Is 50, 4-7 ; Ps 21; Phil 2, 6-11; Mt 26, 14-27, 66
Jésus entre à Jérusalem accueilli par le peuple en fête, mais Lui sait que son chemin est vers la hauteur de la Croix, vers le moment d’amour qui se donne.
1) La joie de la Croix
La liturgie de ce dimanche, qui nous fait rentrer dans la Semaine Sainte, Grande[1] et Authentique[2], présente deux phases : l’une pleine de joie, l’autre pleine de douleur.
Dans la 1ère phase nous sommes appelés à prendre part à la joie pour le Messie, qui rentre triomphant en Jérusalem et est accueilli par le peuple qui agite les rameaux avec des chants de joie. Le peuple exalte Jésus, car il le reconnait comme le Messie, le Christ, le Roi envoyé par Dieu : Jésus. le Fils de l’homme est aussi le Fils de Dieu.
Dans la 2ème phase, nous est mis devant les yeux et au cœur le fait qu’à la suite[3] de ce moment de célébration ce même Seigneur vit le drame : il subit un procès, il est flagellé, et mis en croix jusqu’à mourir.
Comment faire le lien entre ces deux moments qui semblent en contradiction l’un avec l’autre ?
Comment se rejoignent ces deux souvenirs ? Ils se joignent dans la Croix qui est trône, autel et chaire ; ils se rejoignent également dans le signe de la Croix que nous sommes souvent appelés à faire, surtout au début de chaque liturgie.
Afin de comprendre cette réponse, mettons-nous à la place de l’un de la foule qui en ce jour a acclamé Jésus en criant : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Mc 11,9 ; Ps 117/118, 25 s). Le peuple lève ce cri devant Jésus, car en lui il reconnaît Celui qui vient au nom du Seigneur (l’expression « Celui qui vient au nom du seigneur » était devenue l’appellation du Messie).
En Jésus ils reconnaissent Celui qui est réellement venu au nom du Seigneur et qui amène la présence de Dieu parmi eux. Ce cri d’espoir d’Israël, cette acclamation de Jésus pendant son entrée à Jérusalem, est à raison devenu dans l’Église l’acclamation, la louange de celui qui vient à notre encontre et nous offre son Règne. Nous rentrons dans son Règne de paix et saluons en Lui tous nos frères et sœurs, à l’encontre desquels il vient, pour devenir vraiment un règne de paix dans ce monde déchiré.
Il s’agit d’un Roi complètement différent de tous les autres, parce que :
- Il est pauvre (il se sert d’une ânesse pour rentrer triomphant à Jérusalem) ; il est pauvre[4] parmi les pauvres et pour les pauvres ;
- Son trône est la Croix, symbole de celui qui n’enlève pas la vie mais qui la donne ;
- Il utilise la Croix comme une chaire d’où il enseigne que l’amour est plus puissant que la mort. Il est roi et maître, il nous enseigne de ne pas contrecarrer l’injustice par une autre injustice, la violence par une autre violence. Il nous enseigne que nous pouvons et devons vaincre le mal seulement par le bien et ne pas rendre le mal par le mal.
Avec le Christ la Croix n’est plus un signe de déni de vie mais elle devient l’autel où le sacrifice pour la vie s’accomplie.
Au profit de qui est fait ce sacrifice ? Je dirais qu’il est accompli au profit de l’Amour infini, qui se trouve blessé en nous, par nous et pour nous.
- La Passion du Christ
Dans ce dimanche des Rameaux nous sommes invités à reconnaitre que la croix est le vrai arbre de la vie, sur lequel le Christ, qui est vie, a vaincu la mort par le don, d’amour et complet, de lui-même.
La croix est l’instrument de la Passion du Christ non seulement parce qu’elle lui faire souffrir les douleurs les plus immenses mais aussi car elle montre toute la passion de Son amour.
Oui, le Christ nous aime d’un amour passionné, jusqu’à mourir pour nous. N’est-ce pas ce que nous tous désirons ? En effet, nous désirons quelqu’un qui nous aime vraiment, d’un amour que nous ne retrouvons nulle part. Sauf à le retrouver, en morceaux, dans les parents, les fiancés, les familles, les enfants et les amis. Morceaux de cet amour qui sont dispersés dans le temps et qu’il est tellement difficile de rassembler pour qu’ils donnent du sens, de la paix et de la joie à nos existences. Le voilà, aujourd’hui, celui que nous désirons. Le voilà nous aimer jusqu’à se faire tuer pour nous.
Nous lisons aujourd’hui avec pitié, attention et dévotion le récit de la Passion. Nous y rencontrerons le Sanhédrin, les Grands Prêtres Anne et Caïphe, le roi Erode, le préfet Ponce Pilate, le délinquant Barabbas, et tous les autres ainsi que les fouets, les clous, les lances et la Croix.
Mais, si nous lisons avec les yeux de notre cœur, nous y retrouverons aussi les trames de nos vies. La Passion est notre vie d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La Passion est provoquée par les peines, les angoisses, les douleurs, les rêves brisés, les tristesses, les péchés.
La Passion du Christ renferme en elle-même l’entrecroisement de notre vie. Nous y retrouverons un sens à tout ce qui nous semble confus, aux fils sans queue ni tête, aux douleurs et aux joies enchevêtrées sur les heures, aux expériences perdues dans le temps. Notre histoire est contenue dans sa totalité dans la passion d’amour de Jésus, réellement pour nous, pour tout ce qui est à nous.
Nous méditons avec dévotion sur le récit de la Passion du Rédempteur. Nous y trouverons l’amour qui naît des souffrances que le Christ subit pour nous. Il est descendu du ciel pour l’amour et pour l’amour passionné a donné sa vie pour nous. Et il continue encore aujourd’hui à descendre dans nos vies à chaque instant, afin de nous faire part de sa charité. « Le Christ n’est pas venu expliquer la souffrance, mais l’habiter de sa présence » (Paul Claudel) : plutôt que d’écouter explications et discours nous devons contempler le fait du Christ sur la Croix. Il s’agit d’un fait, simple et réel : Il se trouve sur la Croix pour nous, pour être avec nous pour toujours. Et il transforme en amour tout ce qui est à nous. Le soleil de la joie et de la Résurrection passe à travers de cet amour, comme à travers d’un beau vitrail de la Cathédrale de Chartres.
Si nous souhaitons vivre de manière authentique cette Dimanche des Rameaux et la Semaine Sainte, dont la première est la porte d’entrée, nous devons regarder avec les yeux de Jésus, patient (= ‘malade’ d’amour) crucifié, de manière à reconnaitre notre chair dans sa chair. « Que la nature terrestre se mette à trembler au supplice de son Rédempteur,
Que les pierres, c’est-à-dire les esprits des incroyants, se fendent ;
Que les hommes, écrasés par le tombeau de la condition mortelle,
Surgissent en fracassant la masse qui les tenait captifs.
Qu’ils se montrent, eux aussi, dans la Cité sainte, c’est-à-dire dans l’Église de Dieu,
Comme des présages de la résurrection future.
Et ce qui doit un jour se produire dans les corps, que cela se réalise dans les cœurs »
(Saint Léon le Grand, Sermon sur la Passion).
- Les vierges consacrées et la Passion du Christ
Comme d’habitude, je m’adresse maintenant en particulier aux vierges consacrées, qui ont tout abandonné pour garder intacte la perle qu’est leur chasteté et qui suivent de manière passionnée le Christ. Pendant cette période sainte, elles se consacrent, avec beaucoup d’intensité, à la méditation et à l’imitation de la passion du Christ. Le Messie est comparé à une perle pour laquelle les vierges renoncent à tout plaisir terrain en donnant un témoignage de l’amour reconnaissant avec lequel elles s’offrent à l’Époux sur la croix.
« Il existe, en effet, deux voies très brèves et efficaces pour suivre Dieu.
La première voie consiste dans l’observation des lois et des pratiques ordinaires que la Sainte Église recommande ; plus précisément, il s’agit de suivre les conseils dispensés par le Christ dans l’évangile, c’est à dire la chasteté, la pauvreté, l’obéissance et d’autres saintes habitudes. Toutes les règles découlant des conseils évangéliques et des constitutions de nos saints Pères, nous offrent la merveilleuse possibilité de contrôler le comportement extérieur et de se consacrer aux vertus.
Quant à la deuxième voie, elle consiste à imiter la passion de Jésus Christ, en méditant avec assiduité et chasteté. » (Discours d’un auteur anonyme rhino-flamand).
Leur vie chastement donnée au Christ porte en soi les signes de la résurrection à venir : ce qu’un jour doit se réaliser dans les corps, s’accomplit maintenant dans leurs cœurs ; et dans nos cœurs aussi si, comme elles, nous vivons avec pureté. (cf. Prière litanique, rituel de consécration des vierges n° 20 : « Pour qu’il te plaise d’entretenir et d’augmenter en ton Église l’amour de la virginité, de grâce, écoute-nous, pour qu’il te plaise d’affermir dans tous les chrétiens l’espérance de la résurrection et du monde à venir, de grâce, écoute-nous »)
Lecture Patristique
Le roi d’humilité
Grégoire Palamas (+ 1359)
Homélies, 15
PG 151, 184-195.
Le simple peuple, voyant tous les miracles du Christ, crut en lui, non seulement en ayant envers lui une foi silencieuse, mais aussi en proclamant sa divinité en actions et en paroles. Car, après avoir réveillé Lazare d’un sommeil de quatre jours, Jésus prit un âne que ses disciples lui avaient amené, selon la narration de l’évangéliste Matthieu, le monta et entra ainsi à Jérusalem selon la prophétie de Zacharie: Ne crains pas, fille de Sion, voici ton roi qui vient à toi, le juste, le Sauveur; il est humble et monté sur un âne, le petit d’une ânesse (Za 9,9). Par ces paroles le prophète montre que le roi ainsi prédit était ce roi qui seul est appelé à juste titre « roi de Sion ». Car il veut dire : Ton roi ne doit pas inspirer la crainte par son aspect, il ne doit être ni sévère ni cruel, il n’a pas de gardes du corps ni d’escorte, il n’entraîne pas derrière lui une foule de fantassins ni de cavaliers. Il n’agit pas avec rapacité, n’exige pas des impôts ni des taxes, ni des services ou des fonctions non moins viles que nuisibles. Mais ses attributs sont l’humilité, la pauvreté, la modestie. Il fait son entrée sur un âne, sans déployer aucune escorte humaine. C’est pourquoi lui seul est le roi juste qui sauve dans l’équité, et qui est doux en même temps, car la douceur est ce qui le caractérise.
Aussi le Seigneur a-t-il dit de lui-même : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29).
Lui donc, qui avait ressuscité Lazare, ce roi trônant sur un âne, fait ainsi son entrée dans Jérusalem. Et toute la foule, presque tous les enfants, les hommes, les vieillards, étendant leurs vêtements et prenant des branches de palmier, qui sont l’insigne de la victoire, sont venus au-devant de lui comme vers l’auteur de la vie et le vainqueur de la mort, devant qui ils se prosternaient, et qu’ils escortaient non seulement au-dehors mais au-dedans des remparts de la ville, chantant d’une seule voix : Hosanna au Fils de David ! Hosanna au plus haut des cieux (Mt 21,9) ! Cet hosanna est un hymne adressé à Dieu. Il se traduit : « Sauve-nous, Seigneur ! » Ce qu’on ajoute : au plus haut des cieux, montre qu’il n’est pas célébré seulement sur terre ni seulement par les hommes, mais dans les cieux et par les chœurs des anges.
[1] Liturgie Orientale.
[2] Liturgie Ambrosienne.
[3] Comme indiqué dans la lecture de la Passion du Seigneur Jésus selon Saint Matthieu.
[4] Il ne s’agit pas d’une pauvreté matérielle, il faut entendre la pauvreté dans le sens des anawim d’Israël : âmes croyantes et humbles que nous retrouvons autour de Jésus dans la perspective de la première Béatitude du Sermon sur la Montagne.