Rite Romain
1 S 16, 1b.6-7.10-13a; Ps 22; Ep 5, 8-14; Jn 9, 1-41
Rite Ambrosien
Ex 34,27-35,1; Ps 35; 2Co 3, 7-18; Jn 9, 1-38b
Dimanche de l’aveugle
1°) La lumière pour les yeux de l’âme.
Alors que dimanche dernier, à travers l’Évangile de la Samaritaine, Jésus nous a promis, à nous aussi, le don de l’eau vive (Jn 4, 10.11), ce VIème dimanche de Carême, appelé aussi « Laetare » (Réjouissez-vous) nous présente le Christ « lumière du monde » qui guérit un aveugle-né (cf Jn 9, 1-41).
Qu’est-ce qu’un aveugle-né? C’est une personne qui ne sait rien de la beauté de la création et des créatures. C’est quelqu’un qui vit sans voir les arcs en ciel, la douceur des champs, la majesté des montagnes, les couleurs des fleurs et des arbres. C’est quelqu’un qui vit sans pouvoir ou savoir donner un visage aux personnes qui lui sont proches.
Un aveugle-né est surtout quelqu’un qui ne connaît pas la joie de pouvoir regarder dans les yeux avec amour une personne qui lui est chère. C’est une grande tristesse que d’avoir des yeux et de ne pas voir, de devoir s’en remettre uniquement à ce que l’ouïe et le toucher nous font percevoir et d’être obligé de marcher sur la route avec un bâton dans les mains en devinant les obstacles sans savoir où ils sont.
Cependant il y a une cécité bien pire chez l’homme qui n’a pas la foi et qui ne connaît pas Jésus qui est la seule Vérité qui illumine le monde, qui donne sens aux faits, espace à l’intelligence, profondeur à l’amour, goût à tout ce que nous sommes et à tout ce que nous faisons, affections comprises. Cet homme-là est vraiment aveugle: que sait-il de la Lumière ou plutôt avec quelle lumière marche-t-il, juge-t-il les choses et les faits ?
Providentiellement, le Christ lui guérit les yeux du corps mais aussi ceux de l’âme par le toucher de ses doigts. Cela nous rappelle ce qui nous est arrivé le jour de notre baptême quand nos yeux ont été caressés et bénis par le prêtre pour qu’ils s’ouvrent à la Lumière qu’est le Christ. Cette lumière du Christ nous est donnée pour que nous puissions vivre en enfant de la lumière, une fois nos yeux du cœur guéris, eux qui rendaient notre âme aveugle lorsqu’ils étaient malades.
Imaginons la scène, surtout lorsque Jésus prend un peu de terre et la mélange avec sa salive. Il en fait de la boue et l’enduit sur les yeux de l’aveugle. Ce geste fait référence à la création de l’homme que la Bible nous raconte avec l’image de la terre façonnée et animée du souffle de Dieu (cf Gn 2, 7). « Adam » en effet signifie « terrien, pétri de terre » (Adam vient de la parole hébraïque adamah qui veut dire terre) et le corps humain est effectivement composé d’éléments de la terre. En guérissant l’homme, Jésus opère une nouvelle création. Donner la vue, en un certain sens, équivaut à donner la vie. Ce n’est pas par hasard si, en Italie, on dit d’une femme qu’elle « donne à la lumière » un enfant quand elle lui donne la vie. Venir à la lumière c’est profiter des couleurs du monde, de la liberté de se déplacer sans peur, de courir dans la lumière et de sauter de joie.
Cependant la signification la plus profonde de ce miracle de la lumière est que non seulement les yeux du corps mais aussi ceux de l’âme peuvent voir. Ainsi l’on peut regarder dans la profondeur du mystère du Christ, voir sa vérité et son amour et s’exclamer: « Je crois, Seigneur » (Jn 9, 38) en se prosternant devant Lui dans un geste d’adoration comme le fit l’aveugle-né dès qu’il fut guéri. A partir de ce moment-là commença pour cet homme un chemin de foi.
2°) Un chemin de foi dans la lumière.
Le chemin de foi auquel Jésus invita le miraculé nous est proposé à nouveau aujourd’hui par l’Église. C’est un chemin de croissance dans la connaissance du mystère du Christ et dans l’expérience que nous faisons de lui qui est lumière et qui nous conduit à la plénitude de la vision, même au milieu des obstacles et des zones d’ombre de la vie.
La grâce la plus grande que reçoit du Christ ce miraculé anonyme – qui représente donc chacun de nous – n’est pas tant celle de voir que celle de le connaître lui, de le voir comme « la lumière du monde » (Jn 9, 5). Le miracle est que le Christ ne fait pas voir seulement la lumière du soleil mais aussi celle de la vérité.
Dans le miracle de l’aveugle-né nous voyons que la conversion est d’accepter de se laisser ouvrir les yeux sur la réalité comme elle est vraiment: en Dieu et non comme nous la voyons quand nous la regardons avec les yeux qui ne sont pas ceux de la foi.
Faisons donc nôtre l’invitation de Saint Bonaventure pour un chemin de l’esprit vers Dieu: » Ouvre donc les yeux, tends l’oreille spirituelle. Ouvre tes lèvres et dispose ton cœur pour pouvoir dans toutes les créatures voir, écouter, louer, aimer, vénérer, glorifier, honorer ton Dieu » (Itinarium mentis in Deum, I, 15).
C’est un chemin que nous pouvons accomplir en suivant l’exhortation de Saint Paul: « Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d’en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5, 8-14 – IIème lecture de ce dimanche).
C’est un chemin sur lequel nous sommes appelés à être témoin de la lumière et de l’amour qui naissent de la foi. « La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe. […] La foi […] suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu » (Benedetto XVI, Deus caritas est, n.39).
Vivre l’amour est de cette façon faire entrer la lumière de Dieu dans le monde, voilà ce à quoi je voudrais tous vous inviter et chacun de nous en particulier.
Comme l’enseigne le pape François: « Notre vie est parfois semblable à celle de l’aveugle qui s’est ouvert à la lumière, qui s’est ouvert à Dieu, qui s’est ouvert à sa grâce. Parfois malheureusement, elle est un peu comme celle des docteurs de la loi, des pharisiens qui s’enlisent toujours plus dans leur cécité intérieure: du haut de notre orgueil, nous jugeons les autres, et même le Seigneur ! A la fin de l’épisode de l’homme aveugle de naissance auquel Jésus donne la vue, alors que de présumés voyants continuent à rester aveugles dans l’âme, l’aveugle guéri parvient à la foi, et c’est la grâce la plus grande qui lui est faite par Jésus : non seulement de voir, mais de Le connaître, de Le voir comme « la lumière du monde » (Angélus du 30 mars 2014).
3°) La virginité pour la lumière.
L’aveugle-né se rendit – les yeux fermés mais avec une bonne raison: l’injonction du Christ – à la piscine de Siloé pour se laver les yeux enduits de boue. Quand ses yeux furent lavés, il vit, il crut et il annonça. La guérison fut corporelle et spirituelle. Ainsi non seulement il vit des personnes et des choses mais il vit aussi la vérité de Dieu et de l’homme. Il vit que Dieu est pour l’homme, que Dieu est amour, que Dieu donne tout, que Dieu se donne lui-même, que Dieu donne la liberté, que la liberté est amour et service.
Ce miracle nous invite à demander au Seigneur de guérir les yeux de notre âme, donc de nous convertir à lui pour que nous puissions le contempler et le suivre.
Les vierges consacrées dans le monde sont un exemple de cette conversion devenue chemin continu par la consécration qui implique une offrande complète de sa propre vie au Christ. Que Dieu « continuellement les purifie et les renouvelle pour les faire apparaître devant lui immaculées et saintes comme des épouses parées pour les noces. Dans le mystère de cette Église, vierge et mère, par l’intermédiaire de ton Esprit, suscite la variété des dons et des charismes pour l’édification de ton règne. C’est toi qui parles, o Père, au cœur de tes filles et qui les attire par des liens d’amour afin que dans l’attente ardente et vigilante, elles alimentent leur lampe et aillent à la rencontre du Christ, le roi de gloire » (Préface de la Messe du Rite de consécration des Vierges).
Lecture Patristique
Saint Ambroise de Milan (339 – 397)
Lettre 80, 1-6
PL 16, 1271-1272.
Des yeux qui s’ouvrent à une autre lumière
Vous avez entendu la lecture d’Évangile (Jn 9,1 sv.), où l’on rapporte que le Seigneur Jésus vit sur son passage un aveugle de naissance. Si le Seigneur, après l’avoir vu, n’a pas poursuivi sa route, nous non plus nous ne devons pas poursuivre notre chemin quand le Seigneur n’a pas voulu le faire; d’autant plus qu’il s’agissait d’un aveugle de naissance, ce qui n’a pas été signalé pour rien.
Il y a en effet une cécité qui vient souvent d’une maladie nuisible à la vue, et qui s’atténue avec le temps. Il y a une cécité qui est engendrée par la sécrétion de certaines humeurs. Celle-là aussi, quand sa cause est supprimée, est généralement chassée par l’art médical. Cela doit vous faire comprendre que si cet homme, aveugle de naissance, est guéri, ce n’est pas un effet de l’art, mais d’une puissance souveraine. <
En effet, ce qui est un défaut de la nature, c’est au Créateur de le corriger, car il est l’auteur de la nature. Ce qui lui a fait dire: Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jn 9,5), c’est-à-dire que tous ceux qui sont aveugles peuvent voir, s’ils me cherchent, moi, la lumière. Approchez-vous et vous serez dans la lumière (Ps 33,6), afin que vous puissiez voir.
Ensuite, que veut dire le fait suivant? Jésus rendait la vie par son commandement, il donnait le salut par un précepte en disant au mort: Viens dehors, et Lazare sortit de son sépulcre (Jn 11,43). Ou encore, il avait dit au paralytique: Lève-toi, emporte ton grabat (Mc 2,11-12), et le paralytique se leva et se mit à emporter son grabat, qui servait à le transporter à cause du relâchement de tous ses membres. Alors, pourquoi, ici, Jésus a-t-il craché, fait de la boue dont il a enduit les yeux de l’aveugle, en lui disant: Va, et lave-toi dans la fontaine de Siloé, dont le nom signifie Envoyé. Et il y alla, il se lava, et il se mit à voir (Jn 9,7)? Quelle est la raison de cette différence? Elle est importante, si je ne me trompe; c’est qu’il voit davantage, celui que Jésus touche.
Remarquez tout à la fois sa divinité et sa vertu sanctifiante. Étant la lumière, il a touché l’aveugle et il l’a éclairé. Étant prêtre, il a réalisé, sous le signe du baptême, les mystères de la grâce spirituelle.
Qu’il ait fait de la boue et qu’il en ait enduit les yeux de l’aveugle, cela ne signifie rien d’autre que ceci: avec la boue qu’il lui applique, il a rendu à la santé ce même homme qu’il avait façonné avec de la boue (cf. Gn 2,7). Cela signifie aussi que notre chair tirée de la boue reçoit la lumière de la vie éternelle par les mystères du baptême. Toi aussi, approche-toi de Siloé, c’est-à-dire de celui qui est l’Envoyé du Père, puisque tu connais cette parole: Ma doctrine n’est pas la mienne, mais la doctrine de celui qui m’a envoyé (Jn 7,17). Que le Christ te lave, pour que tu voies. Viens au baptême, c’est justement l’époque; viens vite, afin de pouvoir dire, toi aussi: Je suis allé, je me suis lavé, et j’ai vu ; et pour que tu dises, toi aussi: J’étais aveugle et j’ai vu ; pour que tu dises, toi aussi, comme celui qui vient d’être inondé par la lumière: La nuit est finie, le jour est tout proche (Rm 13,12).