Le Centre Astalli, siège du Service des jésuites pour les réfugiés (JRS) en Italie, représente « une forme d’apostolat nouvelle et moderne […] d’une grande importance aujourd’hui et à l’avenir », affirmait le père Pedro Arrupe (1907-1991), en 1981, en fondant le centre pour les boat-people vietnamiens: c’est ce que rappelle le cardinal canadien Michael Cerny SJ.
Le cardinal Czerny, sous-secrétaire de la Section pour les migrants et les réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral, a cité le fondateur du Centre Astalli ce mardi matin 16 novembre 2021, à l’inauguration de l’exposition de photos « Volti al Futuro » (Envisager l’avenir) célébrant les 40 ans du Centre.
L’exposition, qui sera visible jusqu’au 28 novembre prochain dans l’église Saint-André-du-Quirinal à Rome, représente vingt portraits de réfugiés accueillis au Centre Astalli, réalisés par Francesco Malavolta. Elle est organisée par le Centre même.
Après la « prise de conscience » provoquée par la pandémie, « un changement de notre mode de vie » doit se produire, a affirmé le card. Czerny. Cela suppose que chacun en assume « la responsabilité de manière claire et décisive ». « Nous ne pouvons pas rester indifférents », a-t-il insisté.
Le porte-parole du Vatican a demandé de traduire les accords et les pactes en des « politiques actives », c’est-à-dire « planifier et marcher ensemble », mais également « nous approcher vraiment des réfugiés en tant que personnes, connaître leur vie et apprendre leur vision de la vie ». Il s’agit, a-t-il conclu, d’avancer « vers un ‘nous’ toujours plus grand ».
Voici notre traduction du discours prononcé par le card. Michael Czerny, prononcé en italien.
Discours du card. Michael Czerny s.j.
Envisager l’avenir avec les réfugiés, pour un nouveau ‘nous’
Les 40 ans du Centre Astalli, le service des jésuites pour les réfugiés en Italie, arrivent en même temps qu’un anniversaire important pour la Compagnie de Jésus : les 500 ans de la conversion d’Ignace de Loyola qui, blessé par un boulet de canon au cours d’une bataille à Pampelune, commence son nouveau chemin de pèlerin guidé par l’Esprit. « Ce boulet de canon signifiait également qu’Ignacio avait échoué en ce qui concernait les rêves qu’il faisait pour sa propre vie. Mais Dieu avait un rêve encore plus grand pour lui ». (1) Cet événement peut aussi nous dire quelque chose aujourd’hui.
Nous traversons une pandémie qui est une blessure pour toute l’humanité et qui a clairement montré où va notre monde. Toutefois, cet événement si bouleversant peut nous faire changer. Comme cela s’est produit pour Ignace, la pandémie peut être l’occasion d’une conversion du cœur de cette humanité, du cœur de chacun d’entre nous.
À travers la pandémie, nous avons pris davantage conscience du fait que nos choix, nos décisions et nos actions ont des répercussions concrètes sur la vie de ceux qui vivent à des kilomètres de distance de nous, sur d’autres continents, leur créant souvent davantage de souffrance et de difficultés que de bien-être et de progrès. Mais pour que cette prise de conscience produise un changement de mode de vie, il est nécessaire d’en assumer la responsabilité de manière claire et décisive.
La Déclaration universelle des droits de l’homme elle-même s’est concrétisée après la tragédie de la Seconde guerre mondiale, lorsque la dignité de la personne a été profondément humiliée. Elle est née de l’engagement de peuples et de nations qui se sont réunis pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais.
Mais malheureusement, aujourd’hui contrairement à hier, nous assistons à une contraction de l’universalité des droits humains et la pandémie l’a tragiquement démontré. Le pape François nous rappelle dans Fratelli tutti : « en observant avec attention nos sociétés contemporaines, on constate de nombreuses contradictions qui conduisent à se demander si l’égale dignité de tous les êtres humains, solennellement proclamée il y a soixante-dix ans, est véritablement reconnue, respectée, protégée et promue en toute circonstance ». (2)
Les migrants et les réfugiés ont très souvent subi dans leur propre chair la transformation des droits de tous en privilèges de quelques-uns. Les exemples que nous pourrions donner sont nombreux : des migrants repoussés à la frontière du Mexique au voyage de l’espoir sur la mer Méditerranée, des exodes des populations déplacées à l’intérieur de l’Afrique aux persécutions des minorités ethniques de l’Asie et de l’Amérique latine.
Face à une histoire qui semble retourner en arrière, devant tant de souffrances, tant de blessures, devant la prise de conscience que la pandémie a suscitée à l’égard de ce monde malade, nous ne pouvons pas rester indifférents.
Ce temps est un temps de discernement, cette blessure peut conduire à une conversion, au changement de notre mode de vie, mais nous ne devons pas rester sourds, nous devons nous laisser interroger par l’Esprit.
Les pas que fait Ignace après Pampelune sont guidés par l’Esprit à qui le pèlerin se confie à travers un discernement qu’il apprend petit à petit à mettre en œuvre, un chemin qui le conduit à sortir de lui-même et à mettre le Christ au centre.
C’est à ce même Esprit que le père Arrupe se confie pour discerner face à la situation des boat-people vietnamiens et c’est de là qu’est né le service des jésuites pour les réfugiés et le Centre Astalli.
Le père Arrupe affirmait en 1981 : « Je considère qu’il s’agit là d’une forme d’apostolat nouvelle et moderne pour la Compagnie dans son ensemble, d’une grande importance aujourd’hui et à l’avenir et d’un grand bénéfice spirituel également pour la Compagnie ».
Au cours de ces 40 années, l’Esprit a continué de parler, ou plutôt de crier, à travers la vie de femmes et d’hommes blessés dans leur dignité, fuyant les conflits, les changements climatiques et la pauvreté.
Accompagner, servir et défendre, telle a été la réponse suggérée au début par le père Arrupe et qui s’est concrétisée au fil du temps grâce à la bonne volonté de tant de femmes et d’hommes qui, au Centre Astalli également, ont été aux côtés des personnes dans les périphéries existentielles de l’histoire. L’avenir de l’humanité passe par l’inclusion sociale des migrants, la construction de la paix et le dialogue social. La condition pour construire l’inclusion, la justice et la paix est de « marcher ensemble ».
Dans ses paroles de salutation que nous venons d’entendre, le pape François nous rappelle un point de départ essentiel pour nous ici aujourd’hui : « Les histoires de tant d’hommes et de femmes de bonne volonté qui, au cours de ces quarante ans, ont donné du temps et de l’énergie au Centre Astalli, sont un signe de cette espérance : les milliers de personnes très différentes entre elles mais unies par le désir d’un monde plus juste où la dignité et les droits appartiendraient vraiment à tous […] Les visages de femmes et d’hommes qui se succèdent dans cette exposition, renvoyant à des noms et à des histoires précises de personnes accueillies au Centre Astalli et laissant entrevoir les contours flous de certains lieux de la ville de Rome, disent le désir d’être partie prenante des villes, ces lieux de vie commune, protagonistes et citoyens à part entière avec d’autres hommes et femmes dans la construction de communautés solidaires ». (…)
Il n’existe pas de recettes théoriques, il existe de nombreux accords et pactes mais ils risquent de rester lettre morte s’ils ne sont pas traduits dans des politiques actives. Nous devons planifier et marcher ensemble. Mais, pour ce faire, nous devons nous approcher vraiment des réfugiés en tant que personnes, connaître leur vie et apprendre leur vision de la vie. C’est seulement ainsi que nous pouvons voir le monde à partir de leur point de vue. Un défi nous attend maintenant pour l’avenir : créer une culture de la rencontre qui ouvre à des communautés toujours plus inclusives et solidaires ; nous devons marcher vers un ‘nous’ toujours plus grand.
Sur les photos de cette exposition, nous voyons des personnes qui regardent vers l’avenir et qui veulent la citoyenneté dans les pays où elles arrivent. Pour cela, grâce notamment à l’action de la Section des migrants et des réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral, l’Église catholique désire jouer un rôle proactif dans la promotion d’une gouvernance mondiale des migrations, avant tout au niveau local, mais également au niveau régional et international. La contribution de tous ces acteurs pour la construction de cette gouvernance est centrale et parmi ceux-ci au niveau international, le Jesuit Refugee Service, et pour l’Italie le Centre Astalli, sont des partenaires importants.
Vous remerciant tous pour le grand travail réalisé, j’espère que cet anniversaire donnera une impulsion à une collaboration toujours plus fructueuse dans les temps à venir.
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NOTES
(1) Pape François, Message à l’occasion de l’Année ignatienne, 23 mai 2021.
(2) Fratelli tutti, 22.
(3) Pape François, Paroles de salutation introductives, 7 novembre 2021.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat