Lundi 6 mars dernier, la chaîne polonaise TVN24 a diffusé une émission dans laquelle, entre autres, Jean-Paul II était accusé d’avoir traité de manière inadaptée trois cas de prêtres ayant commis des actes de pédophilie lorsque Mgr Wojtyla était alors archevêque de Cracovie (1964-1978). Deux des trois individus ont été emprisonnés et le troisième (Boleslaw Sadus) a été envoyé en Autriche dans les années 70.
L’émission du journaliste Marcin Gutowski mentionne plusieurs victimes présumées, suscitant une empathie émotionnelle de la part du public. Le journaliste s’appuie sur une lettre qui mentionne que le cardinal Wojtyla avait placé Sadus sous la tutelle de l’archevêque de Vienne. Les criminels ont été éloignés de leurs paroisses lorsque les accusations ont été portées à la connaissance du public.
Des documents des services secrets de l’époque communiste polonaise ont été utilisés comme sources privilégiées pour l’émission, et la conclusion – selon le journaliste et la chaîne de télévision – est que l’archevêque Wojtyla a cherché à dissimuler les abus et les agresseurs.
Deux jours plus tard, dans la même semaine, Ekke Overbeek, journaliste néerlandais, a rendu public le livre « Maxima culpa : Jean-Paul II savait ». Le livre était accompagné d’une lettre introductive aux lecteurs. Dans le même temps, la couverture du magazine Newsweek présentait une photo de Jean-Paul II avec le titre « The Hidden Truth about Paedophilia » (La vérité cachée sur la pédophilie). Le livre approfondit les accusations de dissimulation de Jean-Paul II lorsqu’il était archevêque de Cracovie.
La même semaine, d’autres médias, comme le journal progressiste de gauche Gazeta Wyborcza, ont lancé des accusations d’abus contre le prédécesseur de Mgr Wojtyla, le cardinal Adam Sapieha, suggérant même une relation entre les deux hommes. Les accusations contre le cardinal Sapieha sont fondées sur les affirmations d’un prêtre collaborateur du régime communiste, Anatol Boczek qui a, en réalité, fait des déclarations aux services secrets polonais de l’époque (sources utilisées par le journaliste de l’émission télévisée et également pour le livre), après que Sapieha l’avait suspendu précisément pour ce collaboration au communisme. Ces accusations ont déclenché un débat public qui s’est terminé au Parlement.
Le mercredi 8 mars dernier, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a défendu publiquement la réputation de Jean-Paul II, qualifiant de « très douteuses » les accusations portées contre le souverain pontife. « Je défends notre pape parce que, en tant que nation, je sais que nous devons beaucoup à Jean-Paul II. Peut-être lui devons-nous tout ! » a-t-il déclaré. Il a également souligné que ceux qui ont lancé ces accusations proviennent de milieux qui promeuvent une guerre culturelle dans le pays.
Le lendemain, le jeudi 9 mars, le Parlement polonais a voté une résolution pour défendre le nom de Jean-Paul II : le Parlement « condamne énergiquement la campagne médiatique honteuse, fondée dans une large mesure sur des documents d’un régime communiste violent, dont le grand pape saint Jean-Paul II fait l’objet, le plus grand Polonais de l’histoire », indique la résolution. Dans une autre partie, il ajoute : « Nous ne permettrons pas la violation de l’image d’un homme que le monde libre tout entier reconnaît comme un pilier de la victoire sur l’empire du mal. »
Pour sa part, l’Église polonaise a publié deux communiqués de presse : le 7 mars (en réaction à l’émission télévisée), elle a déclaré que « deux des cas présentés – celui du père Surgent et celui du père Loranc – étaient déjà connus du public depuis quelques mois grâce au travail journalistique des écrivains Tomasz Krzyzak et Piotr Litka, fondé principalement sur l’analyse de deux dossiers de procédures pénales de l’État disponibles dans les archives de l’IPN. Les conclusions ont déjà été largement commentées. » Et ils précisent : « Le troisième dossier, celui du père Sadus, n’a pas été présenté sur la base d’une enquête pénale ou judiciaire, mais à partir des dossiers des services de sécurité de la République populaire de Pologne. Selon les sources présentées dans le film, il est impossible d’établir la qualification des actes attribués au P. Sadus. Il est bon de rappeler que, selon le droit canonique de l’époque, la protection absolue était accordée aux jeunes de 16 ans et non comme aujourd’hui – depuis 2001 – aux jeunes de 18 ans. »
Il est enfin admis que « l’accusation et la juste évaluation des décisions et des actes de l’Ordinaire de l’archidiocèse de Cracovie, Karol Wojtyla, ainsi qu’une explication appropriée des reproches à l’encontre du cardinal Adam Sapieha, requièrent une plus grande vérification des archives. »
Dans un second communiqué de presse publié le 9 mars, au lendemain de la parution du livre, le président de la Conférence épiscopale polonaise a demandé à « toutes les personnes de bonne volonté de ne pas salir l’héritage de Jean-Paul II. »
Le président de l’épiscopat polonais a souligné que « les auteurs de ces critiques ont tenté de juger Karol Wojtyla d’une manière tendancieuse, souvent non historique, sans connaître le contexte, en traitant, sans esprit critique, des documents élaborés par les services secrets communistes comme des sources fiables », ajoutant que « ce faisant, ils n’ont pas pris en compte les rapports et études existants qui décrivent d’une manière fiable ses paroles et ses actions ».
L’archevêque Gadecki a souligné que sur les instructions de Jean-Paul II, « l’Église a fait un effort considérable pour établir des stratégies et développer des procédures claires qui garantissent la sécurité des enfants et des jeunes, pour dûment punir dûment les coupables de crimes sexuels et, surtout, pour aider ceux qui ont été blessés. »
Il a ajouté que défendre la sainteté et la grandeur de Jean-Paul II ne signifie pas affirmer qu’il n’a pas pu commettre d’erreurs. « Être pasteur de l’Église à un moment où l’Europe était divisée entre l’Occident et le bloc soviétique signifiait de devoir relever des défis qui n’étaient pas faciles. Il faut également tenir compte du fait que les lois ont changé, et pas seulement en Pologne, qu’il y avait une sensibilité sociétale autre et des usages différents pour résoudre les problèmes », a-t-il rappelé.
Les politiciens de l’opposition, les progressistes et les gauchistes ont demandé que le nom de Jean-Paul II soit retiré des lieux publics, tels que les écoles et les places. Une conseillère municipale de gauche de Varsovie, Agata Diduszko-Zyglewska, a même déclaré : « Nous devons retirer Jean-Paul II de l’espace public. »
Il est frappant de constater que c’est précisément le courant de gauche, héritier du communisme qui a fait tant de mal à la Pologne et au monde entier, qui est à l’origine de ces initiatives politiques, mais aussi des attaques concertées contre une figure emblématique de l’histoire du monde.
Il convient de rappeler que la maison d’édition (Agora) à l’origine du livre du Néerlandais Ekke Overbeek est la même que Gazeta Wyborcza. Il faut souligner que Newsweek a derrière lui le média suisse-allemand (oui, allemand) Ringier Axel Springer, le même qui est derrière le site Onet, ami, promoteur et diffuseur du documentaire, du livre et des élucubrations de Gazeta et Newsweek. Ces médias sont destinés à des publics plus jeunes, peu enclins à la lecture, qui ne regardent qu’occasionnellement la télévision conventionnelle et, surtout, des jeunes qui n’ont pas directement connu Jean-Paul II et tout ce qu’il a accompli, et pas seulement pour son propre pays.
Il est vrai aussi que la réputation de l’Église polonaise n’est pas au beau fixe. Depuis 2019, le thème de la gestion des abus par l’Église est un caillou dans sa chaussure. À cela se sont ajoutés quelques documentaires, qui partagent des informations plus critiques à l’égard de l’opinion publique (« Sag es none » de 2019, par exemple). Dans tout ce contexte, le pape François a révoqué certains évêques pour la mauvaise gestion des abus sur mineurs dans le respect de la législation en vigueur (voir, par exemple, « Vatican, Abuses and Zero Tolerance : le cas de deux évêques polonais, l’un innocenté et l’autre condamné »).
Plusieurs considérations sont à prendre en compte :
Premièrement : La source principale et la confiance qu’il faut lui accorder. La source principale de l’émission et du livre ne peut passer inaperçue : il s’agit des archives secrètes de la période communiste en Pologne. De nombreux polonais qui ont vécu cette période de terreur dans leur pays, ou qui ont vécu le processus de changement de ce régime vers un régime démocratique de liberté, doutent des accusations portées contre Jean-Paul II précisément parce que le régime communiste ne jouissait pas et ne jouit pas d’une bonne réputation. Il inventait des preuves non seulement contre les ecclésiastiques, mais aussi contre tous les opposants. Et aujourd’hui, ce sont les principales sources.
Dans un article de l’agence KAI (Agence d’information catholique polonaise), publié en espagnol par ZENIT, Marcin Przeciszewski, directeur de cette agence d’information, précise : « Le livre d’Overbeek poursuit un agenda bien précis ; son auteur manque de formation historique et est presque totalement dépourvu d’esprit critique en ce qui concerne les archives de la police secrète communiste. » La publication a également été sévèrement critiquée par d’autres historiens polonais qui s’intéressent à l’histoire la plus récente de l’Église.
Se référant à la conduite de Mgr Wojtyla décrite dans le livre en tant qu’archevêque de Cracovie, le président de la KAI attire l’attention sur la manière imprudente et naïve dont les documents des services de sécurité communistes ont été consultés. Pour sa part, « le Dr Marek Lasota, historien respecté et longtemps directeur de la section de Cracovie de l’Institut de la Mémoire nationale, adopte un point de vue similaire. En se concentrant sur quatre cas, Overbeek soutient que Wojtyla a volontairement tenté de dissimuler les crimes des prêtres pédophiles et, au lieu de les dénoncer, les a déplacés d’une paroisse à l’autre. Commentant ces affirmations sensationnalistes, le Dr Lasota souligne qu’il faut tenir compte du fait que le cardinal Wojtyla déléguait ses responsabilités, qu’il ne s’occupait pas personnellement de toutes les affaires et que, même si certains documents parvenaient à la Curie, il n’avait aucune raison d’être au courant de tout. En d’autres termes, la conclusion générale selon laquelle il aurait dû être au courant de tout n’est pas justifiée à la lumière de ces sources », souligne l’historien.
Deuxièmement : Une déclaration du Premier ministre, qui considère qu’une guerre culturelle est en cours. En fait, la Pologne est l’un des rares pays européens à ne pas avoir cédé à l’agenda progressiste de l’Occident, tant en ce qui concerne la protection de la famille que la défense du bébé à naître. Avec Malte et la Hongrie, la Pologne se trouve dans une situation très différente du reste de l’Europe. Peut-on oublier qu’en 2021, la présidente allemande de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a appliqué des sanctions économiques à la Pologne pour ne pas avoir respecté l’agenda de l’idéologie du genre, après que les Polonais ont protégé leur Constitution ? En réalité, la figure de Jean-Paul II a été et est une sorte de bouclier. Baisser le bouclier est un bon moyen de gagner ou d’avancer dans cette bataille culturelle.
Troisièmement : Le président de l’épiscopat polonais (qui a célébré la messe à l’autel de Jean-Paul II le jeudi matin 9 mars) a ouvert une réflexion intéressante : la sainteté et la grandeur de Jean-Paul II ne signifient pas qu’il ne pouvait pas commettre d’erreurs. Le fait que les lois étaient différentes de celles d’aujourd’hui implique une sensibilité sociétale différente et d’autres façons de résoudre les problèmes. En d’autres termes, il semble suggérer que l’histoire passée ne peut être jugée avec les critères actuels. Le premier communiqué de presse va également dans ce sens : « Il est bon de rappeler que, selon le droit canonique de l’époque, la protection absolue était accordée aux moins de 16 ans et non, comme aujourd’hui, depuis 2001, aux moins de 18 ans. »
Quatrièmement : Les intentions et la défense des défunts. Pour ceux qui pensent avec objectivité et sérénité, le procédé est contestable du fait qu’il touche des personnes qui ne peuvent plus se défendre et répondre, parce qu’elles sont mortes. Dire que « l’intention » de l’archevêque de Cracovie était de cacher des abus, c’est entrer dans la pensée de l’autre. Et par honnêteté intellectuelle, toute personne est capable de comprendre que la réalité ne fonctionne pas ainsi, pour la simple raison que personne ne peut lire dans les pensées des tiers.
Cinquièmement : L’appel du conseiller municipal de Varsovie à bannir Jean-Paul II est une posture de gauche et, en réalité, c’est une affaire dont font également partie la « coalition » Gazeta Wyborcza, Agora, Newsweek, TVN et Onet. De plus, le fait que tout ait été pensé de manière si chronologique conduit à se demander si l’intention était de vendre un livre ou de défendre les victimes d’abus. Car le livre n’est pas gratuit. Et bien sûr, pour un agenda de gauche, effacer Jean-Paul II facilite les choses.
Sixièmement : Les qualifications. Il est frappant que des médias comme l’AFP et l’AP fassent allusion à ceux qui défendent Jean-Paul II avec des qualificatifs tels que « conservateurs », « catholiques traditionnels », « polonais religieux », simplement parce qu’ils ne sont pas dans la ligne de l’écrivain du jour ou de la presse de gauche. Il est frappant de constater qu’il n’y a pas d’allusions, au moins analogues, pour désigner ainsi les héritiers de ce communisme qui a tué des millions de personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la Pologne.
Septièmement : La mémoire des autres peut-elle être salie sur la base d’élucubrations ? Il ne s’agit pas seulement de Jean-Paul II, mais aussi du cardinal Sapieha lui-même. On a insinué cette semaine son homosexualité et ses pratiques homosexuelles. Et pour ce faire, on a recours à la même source que les services secrets de l’époque communiste. On utilise, par exemple, le « témoignage » du père Andrsej Mistat, l’aumônier du cardinal Sapieha. Mais il n’est pas dit que ce « témoignage » a été écrit par les services secrets communistes après que le cardinal a été arrêté, menacé, ne sachant pas ce qui pourrait lui arriver s’il n’obéissait pas. Il est certainement particulièrement répugnant que des médias « catholiques », tels que Tygodnik Powszechny, insinuent des accusations sur Wojtyla et Sapieha.
Huitièmement : Enfin, toute cette controverse oblige l’archevêché de Cracovie à ouvrir et, pourquoi pas, à mieux défendre ses propres archives. Il ne s’agit pas simplement de le faire ou non, mais de savoir quelles archives ouvrir et à qui les transmettre. Le monde ecclésial est généralement soucieux du respect de la vie privée des personnes. C’est d’ailleurs le cas dans tous les domaines.
© Traduction ZENIT