Coronaspection est une série de 40 entretiens vidéo réalisés avec des chefs religieux de 15 pays et 7 religions sur les défis du Covid-19 par Alon Goshen-Gottstein un spécialiste des études juives et un théoricien et activiste dans le domaine du dialogue interreligieux.
Il est fondateur et directeur de l’Elijah Interfaith Institute depuis 1997. Il s’est spécialisé dans le rapprochement de la dimension théologique et académique avec une variété d’initiatives pratiques, impliquant notamment les dirigeants religieux mondiaux.
Il explique cette nouvelle initiative sur les défis spirituels résultant du Covid-19 aux lecteurs de Zenit.
Zenit – Qu’est-ce que l’initiative Coronaspection ?
Alon Goshen-Gottstein – Coronaspection est une série de 40 entretiens vidéo que j’ai réalisés avec des chefs religieux du monde entier sur les défis spirituels résultant du Covid-19. Ils sont tous présentés sur le site www.coronaspection.org. Pendant la période du coronavirus, il y a eu une grande soif d’enseignements spirituels. Cela fait partie de ce que nous avons appris des entretiens avec les chefs religieux. Il y a un pouvoir particulier dans les enseignements qui sont donnés par des leaders de différentes religions.
Ce qui est étonnant, c’est qu’à bien des égards, la religion dont on parle n’a aucune importance. Les enseignements étaient naturellement très universels par nature, et pouvaient servir à tout le monde. Ainsi, Coronaspection finit par être une ressource fantastique de spiritualité et de sagesse en temps de crise.
En plus des 40 interviews, nous avons environ 170 perles de sagesse plus courtes que nous avons extraites des interviews. Celles-ci contribuent également au sens de la sagesse et à la pertinence contemporaine des messages. Je pense que les enseignements et les messages survivront à la situation du Covid-19 et conserveront leur pertinence pendant longtemps. La sagesse des religions est universelle, je dirais même éternelle. Elle s’exprime de manière particulière dans des conditions de stress et de crise, et c’est ce qu’elle a fait pendant cette période du coronavirus.
Quel est le message du pape François ?
Je suis reconnaissant envers le pape François de m’avoir permis de reprendre les homélies et les enseignements qu’il a donnés pendant la période de Pâques, sous la forme d’une interview, conformément à la façon dont Coronaspection a été conçu. Les messages du pape François sont puissants, mais ils sont diffusés sur un mode différent de la plupart des contributions de notre projet, car ils sont tirés de ses homélies et de ses prédications autour de la période de Pâques. Pourtant, ce fait même nous permet de reconnaître un équilibre important entre l’universel et le particulier.
Le chef de la plus grande organisation religieuse au monde donne un enseignement fondé sur le récit de l’Evangile. Son art de la prédication fait vivre l’histoire biblique, mais pas seulement pour les fidèles chrétiens. Son message est formulé dans les termes les plus universels, de sorte qu’il peut s’adresser à toutes les religions. Son message est axé sur la peur et l’espérance. Il y a un droit à l’espérance, une espérance nouvelle et vivante qui vient de Dieu, qui est bien plus qu’un simple optimisme. François se situe dans le domaine de la phénoménologie et de l’expérience religieuses et, ce faisant, il ouvre une vision d’une dimension de la foi qui est elle-même universelle.
D’autres messages ont également une signification universelle : « Nous avons été placés dans ce monde pour l’aimer, Lui et nos prochains. Tout le reste passe, seul cela reste. La tragédie que nous vivons en ce moment nous invite à prendre au sérieux les choses sérieuses, et à ne pas nous laisser prendre par celles qui comptent moins, à redécouvrir que la vie ne sert à rien si elle n’est pas utilisée pour servir les autres. Car la vie se mesure à l’amour ».
Le grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni participe-t-il aussi à l’initiative ?
Oui, bien sûr. Il était également important pour moi de tendre la main au rabbin Di Segni afin que nous puissions avoir une voix correspondant à celle du pape François. Le coronavirus a frappé très durement la communauté juive en Italie en général et à Rome en particulier. Des deux objectifs du projet Coronaspection – comprendre comment les communautés religieuses ont fait face à la crise et la sagesse intemporelle qui se dégage de la situation – cette interview tend davantage à comprendre les difficultés en temps réel que le covid-19 a fait subir à la communauté. En invitant le rabbin Di Segni à participer au projet, j’avais cherché à mettre en avant les défis quotidiens des dirigeants locaux, comme je l’ai fait pour d’autres interviews qui ont donné le même point de vue depuis l’Italie (l’évêque Sorrentino et Maria Voce).
La tension entre l’universel et le particulier se joue aussi dans les relations majorité-minorité. La communauté juive est une communauté minoritaire, qui lutte pour sa survie et pour maintenir sa vie communautaire et sa vie rituelle, conformément à la particularité de l’observance religieuse, typique de la vie juive orthodoxe. Le contraste avec le contexte chrétien plus large apparaît tout au long de l’entretien, à mesure que nous prenons conscience des défis que représente le maintien de l’observance des rituels juifs. Alors que les églises sont ouvertes pour la prière privée, les synagogues sont fermées. Des différences fondamentales entre les pratiques de prière juives et chrétiennes sont mises en lumière. Si le pape pouvait diffuser sa messe quotidienne, les observances halakhiques suivies par le rabbin Di Segni empêchent la tenue de services en ligne. Cela amène le rabbin à réfléchir sur l’authenticité religieuse et ses défis contemporains.
Dans le contexte des défis très particuliers rencontrés par la communauté juive, il est intéressant de noter le haut degré d’universalité qui se dégage du partage du rabbin. La réalité existentielle fondamentale de la peur, de la solitude et des difficultés financières est partagée avec l’ensemble de la société. Par conséquent, les enseignements offerts par la communauté juive en interne ont été repris par la société dans son ensemble. Les messages partagés sur Facebook, comme le fait de s’appuyer la métaphore de l’arche de Noé pendant cette période, ont été repris par l’ensemble de la société.
Le rôle du chef religieux est une préoccupation qui ressort de l’interview du rabbin Di Segni et qui est pertinente pour les trois contributions de la présente introspection, ainsi que pour le projet dans son ensemble. Une dimension de la « description de poste » du rabbin est particulière à la tradition juive – statuer sur des questions de droit juif, la halacha. D’autres dimensions sont plus universelles – les responsabilités pastorales en tant que telles sont universelles, en particulier la nécessité d’apporter réconfort et soutien à ceux qui souffrent. Il en va de même pour le rôle du rabbin en tant que dispensateur de soutien matériel et de charité. En effet, le rabbin Di Segni considère cela comme un domaine d’intérêt commun et un domaine d’apprentissage entre les religions.
Parmi les autres participants, quelles interventions vous ont frappé ?
Si nous continuons sur cette ligne de l’universel et du particulier, je dirais que certains messages universels qui ont émergé du projet m’ont frappé, puis d’autres plus particuliers. Le message universel qui a émergé du projet est présenté dans la bande annonce que nous avons produite.
Cette bande annonce délivre l’un des messages les plus puissants de tout le projet – nous y sommes ensemble, l’humanité est unie. Le coronavirus met en lumière à quel point nous sommes interconnectés. Et l’une de ses conséquences spirituelles est la reconnaissance de cette unité profonde. C’est d’autant plus vrai que certaines des réponses politiques au Covid-19 ont eu davantage tendance à diviser. C’est le moment pour les chefs religieux de faire preuve d’unité. D’autres choses m’ont également frappé. Mais peut-être dois-je laisser cela à un autre épisode de notre conversation ?
Traduction de l’anglais par Hélène Ginabat