Cardinal Antonio Luis Tagle, Capture CTV

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"Dieu croit en nous", par le card. Tagle

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L’apparition du Christ ressuscité à Notre Dame

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« Du sein de ma mère l’Église, communauté pleine de l’Esprit, j’ai commencé mon voyage en tant qu’évêque dans l’espérance de témoigner du Christ ressuscité et dans la certitude de pouvoir toujours regarder Marie, signe d’espérance et de consolation »: c’est l’archevêque de Manille, le cardinal Luis Antonio Gokim Tagle, président de Caritas Internationalis, évoque l’apparition du Christ ressuscité à sa Mère, dans L’Osservatore Romano en italien du 31 août 2018.
Les évangiles n’en parlent pas mais dans les Exercices Spirituels, saint Ignace de Loyola évoquait déjà « l’apparition du Christ ressuscité à Notre Dame » en deux endroits, notamment au n. 299 où il écrit: « Jésus ressuscité apparut premièrement à la Vierge Marie. Quoique l’Écriture n’en fasse pas mention, elle nous le donne assez à entendre, en disant qu’il apparut à tant d’autres. Elle suppose que nous avons l’intelligence, et que nous ne voulons pas mériter le reproche que le Sauveur fit un jour à ses Apôtres: Êtes-vous encore sans intelligence?
Aux Philippines, il y existe le rite de l’« encuentro » dont parle le cardinal Tagle.
Voici notre traduction de la méditation du cardinal Tagle sur cette apparition. Elle est publiée par L’Osservatore Romano en italien du 31 août 2018.
AB
Dieu croit en nous
Bien que nous ne trouvions aucun récit de l’apparition du Ressuscité à sa mère Marie dans les Évangiles, la dévotion populaire a toujours célébré cet événement. Aux Philippines, il existe le rite de l’ « encuentro » (la rencontre) ou « salubong » à l’aube du dimanche de Pâques, lorsque le Christ victorieux de la mort rencontre sa mère, la Vierge des Douleurs, et lui apporte la joie de sa vie ressuscitée. En effet, cela heurte la sensibilité des fidèles de voir Jésus apparaître à tant de personnes, dont ses amis qui l’avaient trahi, et oublier de rencontrer sa mère, elle qui est restée près de la croix dans une attitude de service plein d’amour envers son fils agonisant. Elle, qui a voulu partager la douleur de Jésus mérite plus que personne la joie suprême de le voir justifié par la gloire de Dieu. Il n’est pas possible que le Christ soit apparu à tout le monde sauf à sa mère, et nous exprimons cette foi simple mais profonde dans l’ « encuentro ». Une expression de foi qui est aussi une expression d’espérance.
Le rite de l’ « encuentro » suit le schéma des récits bibliques de la découverte de la tombe vide et des premières apparitions aux femmes. Les enfants déguisés en anges chantent à Marie : « Reine du ciel, réjouis-toi, parce que le Fils que tu as porté en ton sein est ressuscité, alleluia ! » Tandis qu’ils annoncent la bonne nouvelle, les anges enlèvent le voile noir qui couvre Marie et devant elle resplendit son fils dans la gloire de la Résurrection. Réunis, ils entrent dans l’église avec l’assemblée pour louer le Père et lui rendre grâce. Il s’agit d’un récit biblique sous la forme d’un rite ou d’une représentation. Pour les fidèles, c’est une proclamation de la Bonne Nouvelle. L’ « encuentro » invite les fidèles à contempler Jésus avec les yeux remplis de joie de sa mère et à regarder Marie comme le signe d’une espérance sure alors qu’ils sont les témoins des crucifixions qui se produisent tous les jours autour d’eux. Comme Marie, qui est restée courageusement avec son fils crucifié et qui a vécu pour le voir glorifié, eux aussi espèrent voir arriver le jour béni où ils pourront enfin assister à la gloire parmi toutes les crucifixions de leur vie.
Un jour où il faisait une chaleur atroce, alors que j’étais encore séminariste, je décidai d’aller manger un banana split chez un glacier voisin. Tandis que j’avalais mon dessert, je vis entrer une femme avec son enfant. Pauvres, mais dignes. L’enfant devait avoir deux ans. La femme passa sa commande, s’assit à la table à côté de la mienne et attendit. Le serveur arriva et leur servi une boule de glace à chacun. C’était, d’après mes souvenirs, la glace la moins chère de la carte. Elle ne correspondait vraiment pas à la publicité du « parfum du mois ». Quand le serveur s’est éloigné, la mère a ouvert son sac, a pris une bougie, l’a mise sur le gâteau, l’a allumée et a chanté dans un filet de voix : « Joyeux anniversaire… ». Il n’y avait pas d’autres enfants, pas de ballons, de clowns ni de jouets. Ni vêtement neuf ni décorations ni serpentins ; seulement une mère qui faisait en sorte que le jour de la naissance de son fils ne tombe pas dans l’oubli. Le monde entier aurait pu l’oublier ou ne pas le savoir, mais pas sa mère. Elle ne l’aurait jamais oublié, et cela lui suffisait. Je récitai pour eux une prière en silence en laissant fondre mon banana split.
La rencontre avec son fils ressuscité n’est pas la première occasion où Marie donne l’exemple de l’espérance. Toute sa vie fut un voyage de l’espérance entre ambigüité et absurdité. À l’Annonciation, elle accueillit Dieu malgré l’ambigüité de cet appel. Son âme magnifia le Seigneur dans un chant qui exaltait les grandes actions de Dieu parmi les désastres de l’histoire d’Israël. Elle donna la preuve d’une grande espérance quand elle veillait sur l’enfant Jésus menacé par un assassin insensé et jaloux. Une espérance alimentée par Siméon, qui salua son fils comme la lumière qui révèle Dieu aux nations et qui prophétisa aussi les blessures qui lui seraient infligées à cause de Jésus. Les paroles mystérieuses et le comportement de Jésus, à l’âge de douze ans, lorsqu’avec Joseph elle le retrouva dans le temple après une recherche longue et angoissée, instillèrent en elle l’espérance, plutôt que l’amertume. La douleur causée par la mort absurde de son fils, abandonné par ses amis et apparemment aussi par son Père, aurait suffi à détruire n’importe quelle mère. Mais l’espérance de Marie était plus grande que sa douleur. Elle ne comprenait pas totalement tous ces événements de la vie de Jésus, mais elle les gardait tous dans son cœur.
Nous apprenons de Marie que l’espérance consiste à garder la mémoire de Jésus, souvent si difficile à porter et à comprendre, dans notre cœur. Lui, il reste dans son cœur, quoi qu’il arrive. L’espérance est l’attente patiente que la promesse soit avérée même quand tout semble perdu. L’espérance, c’est rester avec son fils parce qu’il est le don de Dieu. L’espérance, c’est découvrir lentement et douloureusement qui est Jésus tandis que le plan mystérieux de Dieu se révèle en lui.
Marie a été la principale disciple et élève de son fils. Il n’y a peut-être pas eu un seul moment de sa vie où elle n’ait pas appris quelque chose sur lui et de lui. C’est pour avoir appris de Jésus qu’elle est en communion avec lui. Et la communion avec lui la conforma à sa volonté et à ses voies. Et elle s’est comportée selon ce qu’elle avait appris ! Son histoire dans les Écritures est celle d’une femme qui écouta, opéra un discernement et se comporta en conséquence. Pour Marie, l’espérance n’est pas de l’inactivité ou de la passivité qui laisse les choses au hasard. La certitude de la foi, même quand elle ne comprenait pas tout, la poussait à agir. La foi, après tout, porte du fruit dans l’action. L’espérance consiste à participer à la réalisation de la promesse de Dieu en faisant, pas seulement en regardant. Marie a fait selon ce qu’elle avait appris comme disciple du Père et de Jésus.
La condition de disciple de Marie est un autre motif qui en fait pour nous l’icône de l’espérance. Beaucoup de chrétiens ont besoin d’apprendre d’elle la dimension active de l’espérance. Rassurés par la foi en Dieu qui reste avec nous même au milieu des expériences les plus sombres, nous devrions avoir le courage d’agir avec Dieu de sorte que les croix de notre peuple puissent conduire à une vie nouvelle. « Trop de paroles et peu d’action », telle est notre limite aux Philippines, et peut-être dans le monde entier. Mais ce que nous devons poursuivre, ce n’est pas n’importe quelle action, mais celle qui naît de l’union à la volonté et à l’agir du Christ.
J’ai eu le privilège de travailler comme bénévole pour les Missionnaires de la Charité de Mère Teresa de Calcutta dans une maison pour personnes abandonnées et pour malades du sida, à Washington. Un matin, la supérieure m’appela pour me dire que le restaurant qui aurait dû fournir le déjeuner ce jour-là n’était pas en mesure de le faire. Il était déjà dix heures. « Et comment allons-nous donner à manger aux patients ? », demandai-je. « Prépare-leur toi-même le déjeuner, Père », me dit-elle. « Mais je ne peux pas faire la cuisine pour quatre-vingt personnes », ai-je protesté. « Et puis je ne sais faire que la cuisine philippine ». « Alors, prépare un repas philippin », répondit-elle. Je protestai encore, mais elle insista. « Nous ne pouvons pas nous plaindre que nos patients restent sans nourriture et ne rien faire pour les nourrir ». Confus, il ne me resta qu’à accepter. « Je vais essayer ». Puis elle me demanda : « Que savez-vous faire ? » Je répondis : « Du riz, du poulet et des légumes frits ». « C’est bien », répondit-elle. « Regarde ce qu’il y a dans le freezer et que tu peux utiliser et nous achèterons le reste ». En réfléchissant, je demandai : « Mais les patients mangeront-ils un plat philippin ? » « Nous leur dirons que c’est de la cuisine chinoise », répliqua la supérieure. Je fis la cuisine, je les servis et j’eus la joie de constater qu’il n’en restait pas une miette. Ils avaient apprécié ma cuisine chinoise !
Marie, qui avait suivi Jésus en voyageant avec lui depuis son Incarnation jusqu’à sa Résurrection – méditant, apprenant et agissant – était aussi avec les disciples dans la salle à l’étage. Avec eux, elle devait recevoir la force de témoigner du Christ. À quoi pensait-elle pendant qu’elle attendait l’Esprit Saint avec les disciples au cénacle ? Ce n’était pas la première fois qu’elle l’accueillait. Elle l’avait déjà reçu dans une autre salle, sa simple chambre à Nazareth. L’Esprit était descendu sur elle, comme l’avait annoncé l’archange Gabriel, et le Fils de Dieu avait été conçu dans son sein comme son propre fils. Ce Fils, qui est l’amour du Père, s’était fait chair dans son ventre par l’intermédiaire de l’Esprit Saint.
Conçu par l’Esprit, Jésus en fut comblé dans toute sa vie et sa mission. Et il avait promis que ce même Esprit serait donné par le Père à ses disciples dans la salle haute. Il était juste qu’elle, qui avait accueilli l’Esprit dans la petite pièce de Nazareth pour enfanter Jésus en l’apportant au monde, se trouve dans la salle haute avec les disciples, dans l’attente de l’Esprit promis afin qu’ils puissent apporter Jésus comme la Bonne Nouvelle dans le monde. Comme Marie, les disciples seront les « porteurs » de Jésus au monde en tant que ses témoins. L’Esprit nous donne Jésus pour que nous puissions, à notre tour, lui rendre témoignage.
Marie, femme comblée de l’Esprit, véritable porteuse de Dieu, Theotokos, est un signe d’espérance pour nous. Souvent nous hésitons à être les porteurs du mystère du Christ. Nous nous sentons indignes et incapables. Laissons-nous inspirer par Marie. Étant femme, elle était d’une humble condition sociale. Et elle avait pourtant trouvé grâce aux yeux de Dieu. Elle était pleine de grâce. Le Seigneur a considéré son humilité et l’a transformée en béatitude. De la salle haute, elle deviendrait la mère et la compagne des disciples, qui étaient humbles, pécheurs et imparfaits, mais aussi choisis à l’avance pour témoigner du Christ jusqu’à la fin des temps.
Marie, qui a porté Jésus et témoigné de lui, est source d’espérance pour nous, simples et fragiles êtres humains, qui sommes appelés par l’Esprit à porter Jésus et à témoigner de lui à notre époque. Nous pourrions nous demander comment c’est possible… Apprenons de Marie, qui a accueilli l’Esprit. L’espérance, c’est permettre à l’Esprit de Jésus d’accomplir les merveilles que nous ne pouvons pas réaliser. L’espérance, c’est faire en sorte que nos voiliers terrestres portent un trésor aussi grand ! Nous ne le déclarons pas par orgueil, mais simplement parce que nous nourrissons l’espérance dans l’Esprit. Nous, les Philippins, si habitués à nous considérer humbles et même inférieurs aux autres, nous pouvons regarder Marie comme un modèle d’espérance. Accepter notre humilité doit nous conduire à nous ouvrir à l’Esprit, afin que nous puissions faire de grandes choses ou, plus précisément, que Jésus puisse faire de grandes choses.
Ma famille savait bien que je ne voulais pas devenir évêque. Mais le jour de mon ordination épiscopale, je fus consolé par la vue de la foule qui était venue prier et se réjouir. Mon espérance fut ensuite confirmée lorsque je vis les gens simples du diocèse – paysans, pêcheurs, ouvriers, étudiants, catéchistes, jeunes et autres – apporter les dons en avançant au rythme des danses traditionnelles. Les simples de Dieu dansaient, joyeux, reconnaissant l’œuvre de l’Esprit dans le don d’un évêque. À la fin de la procession, mes parents et mon frère portèrent le pain et le vin avec simplicité. Pendant un instant, je me suis rendu compte que je venais d’une famille comme tant d’autres. Comment mon père et ma mère pouvaient-ils être les parents d’un évêque, et mon frère le frère d’un évêque ?
Après m’avoir remis les dons, ma mère prit son mouchoir, m’essuya le front et me dit : « Aie confiance. Nous serons toujours là pour te soutenir ». Elle croit dans l’Esprit qui peut agir à travers son fils. Elle croit que je peux apporter Jésus à l’Église. Comme mère, elle aussi a dû être dans sa chambre à Nazareth et dans la chambre haute.
Du sein de ma mère l’Église, communauté pleine de l’Esprit, j’ai commencé mon voyage en tant qu’évêque dans l’espérance de témoigner du Christ ressuscité et dans la certitude de pouvoir toujours regarder Marie, signe d’espérance et de consolation.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
 

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Hélène Ginabat

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