Rencontre avec les jeunes universitaires © Vatican Media

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Rencontre avec les jeunes universitaires

Nous vivons une troisième guerre mondiale feutrée qui ne fait que commencer

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Jeudi 3 août, le Saint-Père a rencontré les jeunes de l’Universidade Católica Portuguesa de Lisbonne. Le pape mène une réflexion autour des deux verbes ‘chercher’ et ‘risquer’ et interpelle les pèlerins du savoir sur leur engagement dans le monde, à devenir des maîtres d’espérance et appelle les jeunes à une conversion des cœurs. Il invite tous les jeunes à être non seulement des chrétiens convaincus, mais convainquant. Nous publions le texte complet traduit par le Vatican.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Merci, Madame la Rectrice, pour vos paroles. Obrigado. Vous avez dit que nous nous sentons tous « pèlerins ». C’est un beau mot dont la signification mérite d’être méditée. Il signifie littéralement laisser de côté la routine habituelle et se mettre en chemin avec une intention, en se déplaçant « à travers les champs » ou « au-delà de ses frontières », c’est-à-dire hors de sa zone de confort, vers un horizon de sens. Dans le mot « pèlerin », nous voyons se refléter la condition humaine, parce que chacun est appelé à se confronter à de grandes questions qui n’ont pas de réponse, une réponse simpliste ou immédiate, mais qui invitent à accomplir un voyage, à se dépasser, à aller plus loin. C’est un processus qu’un universitaire comprend bien, car la science naît ainsi. Et ainsi grandit également la recherche spirituelle. Être pèlerin, c’est marcher vers un but ou chercher un but. Il y a toujours le danger de marcher dans un labyrinthe, où il n’y a pas d’objectif. Et même pas de sortie. Méfions-nous des formules préfabriquées – ce sont des labyrinthes – méfions-nous des réponses qui semblent à portée de main, tirées de la manche comme des cartes à jouer truquées ; méfions-nous de ces propositions qui semblent tout donner sans rien demander. Méfions-nous ! Cette méfiance est une arme pour pouvoir avancer et ne pas continuer à tourner en rond. Dans une parabole de Jésus, trouve la perle de grande valeur celui qui la cherche avec intelligence et avec un esprit d’initiative, et il donne tout, il risque tout ce qu’il a pour l’avoir (cf. Mt 13, 45-46). Chercher et risquer : voilà les deux verbes du pèlerin. Chercher et risquer.

Pessoa a dit, de manière tourmentée mais correcte, qu’« être insatisfait, c’est être homme » (Mensagem, O Quinto Império). N’ayons pas peur de nous sentir inquiets, de penser que ce que nous faisons ne suffit pas. Être insatisfait, dans ce sens et dans une juste mesure, est un bon antidote contre la présomption d’autosuffisance et contre le narcissisme. L’imperfection caractérise notre condition de chercheurs et de pèlerins, comme dit Jésus, nous sommes dans le monde, mais nous ne sommes pas du monde (cf. Jn 17, 16). Nous marchons « vers ». Nous sommes appelés à quelque chose de plus, à un décollage sans lequel il n’y a pas de vol. Ne nous alarmons pas alors si nous nous trouvons assoiffés de l’intérieur, inquiets, inachevés, avides de sens et d’avenir, com saudades do futuro ! Et ici, avec la saudade de l’avenir, n’oubliez pas de garder vivante la mémoire de l’avenir. Ne soyons pas malades, soyons vivants ! Inquiétons-nous plutôt lorsque nous sommes prêts à remplacer la route à faire par un quelconque point de rafraîchissement, pourvu qu’il nous donne l’illusion du confort ; lorsque nous remplaçons les visages par les écrans, le réel par le virtuel ; lorsque, à la place des questions qui déchirent, nous préférons les réponses faciles qui anesthésient. Et nous pouvons les trouver dans n’importe quel manuel sur les relations sociales, comment bien se comporter. Les réponses faciles anesthésient.

Chers amis, permettez-moi de vous dire : cherchez et risquez. En ce moment historique, les défis sont énormes, les gémissements douloureux – nous vivons une troisième guerre mondiale par morceaux –, mais nous embrassons le risque de penser que nous ne sommes pas en agonie, mais en accouchement ; non pas à la fin, mais au début d’un grand spectacle. Il faut du courage pour penser cela. Soyez donc des protagonistes d’une « nouvelle chorégraphie » qui mette au centre la personne humaine, soyez chorégraphes de la danse de la vie. Les paroles de Madame la Rectrice ont été pour moi inspirantes, en particulier quand elle a dit que « l’université n’existe pas pour se préserver comme institution, mais pour répondre avec courage aux défis du présent et de l’avenir ». L’auto-préservation est une tentation, c’est un réflexe conditionné par la peur qui fait regarder l’existence de manière déformée. Si les graines se préservaient, elles gaspilleraient complètement leur puissance génératrice et elles nous condamneraient à la faim ; si les hivers se préservaient, il n’y aurait pas l’émerveillement du printemps. Ayez donc le courage de remplacer les peurs par des rêves. Remplacez les peurs par les rêves : ne soyez pas administrateurs de peurs, mais des entrepreneurs de rêves !

Ce serait un gaspillage de penser à une université engagée à former les nouvelles générations uniquement pour perpétuer le système élitiste et inégal actuel du monde, où l’enseignement supérieur reste un privilège pour quelques-uns. Si la connaissance n’est pas accueillie comme une responsabilité, elle devient stérile. Si celui qui a reçu un enseignement supérieur (qui reste aujourd’hui, au Portugal et dans le monde, un privilège) ne s’efforce pas de restituer ce dont il a bénéficié, il n’a pas compris tout à fait ce qui lui a été offert. J’aime penser au Livre de la Genèse ; les premières questions que Dieu pose à l’homme sont : « Où es-tu ? » (Gn 3, 9) et « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). Ça nous fera du bien de nous demander, demandons-nous : Où suis-je ? Suis-je enfermé dans ma bulle ou est-ce que je cours le risque de sortir de mes sécurités pour devenir un chrétien pratiquant, un artisan de justice, un artisan de beauté ? Et encore : Où est mon frère ? Des expériences de service fraternel comme la Missão Pais et beaucoup d’autres qui naissent du milieu académique devraient être considérées comme indispensables pour ceux qui passent par une université. Le diplôme ne doit en effet pas être considéré seulement comme une permission pour construire le bien-être personnel, non, mais comme un mandat pour se consacrer à une société plus juste, une société plus inclusive, c’est-à-dire plus avancée. On m’a dit qu’une de vos grandes poétesses, Sophia de Mello Breyner Andresen, dans une interview qui est une sorte de testament, à la question : « Qu’aimeriez-vous voir réalisé au Portugal en ce nouveau siècle ? », a répondu sans hésiter : « Je voudrais voir la justice sociale réalisée, la réduction du fossé entre riches et pauvres » (Entrevista de Joaci Oliveira, in Cidade Nova, nº 3/2001). Je vous adresse en retour cette question. Vous, chers étudiants, pèlerins du savoir, que voulez-vous voir réalisé au Portugal et dans le monde ? Quels changements, quelle transformation ? Et comment l’université, surtout l’université catholique, peut-elle y contribuer ?

Beatriz, Mahoor, Mariana, Tomás, je vous remercie pour vos témoignages. Ils ont tous un ton d’espérance, une charge d’enthousiasme réaliste, sans plaintes ni fuites en avant idéalistes. Vous voulez être protagonistes, « protagonistes du changement », comme l’a dit Mariana. En vous écoutant, j’ai pensé à une phrase qui vous est peut-être familière, de l’écrivain José de Almada Negreiros : « J’ai rêvé d’un pays où tous parvenaient à être maîtres » (A Invenção do Dia Claro). De même, cet ancien qui vous parle – je suis vieux maintenant –, rêve que votre génération devienne une génération de maîtres. Maîtres d’humanité. Maîtres de compassion. Maîtres de nouvelles opportunités pour la planète et ses habitants. Maîtres d’espérance. Et des maîtres qui défendent la vie de la planète, menacée en ce moment par une grave destruction écologique.

Comme certains d’entre vous l’ont souligné, nous devons reconnaître l’urgence dramatique de prendre soin de la maison commune. Cependant, cela ne peut se faire sans une conversion du cœur et un changement de la vision anthropologique qui est à la base de l’économie et de la politique. On ne peut se contenter de simples mesures palliatives ou de compromis timides et ambigus, car, « les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement » (Lett. enc. Laudato si’, n. 194). N’oubliez pas ceci. Les termes moyens ne sont qu’un petit retard dans l’effondrement. Il s’agit au contraire de prendre en charge ce qui, malheureusement, continue à être reporté : la nécessité de redéfinir ce que nous appelons progrès et évolution. Parce que, au nom du progrès, on a fait trop de chemin à reculons. Étudiez bien ce que je vous dis. Au nom du progrès, la voie est ouverte à une grande régression. Vous êtes la génération qui peut relever ce défi : vous avez les outils scientifiques et technologiques les plus avancés mais, s’il vous plaît, ne tombez pas dans le piège de visions partielles. N’oubliez pas que nous avons besoin d’une écologie intégrale, d’écouter la souffrance de la planète en même temps que celle des pauvres ; de mettre le drame de la désertification en parallèle avec celui des réfugiés ; le thème des migrations avec celui de la dénatalité ; de nous occuper de la dimension matérielle de la vie dans une dimension spirituelle. Pas des polarisations, mais des visions d’ensemble.

Merci, Tomás, pour avoir dit qu’« une authentique écologie intégrale sans Dieu n’est pas possible, qu’il ne peut y avoir d’avenir dans un monde sans Dieu ». Je voudrais vous dire : rendez la foi crédible à travers les choix. Car si la foi n’engendre pas des styles de vie convaincants, elle ne fait pas lever la pâte du monde. Il ne suffit pas qu’un chrétien soit convaincu, il doit être convaincant ; nos actions sont appelées à refléter la beauté, joyeuse et à la fois radicale, de l’Évangile. En outre, le christianisme ne peut pas être habité comme une forteresse entourée de murs, qui élève des bastions contre le monde. C’est pourquoi j’ai trouvé émouvant le témoignage de Beatriz, quand elle a dit qu’« à partir du champ de la culture » elle se sent appelée à vivre les Béatitudes. À chaque époque, l’une des tâches les plus importantes pour les chrétiens est de retrouver le sens de l’incarnation. Sans l’incarnation, le christianisme devient une idéologie et la tentation des idéologies chrétiennes, entre guillemets, est très actuelle. C’est l’incarnation qui permet d’être émerveillé de la beauté que le Christ révèle à travers chaque frère et sœur, chaque homme et chaque femme.

À ce propos, il est intéressant que, dans votre nouvelle chaire consacrée à l’« Économie de François », vous ayez ajouté la figure de Claire. En effet, la contribution des femmes est indispensable. Dans l’inconscient collectif, combien de fois on pense que les femmes sont de deuxième catégorie, qu’elles sont des réserves, qu’elles ne jouent pas en tant que titulaires. Cela existe dans l’inconscient collectif. La contribution féminine est indispensable. On voit d’ailleurs dans la Bible comment l’économie de la famille est en grande partie entre les mains de la femme. C’est elle la véritable « régente » de la maison, avec une sagesse qui n’a pas pour but exclusif le profit, mais le soin, la coexistence, le bien-être physique et spirituel de chacun, et aussi le partage avec les pauvres et les étrangers. Et il est passionnant d’aborder les études économiques dans cette perspective : avec le but de redonner à l’économie la dignité qui lui revient, afin qu’elle ne soit pas la proie du marché sauvage et de la spéculation.

L’initiative du Pacte Éducatif Mondial, et les sept principes qui en forment l’architecture, comprennent beaucoup de ces thèmes, du soin de la maison commune à la pleine participation des femmes, jusqu’à la nécessité de trouver de nouvelles façons de comprendre l’économie, la politique, la croissance et le progrès. Je vous invite à étudier ce Pacte Éducatif Mondial, vous en passionner. L’un des points qu’il traite est l’éducation à l’accueil et à l’inclusion. Et nous ne pouvons pas feindre de ne pas avoir entendu les paroles de Jésus au chapitre 25 de Matthieu : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (v. 35). J’ai écouté avec émotion le témoignage de Mahoor, quand elle a évoqué ce que signifie vivre avec « le sentiment constant d’absence d’un foyer, d’une famille, d’amis […], d’être restée sans maison, sans université, sans argent […], fatiguée et épuisée et abattue par la douleur et les pertes ». Elle nous a dit qu’elle avait retrouvé l’espoir parce que quelqu’un avait cru en l’impact transformant de la culture de la rencontre. Chaque fois que quelqu’un pratique un geste d’hospitalité, il provoque une transformation.

Chers amis, je suis très heureux de vous voir comme une communauté éducative vivante, ouverte à la réalité, et conscients que l’Évangile qui ne sert pas d’ornement mais qui anime les parties et l’ensemble. Je sais que votre parcours comprend différents domaines : études, amitié, service social, responsabilité civile et politique, soin de la maison commune, expressions artistiques… Être une université catholique signifie d’abord ceci : que chaque élément est en relation avec le tout et que le tout se retrouve dans les parties. Ainsi, en acquérant des compétences scientifiques, on mûrit en tant que personne dans la connaissance de soi et dans le discernement de sa propre voie. Voie oui, labyrinthe non. Alors, continuez ! Une tradition médiévale raconte que lorsque les pèlerins du chemin de Saint Jacques se croisaient, l’un saluait l’autre en s’exclamant « Ultreia » et l’autre répondait « et Suseia ». Ce sont des expressions d’encouragement à continuer la recherche et le risque du chemin, en nous disant mutuellement : « Allez, courage, va de l’avant ! ». C’est ce que je souhaite aussi à vous tous, de tout mon cœur. Merci.

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Rédaction

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