Ce soir les députés français discutent d’une proposition de loi, soutenue par le gouvernement, visant à lever l’interdiction de principe des recherches sur l’embryon humain, ou les cellules souches issues d’embryons détruits, au profit d’un régime d’autorisation sous conditions. La discussion aura lieu dans une précipitation fort peu démocratique. En effet, la loi de bioéthique actuellement en vigueur en France demande que toute réforme sur les questions éthiques et de société soit précédée par un débat public sous forme d’états généraux. Il n’en a rien été. C’est d’ailleurs à l’issue d’un tel débat que les parlementaires, il y a deux ans, avaient maintenu le principe d’interdiction de recherches portant atteinte à l’intégrité de l’embryon humain, tout en autorisant sous certaines conditions, il est vrai, des dérogations.
Certains veulent donc aller plus loin et sacrifier totalement l’embryon humain à la passion intellectuelle de certains chercheurs et aux espoirs commerciaux de quelques industriels en faisant appel à ce qui devient chez nous une obsession de la santé parfaite. Pour ce faire nous avons pu entendre ces derniers jours un langage séducteur qui, comme toujours dans ces cas-là, prend de singulières libertés avec la vérité.
L’embryon humain, nous dit-on, est un simple « amas de cellules » sans conscience. C’est scientifiquement faux : l’embryon humain n’est pas un tas de cellules assemblées sans ordre, il est dès le début de sa vie un être dont le développement est prodigieusement organisé en vue d’une finalité précise : constituer une personne dans toutes ses capacités. C’est éthiquement hasardeux : faut-il qu’un être humain soit conscient pour être pleinement respectable ? La réalité est que tout corps humain vivant manifeste une présence humaine. Mais peut-être que notre orgueil prométhéen ne supporte pas d’avoir commencé avec le diamètre d’un cheveu.
Ouvrir en grand la porte des recherches sur l’embryon permettrait des grands progrès thérapeutiques, par exemple pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives ? La réalité est que, là où elle est autorisée, la recherche sur les embryons humains piétine depuis des années et que les espoirs thérapeutiques sont aujourd’hui proches de zéro. Les équipes ont rencontrées de grosses difficultés liées à des questions de rejet immunitaires et à des développements de tumeurs.
Peut-être, nous dit-on, mais la recherche sur l’embryon reste importante pour tester l’efficacité de futurs médicaments. Dans ce domaine, les cellules reprogrammées (iPS) travaillées par le prix Nobel Shinya Yamanaka apparaissent aujourd’hui aussi efficaces. Rappelons que ce grand scientifique a été stimulé dans ses recherches par la volonté éthique de ne plus avoir à détruire des embryons. A partir de ses travaux des essais cliniques sont déjà envisagés.
Loin de favoriser une plus grande coopération dans la recherche internationale, la proposition de loi discutée ce soir, si elle est votée, creusera un peu plus le retard français en matière de recherche cellulaire. D’autant plus qu’elle supprimerait le devoir inscrit dans la loi actuelle de favoriser des recherches alternatives conformes à l’éthique à partir de cellules souches, par exemple issues de l’organisme adulte ou du sang de cordon ombilical, qui aujourd’hui permettent déjà de soigner et de guérir des malades (maladies de peau et du sang).
Résister à ce discours séducteur nécessite un sursaut de la conscience. Conscience des politiques bien sûr – et certains s’y engagent courageusement –, conscience des scientifiques mais aussi conscience de chacun de nous. Quel effort déployons-nous pour nous informer alors que les technologies actuelles de l’information nous facilitent la tâche ? Sommes-nous prêts à plus de tempérance en matière de santé ? Sommes-nous prêt à des renoncements pour préserver une société solidaire ? Pour citer un exemple : sommes-nous prêt à remettre en cause la logique des techniques de fécondation artificielle à l’origine des 170 000 embryons congelés stockés en France aujourd’hui ?
En rendant visite aux migrants désemparés de Lampedusa, le Pape François nous rappelle avec la vigoureuse douceur de l’Evangile que nos pays ne peuvent être réduits à des espaces marchands au détriment des plus vulnérables. Ne sacrifions pas cet être hautement vulnérable qu’est l’embryon humain aux visées utilitaristes d’une société du bien-être.
Père Brice de Malherbe
Professeur à la Faculté Notre-Dame de Paris
Co-directeur du département d’éthique biomédicale
Collège des Bernardins