii gaudium, « La joie de l’Évangile », vous nous rappelez que tous les baptisés, quelle que soit leur position dans l’Église ou leur niveau d’instruction dans la foi, sont des acteurs de l’évangélisation et que cette évangélisation, tâche missionnaire, devrait être mise en œuvre dans un esprit : une évangélisation qui brûle dans notre cœur et qui est très différente d’une série de devoirs vécus comme une obligation pesante, que l’on tolère ou supporte simplement comme quelque chose qui contredit les inclinations et les désirs personnels. Cher Saint-Père, quelle est la mission des jeunes consacrés dans l’Église aujourd’hui ? Où devrions-nous aller ? À qui devrions-nous nous adresser pour aider et comment ? Où l’Église nous envoie-t-elle ?
Le pape — Comme t’appelles-tu ? D’où es-tu et de quel institut ?
R. — Saint-Père, mon nom est sœur Mary Giacinta, je viens d’Inde et j’appartiens aux Sœurs de la Charité de Marie Enfant.
3e question, instabilité et médiocrité (espagnol)
Saint-Père, cette question a été écrite par une sœur cloîtrée, qui n’a pas pu être ici avec nous aujourd’hui… Parce que je crois qu’elle peut concerner tous les consacrés. Nous, jeunes consacrés d’aujourd’hui, nous appartenons à une génération qui a été définie par certains comme « liquide et instable », avec peu de racines, qui a des difficultés à s’engager complètement. Nos familles, parfois, ne sont pas structurées ; nous appartenons à une génération qui préfère souvent le confort et le relativisme, tout ce qui est immédiat, « light », qu’on jette après usage… Après avoir dépassé la première étape de formation à la vie consacrée et avoir prononcé des vœux solennels, nous aussi, nous faisons souvent l’expérience d’une certaine instabilité dans notre chemin à la suite du Christ. Comment pouvons-nous éviter de tomber dans la médiocrité ?
Réponses du pape François
Je vous remercie. Je remercie Sara, Mary Giacinta et Pierre. Je vous remercie tous les trois.
Commençons par Sara, parce que tu touches un problème très sérieux, qui est le confort dans la vie consacrée : « Nous devons faire ceci… Nous sommes tranquilles… J’observe tous les commandements que je dois observer ici, les règles… Je suis un(e) observant(e)… » Mais ce que disait sainte Thérèse de Jésus sur l’observance rigide et structurée, ce qui enlève la liberté. Et c’était une femme libre ! Si libre qu’elle a dû aller à l’Inquisition ! Il existe une liberté qui vient de l’Esprit et une liberté qui vient de la mondanité. Le Seigneur vous appelle – et il nous appelle tous – à ce que Pierre a appelé la « manière prophétique » de la liberté, c’est-à-dire la liberté qui doit être unie au témoignage et à la fidélité. Une maman qui éduque ses enfants dans la rigidité – « il faut faire, il faut, il faut, il faut… » – et ne laisse pas ses enfants rêver, avoir des rêves, et ne laisse pas ses enfants grandir, annule l’avenir créatif de ses enfants. Ses enfants seront stériles. La vie consacrée aussi peut être stérile, quand elle n’est pas vraiment prophétique ; quand elle ne se permet pas de rêver.
Mais pensons à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : enfermée dans un couvent, et en plus avec une prieure pas tellement facile ! Certains pensaient que la prieure faisait certaines choses pour la déranger… Mais cette petite sœur de 16, 17, 18, 20, 21 ans rêvait
! Jamais elle n’a perdu sa capacité de rêver, jamais elle n’a perdu de vue les horizons ! À tel point qu’aujourd’hui, elle est la patronne des missions ; elle est la patronne des horizons de l’Église. Ce que sainte Thérèse [d’Avila, ndlr] appelait les « âmes en qui tout est si bien réglé » est un danger. C’est un grand danger. Elle était moniale cloîtrée, mais elle est allée sur les routes de toute l’Espagne en faisant des fondations, des couvents. Et jamais elle n’a perdu sa capacité de contemplation. La prophétie, la capacité de rêver est le contraire de la rigidité.
Les personnes rigides ne peuvent pas rêver. Pensons à ces belles choses que dit Jésus aux rigides de son époque, aux consacrés rigides de son époque, dans le chapitre 23 de saint Matthieu. Lisez-le. Ce sont eux, les rigides. Et l’observance ne doit pas être rigide ; si l’observance est rigide, ce n’est pas l’observance, c’est de l’égoïsme personnel. C’est se rechercher soi-même et se sentir plus juste que les autres. « Je te remercie, Seigneur, parce que je ne suis pas comme cette sœur, comme ce frère, comme celui-là… Je te remercie, Seigneur, parce que ma congrégation est vraiment catholique, observante, et non comme cette congrégation qui va par là, et celle-là qui va là et là-bas… » C’est le discours des rigides. Mais tout cela, vous le trouverez au chapitre 23 de saint Matthieu. Thérèse les appelle les « âmes en qui tout est si bien réglé ».
Et comment ne pas devenir comme cela ? Un cœur toujours ouvert à ce que nous dit le Seigneur ; et ce que nous dit le Seigneur, l’apporter dans le dialogue avec le supérieur, avec le maître ou la maîtresse spirituels, avec l’Église, avec l’évêque. Ouverture, cœur ouvert, dialogue, et aussi dialogue communautaire. « Mais Père, nous ne pouvons pas dialoguer, parce que quand nous discutons, nous nous disputons toujours… »
Mais, c’est bien ! Pierre aussi, Paul, Jacques dans les premiers temps – lisez les Actes des apôtres – se disputaient très fort. Mais ensuite, ils étaient si ouverts à l’Esprit-Saint qu’ils avaient cette capacité de se pardonner. Je vais dire quelque chose d’un peu difficile. Je vous parle sincèrement : un des péchés que je trouve souvent dans la vie communautaire, est l’incapacité de se pardonner entre frères, entre sœurs. « Ah, celle-là, elle me le paiera ! Je vais le lui faire payer !… » Et cela, c’est salir l’autre ! Les bavardages, dans une communauté, empêchent le pardon et poussent aussi à être plus loin les uns des autres, à s’éloigner l’un de l’autre. J’aime dire que les bavardages ne sont pas seulement un péché – parce que les bavardages sont un péché, confessez-vous si vous le faites… C’est un péché ! – mais le bavardage, c’est aussi du terrorisme ! Parce que celui qui bavarde « jette une bombe » sur la réputation de l’autre et détruit l’autre qui ne peut pas se défendre. Parce qu’on bavarde toujours dans l’obscurité, pas dans la lumière. Et l’obscurité est le royaume du diable. La lumière est le Royaume de Jésus. Si tu as quelque chose contre ton frère, contre ta sœur, va… Prie d’abord, apaise ton âme et ensuite, va le lui dire à lui, à elle : « Je ne suis pas d’accord sur ce point… Tu as fait quelque chose de mal… » Mais jamais, ne jamais jeter la bombe des bavardages. Jamais, jamais ! C’est la peste de la vie communautaire ! Et comme cela, le religieux, la religieuse, qui a consacré sa vie à Dieu, devient un ou une terroriste, parce qu’il – ou elle – jette dans sa communauté une bombe qui détruit.
Toi, Sara, tu as aussi parlé de l’instabilité de notre sequela. Toujours, du début de la vie consacrée jusqu’à maintenant, il y a des moments d’instabilité : ce sont les tentations. Les premiers moines du désert écrivent là-dessus et nous enseignent comment trouver la stabilité intérieure, la paix. Mais il y aura toujours les tentations, toujours, toujours… La lutte sera jusqu’à la fin. Et pour revenir à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, elle disait qu’il faut prier pour ceux qui vont mourir parce que là, c’est vraiment le moment de la plus grande instabilité, où les tentations sont fortes. Culturellement, c’est vrai, nous vivons à une époque très, très instable, et même une époque qui semble être « un bout de temps » : nous vivons la culture du provisoire. Un évêque – il y a un ou deux ans, plus ou moins – me disait qu’un jeune était venu le trouver, un bon garçon, un professionnel, qui voulait devenir prêtre, mais seulement pour dix ans : « Après, on verra… » Mais cela arrive, c’est arrivé : notre culture est celle du provisoire.
C’est pareil dans les mariages : « Oui, oui, nous nous marions ! Tant que dure l’amour… quand l’amour s’en va, au revoir, au revoir : toi chez toi, et moi chez moi. » Et cette culture du provisoire est entrée dans l’Église, est entrée dans les communautés religieuses, est entrée dans les familles, dans le mariage… La culture du définitif : Dieu a envoyé son Fils pour toujours ! Pas provisoirement, à une génération ou à un pays : à tous. À tous, et pour toujours ! Et ceci est un critère de discernement spirituel. Suis-je dans la culture du provisoire ? Par exemple, pour ne pas se désagréger, prendre aussi des engagements définitifs.
Toi, Mary Giacinta, tu as parlé de l’évangélisation. Une évangélisation, as-tu cité, qui brûle dans notre cœur : l’envie d’évangéliser, là où le cœur brûle, avec un cœur qui brûle. C’est cela, le zèle apostolique. Évangéliser, ce n’est pas la même chose que faire du prosélytisme. Nous ne sommes pas une association de football qui cherche des associés, des adhérents… Évangéliser n’est pas seulement convaincre, c’est témoigner que Jésus-Christ est vivant. Et comment est ce que l’on donne ce témoignage ? Avec ta chair, avec ta vie. Tu pourras étudier, tu pourras suivre des cours d’évangélisation, et c’est bon, mais la capacité de réchauffer les cœurs ne vient pas des livres, elle vient de ton cœur ! Si ton cœur brûle d’amour pour Jésus-Christ, tu es un bon évangélisateur ou une bonne évangélisatrice. Mais si ton cœur ne brûle pas et que tu regardes seulement les questions d’organisation, qui sont nécessaires, mais secondaires… Et ici, je voudrais – pardonnez-moi, je suis un peu féministe ! – remercier pour le témoignage des femmes consacrées – pas toutes, quand même, il y en a certaines qui sont un peu hystériques ! Vous avez cette envie d’aller toujours en première ligne. Pourquoi ? Parce que vous êtes mères, vous avez cette maternité de l’Église, qui vous rend proches.
Je me souviens, à Buenos Aires, un hôpital était resté sans sœurs, parce qu’elles étaient peu nombreuses, âgées, et cette congrégation était presque à la fin – parce que les instituts religieux sont tous provisoires : le Seigneur en choisit un pour un temps, et puis il le laisse et en fait un autre ; personne n’a la possibilité de rester pour toujours ; c’est une grâce de Dieu et certains sont pour ce temps-là ; que ceci soit clair – ces petites sœurs, les pauvres, elles étaient âgées…
Et on m’a parlé d’une congrégation de Corée : les Sœurs de la Sainte Famille de Séoul. Par l’intermédiaire d’un prêtre coréen, trois sœurs coréennes sont finalement arrivées dans cet hôpital, à Buenos Aires, où on parle espagnol. Et elles savaient l’espagnol de la même façon que je sais le chinois : rien ! Le second jour, elles sont allées dans les salles, dans les serv
ices. Elles sont allées dans les services et avec des gestes, une caresse, un sourire… Les malades disaient : « Mais que ces sœurs sont belles ! Comme elles travaillent ! Comme elles sont bonnes ! — Mais, elles t’ont dit quelque chose ? — Non, rien. » C’était le témoignage d’un cœur qui brûlait. C’est la maternité des sœurs. Ne perdez pas cela, s’il vous plaît !
Parce que la sœur est l’icône de l’Église notre Mère, et de Marie notre Mère. Vous avez vraiment cette fonction dans l’Église : être l’image de l’Église, l’image de Marie, l’image de la tendresse de l’Église, de l’amour de l’Église, de la maternité de l’Église et de la maternité de la Vierge Marie. N’oubliez pas cela. Toujours en première ligne, mais de cette manière. Et, en plus, l’Église est l’épouse de Jésus-Christ – je termine avec les sœurs ! – et les sœurs sont les épouses de Jésus-Christ, et toute leur force, elles la tirent de là, devant le tabernacle, devant le Seigneur, dans la prière avec leur Époux, pour porter son message.
Il faut que je me dépêche un peu parce qu’il y a beaucoup de travail aujourd’hui !
Et toi, Pierre, tu as dit des mots clés : suivre Jésus de plus près ; proche, proximité ; de manière prophétique. Cela, j’en ai parlé, de la prophétie, quand j’ai répondu à Sara. Et un autre mot, un mot clé dans la vie consacrée : mémoire. Ou bien prophétie, proximité, mémoire. De la prophétie, j’en ai parlé. Proximité. Proximité entre vous et avec les autres. Proximité avec le peuple de Dieu. Un compagnon de travail de mon papa – un certain nombre de compagnons étaient entrés en Argentine après la guerre civile espagnole et c’était des mangeurs de curé – une fois, l’un d’eux est tombé malade avec une très mauvaise infection, des plaies, une mauvaise maladie et sa femme travaillait et il y avait trois enfants. Cet homme a entendu parler d’une congrégation, les Petites Sœurs de l’Assomption, ces sœurs fondées par le père Pernet. Leur travail… À cette époque, après les prières, elles allaient chez les personnes qui avaient des difficultés. Elles étaient toutes infirmières et soignaient les malades, elles emmenaient les enfants à l’école, elles faisaient les domestiques et puis, à quatre heures de l’après-midi, elles rentraient chez elles. L’une d’elle y est allée, c’est la supérieure qui y est allée, parce que c’était un cas difficile. Elle a dit : « C’est moi qui y vais. »
Imaginez ce que cet homme a dit à la sœur : les pires insultes. Mais elle, tranquillement, faisait son travail, soignait les plaies, emmenait les enfants, faisait à manger. Et puis, au bout de plus d’un mois, cet homme était guéri. Il était guéri. Il est retourné à son travail. Quelques jours plus tard, ils sortaient du travail, lui et trois ou quatre compagnons mangeurs de curé. Deux sœurs sont passées dans la rue et l’un d’eux les a injuriées. Et cet homme, d’un coup de poing, l’a fait tomber par terre et lui a dit : « Des prêtres et de Dieu, dis tout ce que tu veux, mais contre la Vierge Marie et contre les sœurs, rien ! » Imaginez, un athée, un mangeur de curé ! Pourquoi ? Parce qu’il avait vu la maternité de l’Église, il avait vu le sourire de la Vierge dans cette sœur patiente qui le soignait, qui faisait la domestique chez lui et qui accompagnait les enfants et allait les chercher à l’école. N’oubliez pas cela, les sœurs : vous êtes l’image de notre sainte Mère l’Église et de notre sainte Mère, Marie. N’oubliez pas cela. Et l’Église vous en remercie, c’est un beau témoignage. Et cela, c’est la proximité, soyez proches, proximité avec les problèmes, avec les vrais problèmes.
Et l’autre mot clé est mémoire. Je pense que Jacques et Jean n’ont jamais oublié cette rencontre avec Jésus. Ni les autres apôtres. Pierre : « Tu es Pierre » ; Nicodème ; Nathanaël… La première rencontre avec Jésus. La mémoire, la mémoire de sa propre vocation. Dans les moments d’obscurité, dans les moments de tentation, dans les moments difficiles de notre vie consacrée, revenir aux sources, faire mémoire et se souvenir de l’étonnement que nous avons ressenti quand le Seigneur nous a regardés. Le Seigneur m’a regardé… Mémoire.
Et tu m’as demandé de partager ma mémoire, comment a été ce premier appel, le 21 septembre 1953. Mais je ne sais pas comment cela s’est passé. Je sais que par hasard, je suis entré dans une église, j’ai vu un confessionnal et je suis sorti différent, je suis sorti d’une autre manière. Ma vie, là, a changé. Et qu’est-ce qui m’a fasciné chez Jésus et dans l’Évangile ? Je ne sais pas… sa proximité avec moi : le Seigneur ne m’a jamais laissé seul, même dans les moments durs et obscurs, même dans les moments de péchés… Parce que nous devons aussi dire cela : nous sommes pécheurs. Et nous le disons en théorie, mais pas dans la pratique ! Je me souviens des miens et j’en ai honte. Même dans ces moments, jamais le Seigneur ne m’a laissé seul. Et pas seulement moi, tous. Le Seigneur n’abandonne jamais personne.
Et j’ai entendu cet appel à devenir prêtre et religieux. Le prêtre qui m’a confessé ce jour-là, que je ne connaissais pas, était là par hasard, parce qu’il avait une leucémie, il suivait des soins, il est mort un an plus tard. Et ensuite, c’est un salésien, comme toi, qui m’a guidé, un salésien qui m’avait baptisé. Je suis allé le trouver et il m’a guidé chez les jésuites… Œcuménisme religieux ! Mais dans les moments plus durs, la mémoire de cette première rencontre m’a beaucoup aidé, parce que le Seigneur nous rencontre toujours définitivement, le Seigneur n’entre pas dans la culture du provisoire : il nous aime pour toujours, il nous accompagne pour toujours.
Et donc : proximité avec les personnes, proximité entre nous ; prophétie par notre témoignage, par notre cœur qui brûle, avec le zèle apostolique qui réchauffe le cœur des autres, même sans paroles, comme ces petites sœurs coréennes ; et mémoire, y revenir sans cesse.
Et je vous donne un conseil : prenez le livre du Deutéronome, là où Moïse fait mémoire du peuple, et faites, vous, la mémoire de votre vie : « Quand j’étais esclave, là, comment le Seigneur m’a libéré, et comment… » C’est beau. À la fin, presque à la fin du livre, il enseigne comment on doit aller apporter son offrande au temple, et il dit : « Mon père était un Araméen errant… » Apprendre à raconter son histoire devant le Seigneur : « J’ai été esclave, le Seigneur m’a libéré et c’est pour cela que je viens et que je fais la fête ! » Faire la fête : quand tu te souviens des merveilles que le Seigneur a faites dans ta vie, tu as envie de fêter cela, tu as un sourire qui va d’une oreille à l’autre, de ces beaux sourires, parce que le Seigneur est fidèle ! Prophétie, mémoire, proximité, cœur qui brûle, zèle apostolique, culture du définitif, non au « jeter après usage ».
Et je veux finir avec deux mots. L’un qui est le symbole du pire, je ne sais pas si c’est le pire mais c’est un des pires comportements d’un religieux : se regarder soi-même, le narcissisme. Gardez-vous-en ! Et nous vivons dans une culture narcissique et nous avons toujours cette tendance à nous regarder. Non au narcissisme, au regard sur soi. Et oui, au contraire, à ce qui dépouille de tout le narcissisme, oui à l’adoration. Et je crois que c’est un des points sur lesquels nous devons progresser.
Tous, nous prions, nous rendons grâce au Seigneur, nous demandons des faveurs, nous louons le
Seigneur… Mais je pose une question : Adorons-nous le Seigneur ? Toi, religieux ou religieuse, as-tu la capacité d’adorer le Seigneur ? La prière d’adoration silencieuse : « Tu es le Seigneur », est le contraire du regard sur soi propre au narcissisme. Adoration, je veux terminer sur ce mot : soyez des femmes et des hommes d’adoration. Et priez pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Constance Roques