Le pape demande aux évêques du Portugal de « poursuivre les efforts d’évangélisation », notamment par une « formation authentiquement chrétienne des consciences » et des jeunes, et « aussi pour le développement social du Portugal ». Il demande aussi des « propositions convaincantes pour les jeunes ».
Message du pape aux évêques du Portugal, reçus en audience lundi 7 septembre au matin, dans le cadre de leur visite ad limina Apostolorum.
Le pape souligne qu’une « formation chrétienne des jeunes après la confirmation » pourrait « empêcher de futures situations familiales irrégulières ».
Voici notre traduction intégrale du message du pape aux évêques portugais.
Message du pape
Vénérable cardinal patriarche, mes bien-aimés frères dans l’épiscopat !
C’est avec une joie toute fraternelle que je vous accueille et vous salue lors de cette rencontre collégiale avec le successeur de Pierre. Et je vous demande de transmettre à tous les membres de vos circonscriptions ecclésiastiques mes plus chaleureuses salutations, ainsi que mes vœux de grande sérénité et confiance dans le Seigneur. Quand les difficultés semblent recouvrir d’un voile sombre les perspectives d’un avenir meilleur, quand c’est l’échec ou le vide autour de nous, c’est que le moment de l’espérance chrétienne est arrivé, fondée sur le Seigneur ressuscité et accompagnée d’un vaste effort de charité en faveur des plus démunis. Je me réjouis de voir avec quel empressement l’Église au Portugal se soucie du sort de son peuple et lui apporte son soutien, comme vient de me le dire votre président, le cardinal Manuel Clemente, au cours de ses chaleureuses salutations. A mon tour, je vous invite à poursuivre dans cette voie, pour annoncer le salut de Jésus Christ.
Je vois, avec espérance, que la synodalité comme option de vie pastorale dans vos Églises particulières, est en train de grandir, essayant d’impliquer le plus grand nombre de membres dans son œuvre d’évangélisation et de sanctification auprès des hommes. Je tiens à vous dire combien j’apprécie votre zèle pastoral et toutes les initiatives que vous avez prises, individuellement ou en conférence, durant les années qui ont suivi votre visite ad limina en 2007. L’accueil que vous avez réservé au pape Benoît XVI en mai 2010 fut le point d’orgue de cette période. Puis il y a eu cette grande enquête générale sur la foi et sur les croyances de votre peuple qui fut d’une grande utilité. Celle-ci vous a interpellés sur la réalité qui vous entourait et a abouti à une première réponse générale qui figure dans la Note pastorale Promover a renovação da Pastoral da Igreja em Portugal (avril 2013). « Nous nous proposons aujourd’hui – écrivez-vous – de passer en revue les pistes qui se dégagent de ce travail pour mieux savoir porter le Christ à nos frères et sœurs en Jésus Christ. »
Vos divers rapports quinquennaux m’ont permis de voir, avec grande satisfaction, que les lumières sont plus nombreuses que les ombres : l’Église qui est au Portugal est une Église sereine, guidée par le bon sens, écoutée par la majeure partie de la population et par les institutions nationales, même si sa voix n’est pas toujours suivie ; le peuple portugais est bon, accueillant, généreux et religieux, il aime la paix et veut la justice ; l’épiscopat montre un visage uni, les prêtres sont bien préparés spirituellement et culturellement, portés par le désir d’offrir un témoignage de vie intérieure de plus en plus cohérent, vécu selon les principes de l’Evangile, c’est-à-dire enraciné dans la prière et la charité ; les consacré(e)s, fidèles au charisme de leurs fondateurs respectifs, montrent quant à eux à la société contemporaine la valeur éternelle du don total qu’ils ou elles ont fait à Dieu en suivant les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, et collaborent à la pastorale générale de chacune des Églises particulières, selon les directives du document Mutuae relationes. Et puis il y a des laïcs qui montrent, par leur vie dans le monde, la présence efficace de l’Église dans la promotion humaine et sociale des nations, en ayant bien à l’esprit les indications laissées par le concile Vatican II : «L’apostolat dans le milieu social s’efforce de pénétrer d’esprit chrétien la mentalité et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où chacun vit. Il est tellement le travail propre et la charge des laïcs que personne ne peut l’assumer comme il faut à leur place. Sur ce terrain, les laïcs peuvent mener l’apostolat du semblable envers le semblable. Là ils complètent le témoignage de la vie par celui de la parole. C’est là qu’ils sont le plus aptes à aider leurs frères, dans leur milieu de travail, de profession, d’étude, d’habitation, de loisir, de collectivité locale » (Apostolicam actuositatem, n. 13). Cette compréhension commune de vivre la communion dans l’Église et de favoriser sa présence dans le monde, ouvre le champ à tant d’initiatives appropriées, en particulier pour tous ceux qui souhaitent faire l’expérience du volontariat dans les domaines de la catéchèse, de la culture, de l’assistance auprès des plus pauvres, des marginaux, des infirmes et des personnes âgées.
Je me réjouis de tout cela et vous invite à redoubler d’efforts dans votre travail d’évangélisation, en restant constants et méthodiques ; ayez conscience qu’une formation authentiquement chrétienne des consciences est d’une fondamentale importance, qu’elle est une aide indispensable pour un bon développement social, et une vraie source d’équilibre et de bien-être pour le Portugal. Ayez confiance en Dieu, ne perdez pas courage face à des situations qui suscitent perplexité et vous attristent, comme voir stagner certaines paroisses, qui ont besoin de raviver la foi baptismale, pour réveiller chez l’individu et au sein de la communauté, un véritable esprit de mission ; ou à la vue de certaines paroisses parfois centrées et refermées sur « leur » curé, auxquelles le manque de prêtres impose, entre autres, de s’ouvrir à une logique plus dynamique et ecclésiale dans la communion ; ou de certains prêtres, tentés par l’activisme, qui ne cultivent ni la prière ni la profondeur spirituelle, pourtant si essentielles dans un travail d’évangélisation; à la vue aussi de ces adolescents et de ces jeunes qui abandonnent en masse la pratique chrétienne, après le sacrement de la confirmation ; de ce vide dans les propositions offertes par la paroisse au plan de la formation chrétienne des jeunes après la confirmation qui pourrait empêcher de futures situations familiales irrégulières ; à la vue de ce besoin de conversion personnelle et pastorale des pasteurs et fidèles et leur désir que tous puissent dire, en vérité et dans la joie : l’Église est notre demeure.
Mes frères bien-aimés, comment ne pas s’inquiéter de cette fuite de la jeunesse, juste à l’âge où celle-ci est appelée à prendre en mains les rênes de son existence ? Demandons-nous : pourquoi les jeunes s’en vont-ils ? Le décident-ils parce que les propositions que nous leur offrons ne leur plaisent pas ? Ou est-ce tout simplement parce que les habits de leur première communion ne leur servent plus ou qu’ils en ont changé ? Est-il possible que la communauté chrétienne insiste pour le lui faire porter ? Son ami de l’époque, Jésus, a grandi lui aussi, il a pris sa vie en main, avec quelque incompréhension avec ses parents (cf. Lc 2, 48-52), et il a accueilli les plans que le Ciel faisait sur lui, les portant à leur accomplissement en s’abandonnant complètement dans les mains du Père (cf. Lc 23, 46). Je me souviens qu’à un moment de crise et d’h
ésitation qui impliqua ses amis et disciples et amena beaucoup d’entre eux à déserter, Jésus demanda aux douze disciples : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 67-69). La proposition de Jésus les avait convaincus ; aujourd’hui notre proposition de Jésus n’est guère convaincante. Je pense que dans les textes préparés pour les années de catéchèse suivantes, l’image et la vie de Jésus sont bien présentées ; peut-être est-il devenu plus difficile de le rencontrer dans le témoignage de vie du catéchiste et de la communauté entière qui l’envoie et le soutient, fondée sur les paroles de Jésus : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Qu’il soit présent, cela ne fait aucun doute ; mais où le cachons-nous ? Car, si la proposition est « Jésus-Christ crucifié et rendu vivant au travers du catéchiste et de la communauté, si Jésus se met en marche avec le jeune et parle à son cœur, ce dernier sûrement s’enflammera (cf. Lc 22, 15 et 32).
Jésus marche avec le jeune… hélas ! la pensée dominante actuelle, qui assimile l’être humain à un apprenti créateur de lui-même et totalement ivre de liberté, a du mal à accepter le concept de vocation, dans sa signification la plus haute : un appel du créateur qui arrive du fond de la personne et au cœur de sa vie. Mais la vérité c’est que Dieu, en nous créant, libère indubitablement, prédispose en un certain sens, notre essence, l’imaginant et la dotant de capacités pour accomplir sa mission : servir son humanité bien-aimée. Et Dieu nous aime trop pour nous abandonner au hasard et au manque de bien. Notre bonheur dépend donc pleinement de notre capacité à identifier et suivre l’appel à telle mission. Cette liberté préparée au plus profond de notre être pour un bien précis, le monde la voit comme une « contradiction » et, dans son calcul des probabilités, ne voit pour nous aucune possibilité de finir à l’endroit exact qu’un Etre infini nous aurait attribué. Mais le monde se leurre car Il « s’est penché sur son humble servanteet fit en elle des merveilles ». Ces mots traduisent la certitude d’une jeune bénie de Dieu, mais qui voyait la miséricorde que Dieu lui avait adressée s’étendre « d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (cf. Lc 1, 48-50).
Et il n’y a aucune raison qu’une personne, quelle qu’elle soit, s’exclue d’elle-même de ce tendre regard de Dieu sur son humble créature. « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 15). Jésus marche avec le jeune… Au catéchiste, à toute la communauté, il est demandé de passer d’un modèle scolaire à un modèle catéchuménal : qui ne soit pas uniquement des connaissances cérébrales, mais aussi une rencontre personnelle avec Jésus Christ, vécue dans une dynamique vocationnelle selon laquelle Dieu appelle et l’être humain répond. « Le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il m’a façonné (…) pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » (Is 49, 1 et 5). L’Église au Portugal a besoin de jeunes capables de donner une réponse à Dieu qui les appelle, pour ré-avoir des familles chrétiennes stables et fécondes, pour ré-avoir des personnes consacrées qui échangent tout pour le trésor du Royaume de Dieu, pour ré-avoir des prêtres immolés avec le Christ pour leurs frères et leurs sœurs. Nous avons tant de jeunes au chômage alors que le Royaume des cieux manque d’ouvriers et de serviteurs… Dieu ne peut pas vouloir cela. Alors que se passe-t-il ? « Parce que personne ne nous a embauchés » (Mt 20, 7). Nous devons donner une dimension vocationnelle à un parcours catéchétique global qui puisse couvrir tous les âges d’un être humain, de manière à ce que tous soient une réponse au bon Dieu qui appelle : encore dans les entrailles de la mère, il a appelé à la vie et notre être s’est éveillé à la vie ; et une fois terminée son étape sur terre, il faudra répondre à cet appel de tout son être : « Serviteur bon et fidèle… entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25, 21).
Bien aimés frères, vous ne manquez pas de zèle apostolique ni d’esprit d’initiative pour atteindre cet objectif, car vos forces humaines sont liées à l’efficacité de l’aide de Dieu. Jésus a dit : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais » (Jn 14, 12), malgré notre totale indignité, malgré notre faiblesse humaine. Les apôtres aussi étaient des hommes faibles. Pierre aussi était un homme faible. Que parte donc de l’Église tout entière un effort de collaboration, car c’est à l’Église que le Seigneur a garanti sa présence constante et une aide infaillible. Après cette visite ad limina, reprenez votre marche d’un nouvel élan, et transmettez à tout un chacun la certitude de ma solidarité, de mon empathie, fraternelles. Je partage vos inquiétudes et vos espérances, vos préoccupations et vos joies ; avec vous et pour vous je prie la très sainte Vierge Marie. N’arrêtez pas de tendre vers elle vos cœurs, dans un amour filial. Et n’oubliez pas de prier pour moi. Je vous confirme mon affection et vous donne ma bénédiction apostolique, avec laquelle je compte embrasser aussi les fidèles confiés à vos attentions pastorales.
© Traduction de Zenit, Océane Le Gall