« Fatima n’est pas simplement actuel. Plus que cela, son actualité est bouleversante et dramatique… La menace du mal et des conséquences du péché demeure, la souffrance et la persécution des chrétiens continuent et s’accentuent ». C’est ce qu’estime Vincenzo Sansonetti, auteur de l’ouvrage italien « Enquêtes sur Fatima » (« Inchiesta su Fatima », Edutions Mondadori), dans un entretien à ZENIT.
A la veille du pèlerinage du pape François au sanctuaire marial portugais (12-13 mai 2017), il souligne que le pape argentin « a une vision moderne et dynamique de la figure de Marie : elle n’est pas seulement mère, mais sœur, amie, compagne de voyage, toujours proche de nous. Obéissante, humble et accueillante mais aussi courageuse et combative ».
A Fatima, ajoute-t-il encore, la Vierge Marie donne « comme antidote au mal et voie maîtresse pour un nouveau commencement » la prière et la récitation du chapelet.
Zenit – Il y a cent ans, quel était le message des apparitions ?
Vincenzo Sansonetti – Le message de Fatima de 1917 est essentiellement une invitation vigoureuse, mais en même temps douce et maternelle, à la conversion et à la prière, à un moment historique où la présence des chrétiens dans certains pays européens, comme le Portugal, était explicitement combattue par des gouvernements et des groupes de pouvoir clairement anticléricaux et maçonniques. La Vierge apparaît donc à un temps précis, le début du XXème siècle, pour mettre en garde contre l’avènement de ces idéologies totalitaires et antihumaines qui, petit à petit, domineront la scène : précisément en 1917, il y a en effet la révolution bolchévique d’octobre, avec sa forte composante athée et contraire à la religion, définie comme ‘l’opium du peuple’. Et Marie apparaît dans un bourg perdu de paysans et de bergers, loin des grandes villes parce que là, la foi résiste à tous les assauts, en témoignage d’une nation qui conserve encore de fortes traditions chrétiennes malgré la persécution. Les bergers eux-mêmes, bien qu’encore enfants, seront soumis à de lourdes vexations en raison de leur foi simple et franche. « Priez, récitez le rosaire » sont les paroles dites plusieurs fois par la Dame en blanc à Jacinthe, François et Lucie, comme antidote au mal et voie maîtresse pour un nouveau commencement.
Ce message est-il encore actuel ?
Fatima n’est pas simplement actuel. Plus que cela, son actualité est bouleversante et dramatique. Les raisons ne sont pas moindres de rappeler décisivement à l’homme contemporain de ne pas se faire tromper par les faux mythes du succès, de l’autosuffisance et d’une vie terrestre tendue uniquement vers le bien-être matériel. Au contraire, la société semble plus que jamais aujourd’hui la proie des desseins sataniques qui veulent nous éloigner de Dieu et de son amour pour nous. La prophétie de Fatima s’est en partie réalisée avec la chute des deux grandes dictatures du vingtième, le communisme et le nazisme. Il n’y a plus de Troisième Reich ni d’Union soviétique, la « Russie » dont parle la Vierge Marie dans le second secret, et la pratique de la vie religieuse et de nouveau possible dans de nombreuses régions du monde où elle était niée auparavant, mais cela ne signifie pas que Fatima et ce qu’il représente soit une question fermée, à laisser derrière soi avec la fin du vingtième siècle. Le temps de la haine idéologique n’est pas du tout terminé, mais il s’est transformé dans une haine autrement féroce et inhumaine, alimentée par des visions du monde insensées, filles du nihilisme et du relativisme. La menace du mal et des conséquences du péché demeure, la souffrance et la persécution des chrétiens continuent et s’accentuent. L’Église elle-même doit se garder aussi des « ennemis » internes, qui mettent en cause son histoire, sa doctrine, le patrimoine de la foi, privilégiant une dimension « horizontale » qui la réduit à une « agence sociale » amputée du Christ et de son enseignement. Après que l’athéisme militant des décennies passées a réduit à un pur folklore les traditions religieuses, aujourd’hui, le matérialisme pratique dominant dessèche dans les cœurs toute soif d’amour et de vérité. Derrière le paravent des « conquêtes civiles », on violente le donné naturel, détruisant l’identité des personnes et attaquant la famille, au nom d’une « révolution anthropologique » dévastatrice. Le réconfort et l’aide de notre Mère du ciel sont plus que jamais nécessaires.
Durant son pèlerinage, le pape proclamera saints les voyants Jacinthe et François. Y a-t-il un lien entre Fatima et le pontificat de François ?
Certainement, un lien très étroit et peut-être peu connu, qui se manifeste précisément au début du pontificat. Le 13 mai 2013, deux mois après son élection, à l’occasion du 96ème anniversaire de la première apparition à la Cova da Iria, le patriarche de Lisbonne, le cardinal José da Cruz Policarpo – quelques jours avant qu’il ne renonce à son ministère pour atteinte de la limite d’âge – consacre à Fatima le pontificat du pape François à la Très sainte Vierge Marie. Il le fait parce que cela lui a été demandé au moins deux fois par le pape lui-même. Une foule de 300.000 fidèles participe à cet événement solennel, rassemblés sur la grande place des basiliques. Le cardinal Policarpo (décédé moins d’un an plus tard, le 12 février 2014, à l’âge de 78 ans) prie à cette occasion pour que soit donné à François « le don du discernement sur la façon d’identifier les voies du renouveau pour l’Église » et pour que le Saint-Père « soit protégé dans les heures difficiles de la souffrance afin qu’il puisse dépasser, dans la charité, les épreuves que lui présentera le renouvellement de l’Église ».
Dans un message adressé à l’évêque de Leiria-Fatima, Mgr Antonio Augusto dos Santos Marto, le pape François exprime sa « gratitude pour l’initiative et sa profonde reconnaissance pour l’exaucement de son désir ». Le pape argentin s’unit ensuite dans la prière à tous les pèlerins de Fatima, « accordant de tout cœur la bénédiction apostolique ». Cinq mois plus tard, le 13 octobre 2013, le pape Bergoglio consacre le monde à Notre Dame de Fatima. Confirmant une dévotion enracinée, le pape avait tout de suite mis son ministère pétrinien entre les mains de la Vierge. « Je confie mon ministère à la puissante intercession de Marie, notre Mère, Mère de l’Église » : élu depuis à peine deux jours, par ces paroles adressées aux cardinaux dans la Salle Clémentine le 15 mars 2013, il s’était placé aussitôt et ouvertement sous la protection de la Vierge Marie. Son attachement remonte loin et l’accompagne depuis toujours ; son amour pour la Vierge culmine dans la pratique pleine de dévotion de « Marie qui défait les nœuds » qui, grâce à lui, se diffuse dans le monde entier. Le pape François a une vision moderne et dynamique de la figure de Marie : elle n’est pas seulement mère, mais sœur, amie, compagne de voyage, toujours proche de nous. Obéissante, humble et accueillante mais aussi courageuse et combative.
Quelle est votre histoire personnelle avec Fatima ?
Je n’y suis allé que trois fois, la dernière étant l’année dernière – en 2016, justement pour préparer le livre consacré au centenaire des apparitions. Mais chaque fois, j’ai été frappé par l’atmosphère recueillie, sobre, immergée dans la prière. Un lieu qui invite à la méditation et à une réflexion profonde sur sa propre vie, à partir des rappels maternels et fermes de la Vierge.
Si vous deviez choisir trois mots pour définir Fatima, lesquels choisiriez-vous ?
Je choisirais ces trois mots qui, à mon avis, caractérisent l’événement de Fatima : prophétie, enfants/fils, au-delà. ‘Prophétie’ est un terme qui doit être correctement compris. Il ne signifie pas « deviner l’avenir » ou représenter un scénario apocalyptique et dramatique, même si cet aspect est présent, ni une vision de la fin du monde. Prophétie signifie ‘faire voir’ la vérité des choses et de la vie de l’homme : qui suit Dieu et observe ses commandements a un certain parcours existentiel devant lui, peut-être fatigant mais à la fin riche de dons et ouvert à la vie éternelle ; qui ne suit pas Dieu et le combat peut-être – dans la plus grande liberté, parce que l’homme est libre aussi de choisir le mal et sa propre damnation – se trouve en revanche sur un parcours apparemment plus facile et moins accidenté, parmi les applaudissement du monde, mais en réalité destiné au vide, à l’éloignement de la lumière divine.
‘Enfants/fils’ indique l’attitude que nous devrions toujours avoir, à chaque instant de la vie, à savoir nous considérer comme les enfants d’une Mère qui nous aime, nous soutient, nous aide, nous accompagne, nous rappelle, exactement comme le fait une vraie maman. Certes, dans une société qui rend pratiquement vaine la figure de la mère… il est ardu de parler d’attentions et de soins maternels. Fatima nous invite justement à nous réapproprier la figure de la mère.
Enfin, l’ ‘au-delà’ : le destin qui attend chacun de nous, dont toutefois presque personne ne parle plus. Parce que c’est embarrassant, c’est engageant, c’est exigeant. Mais demandons-nous : tout finit-il avec la mort ? Finissons-nous dans un trou noir où se perdent notre vie, nos efforts, nos rêves ? Ou bien sommes-nous attendus par une lumière éternelle qui ne baisse pas et qui valorise tout ce que nous avons été dans notre existence terrestre ? Fatima ouvre une déchirure sur la vie éternelle et l’au-delà, qui ne peut que nous réconforter.
Fatima est un « mystère qui inquiète mais qui console », comme le définit Vittorio Messori dans la préface de votre livre. Qu’est-ce que cela signifie ?
Certes, nous ne pouvons pas cacher le fait que le message de Fatima a certainement des aspects inquiétants, qui peuvent nous faire peur. Que l’on pense à la vision de l’enfer, que l’on pense à l’annonce de nouvelles guerres et souffrances pour l’humanité et pour l’Église. Mais c’est une inquiétude qui naît dans le cœur lorsqu’il ne s’abandonne pas, avec confiance, à Dieu et au Cœur immaculé de Marie. Qui vit de la foi sait que le mal est vaincu, que le péché est vaincu, que Satan est vaincu. La vie terrestre est le temps qui nous est donné pour acquérir, dans la liberté, cette certitude. Les premières paroles adressées par la Vierge Marie aux petits bergers ont été : « N’ayez pas peur, je ne vous fais pas de mal ». Ce sont presque toujours les paroles que la Vierge adresse aux voyants quand elle se manifeste à eux : des propos rassurants, une caresse et un sourire maternels, une invitation à prendre au sérieux la vie chrétienne. Avant de partir pour Fatima, le pape François a rencontré les prêtres du Collège pontifical portugais de Rome. Après avoir souligné que « la rencontre avec la Vierge Marie a été pour les bergers une expérience de grâce qui les a fait tomber amoureux de Jésus », Bergoglio a exhorté à avoir « au-delà de tout autre objectif » précisément « la connaissance et l’amour du Christ » en cherchant à « se conformer de plus en plus à lui jusqu’au don total de soi ». En pratique, il s’agit de « faire l’expérience de la présence d’amour de Dieu ». Dans cette perspective se situe la dévotion à la Vierge Marie qui nous aide « à goûter Dieu comme la réalité la plus belle de l’existence humaine », parce que Marie et une « tendre et bonne maîtresse ». Il a ajouté : « Regardez-la et laissez-vous regarder par elle, parce qu’elle est votre mère et elle vous aime beaucoup : laissez-vous regarder par elle pour apprendre à être plus humbles et aussi plus courageux pour suivre la Parole de Dieu ». En outre, a conclu François, « la dévotion envers Marie nous aide à avoir un bon rapport avec l’Église : elles sont mères toutes les deux. Et, en tant que mères, il faut les écouter.
© Traduction de Zenit, Constance Roques
Statue de Notre Dame de Fatima © courtoisie du sanctuaire
L'actualité "bouleversante et dramatique" de Fatima
Entretien avec Vincenzo Sansonetti, auteur d’une « Enquête sur Fatima »