Messe en rite chaldéen, 6 mars 2021, Bagdad © Vatican Media

Messe en rite chaldéen, 6 mars 2021, Bagdad © Vatican Media

Messe à Bagdad : on change le monde par « le témoignage quotidien » de l’amour

Le pape célèbre en rite chaldéen (Homélie intégrale)

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« C’est ainsi que l’on change le monde : non pas par le pouvoir ou par la force, mais avec les Béatitudes », a affirmé le pape François lors de la messe qu’il a célébrée dans la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph à Bagdad, en Irak, au deuxième jour de son voyage apostolique dans le pays, ce 6 mars 2021. Ces Béatitudes, a-t-il dit, ne demandent pas « de faire des choses extraordinaires » mais « le témoignage quotidien » de l’amour.

Pour cette première messe sur le sol irakien, en présence du président Barham Saleh – musulman – et de son épouse, ainsi que de l’ambassadeur de France en Irak Bruno Aubert, le pape célébrait pour la première fois de l’histoire des pontificats en rite chaldéen. Une liturgie à laquelle ont participé 180 personnes, à distance les unes des autres.

Pour Dieu, a souligné le pape dans son homélie, « n’est pas plus grand celui qui possède, mais celui qui est pauvre en esprit ; non pas celui qui peut tout sur les autres, mais celui qui est doux avec tous ; non pas celui qui est acclamé par les foules, mais celui qui est miséricordieux envers son frère ».

« Si je vis comme Jésus demande, qu’est-ce que j’y gagne ? » s’est demandé le pape, avant de répondre : « Le cœur des Béatitudes, même s’il paraît faible aux yeux du monde, en réalité est gagnant… L’amour est notre force… tandis que la puissance, la gloire et la vanité du monde passent, l’amour demeure… Vivre les Béatitudes, alors, c’est rendre éternel ce qui passe. C’est porter le Ciel sur la terre. »

Pour pratiquer les Béatitudes, a-t-il expliqué, « il n’est pas nécessaire d’être des héros de temps à autre, mais des témoins chaque jour ». « Tout consiste à témoigner de l’amour de Jésus », dont la première qualité est « la patience de recommencer à chaque fois ».

« L’amour ne s’indigne pas, mais repart toujours. Il ne s’attriste pas, mais stimule ; il ne se décourage pas, mais il reste créatif. Face au mal, il n’abandonne pas, il ne se résigne pas », a poursuivi le pape. Il a mis en garde contre deux tentations en face de l’épreuve : la fuite ou la colère.

« Ce que le monde nous enlève n’est rien comparé à l’amour tendre et patient avec lequel le Seigneur accomplit ses promesses », a assuré le pape, en concluant : « Chère sœur, cher frère, peut-être que tu regardes tes mains et elles te semblent vides, peut-être que dans ton cœur la méfiance s’insinue et que tu ne te sens pas récompensé par la vie. Si c’est le cas, ne crains pas : les Béatitudes sont pour toi, pour toi qui es affligé, affamé et assoiffé de justice, persécuté. »

La célébration s’est poursuivie par une prière universelle lue en arabe, en araméen, en kurde, en turque, et en anglais. Au terme de la messe, des applaudissements prolongés et exclamations de joie ont ponctué les salutations du pape, dans la procession de sortie.

Après Nadjaf et Nassirya, il s’agissait du dernier rendez-vous de la journée pour le pape argentin qui loge à la nonciature apostolique de Bagdad. Demain, il doit se rendre dans le Kurdistan irakien, à Mossoul, à Qaraqosh et à Erbil pour la dernière messe de son voyage qui se conclura le 8 mars.

De notre envoyée spéciale dans l’avion papal AKM

Homélie du pape François

La Parole de Dieu nous parle aujourd’hui de sagesse, de témoignage et de promesses.

La sagesse sur ces terres a été cultivée depuis des temps très anciens. Sa recherche a depuis toujours fasciné l’homme ; mais souvent, celui qui a davantage de moyens peut acquérir plus de connaissances et avoir plus d’opportunités, tandis que celui qui en a moins est mis de côté. C’est une inégalité inacceptable qui s’est étendue aujourd’hui. Mais le Livre de la Sagesse nous surprend en renversant la perspective. Il dit que « au petit, par pitié, on pardonne, mais les puissants seront jugés avec puissance » (Sg 6, 6). Pour le monde, celui qui a moins est écarté et celui qui a plus est privilégié. Pour Dieu non : celui qui a plus de pouvoir est soumis à un examen rigoureux, tandis que les derniers sont les privilégiés de Dieu.

Jésus, la Sagesse en personne, complète ce renversement dans l’Evangile : non pas à un moment quelconque, mais au début de son premier discours, avec les Béatitudes. Le renversement est total : les pauvres, ceux qui pleurent, les persécutés sont dits bienheureux. Comment est-ce possible ? Bienheureux, pour le monde, sont les riches, les puissants, les célèbres ! A de la valeur celui qui possède, celui qui peut, celui qui compte ! Pour Dieu non : n’est pas plus grand celui qui possède, mais celui qui est pauvre en esprit ; non pas celui qui peut tout sur les autres, mais celui qui est doux avec tous ; non pas celui qui est acclamé par les foules, mais celui qui est miséricordieux envers son frère. A ce point, il peut y avoir un doute : si je vis comme Jésus demande, qu’est-ce que j’y gagne ? Est-ce que je ne risque pas de me faire marcher sur les pieds par les autres ? La proposition de Jésus convient-elle ? Ou est-elle perdante ? Elle n’est pas perdante, mais sage.

La proposition de Jésus est sage parce que l’amour, qui est le cœur des Béatitudes, même s’il paraît faible aux yeux du monde, en réalité est gagnant. Sur la croix il s’est montré plus fort que le péché, dans le sépulcre il a vaincu la mort. C’est le même amour qui a rendu les martyrs victorieux dans l’épreuve, et combien il y en a eu au siècle dernier, plus que dans les précédents ! L’amour est notre force, la force de nombreux frères et sœurs qui, ici aussi, ont subi des préjugés et des offenses, des mauvais traitements et des persécutions pour le nom de Jésus. Mais tandis que la puissance, la gloire et la vanité du monde passent, l’amour demeure : comme nous l’a dit l’Apôtre Paul, « l’amour ne passera jamais » (1 Co 13, 8). Vivre les Béatitudes, alors, c’est rendre éternel ce qui passe. C’est porter le Ciel sur la terre.

Mais comment se pratiquent les Béatitudes ? Elles ne demandent pas de faire des choses extraordinaires, d’accomplir des exploits qui vont au-delà de nos capacités. Elles demandent le témoignage quotidien. Bienheureux est celui qui vit avec douceur, qui pratique la miséricorde là où il se trouve, qui maintient le cœur pur là où il vit. Pour devenir bienheureux, il n’est pas nécessaire d’être des héros de temps à autre, mais des témoins chaque jour. Le témoignage est le chemin pour incarner la sagesse de Jésus. C’est ainsi que l’on change le monde : non pas par le pouvoir ou par la force, mais avec les Béatitudes. Parce que c’est ce qu’a fait Jésus, en vivant jusqu’au bout ce qu’il avait dit au début. Tout consiste à témoigner de l’amour de Jésus, de la même charité que saint Paul décrit magnifiquement dans la deuxième lecture d’aujourd’hui. Voyons comment il la présente.

Pour commencer il dit que « la charité est longanime » (v. 4). Nous ne nous attendions pas à cet adjectif. Amour semble être synonyme de bonté, de générosité, de bonnes œuvres ; pourtant Paul dit que la charité est avant tout longanime. C’est une parole qui, dans la Bible, raconte la patience de Dieu. Tout au long de l’histoire, l’homme a continué à trahir l’alliance avec lui, à tomber dans les mêmes péchés, et le Seigneur, au lieu de se lasser et de s’en aller, chaque fois est demeuré fidèle, a pardonné, a recommencé. La patience de recommencer à chaque fois est la première qualité de l’amour, parce que l’amour ne s’indigne pas, mais repart toujours. Il ne s’attriste pas, mais stimule ; il ne se décourage pas, mais il reste créatif. Face au mal, il n’abandonne pas, il ne se résigne pas.Celui qui aime ne s’enferme pas en lui-même quand les choses vont mal, mais il répond au mal par le bien, en rappelant la sagesse victorieuse de la croix. Le témoin de Dieu fait ainsi : il n’est pas passif, fataliste, il ne vit pas à la merci des circonstances, de l’instinct et de l’instant, mais il est toujours plein d’espoir, parce qu’il est fondé dans l’amour qui « supporte tout, fait confiance en tout, espère tout, endure tout » (v. 7).

Nous pouvons nous demander : et moi, comment est-ce que je réagis aux situations qui ne vont pas ? Face aux épreuves, il y a toujours deux tentations. La première est la fuite : fuir, tourner le dos, ne plus vouloir savoir. La seconde est de réagir avec colère, par la force. C’est ce qui est arrivé aux disciples à Gethsémani : devant le trouble, plusieurs s’enfuirent et Pierre prit l’épée. Mais ni la fuite ni l’épée n’ont résolu quoi que ce soit. Jésus, par contre, a changé l’histoire. Comment ? par la force humble de l’amour, par son témoignage patient. Nous sommes appelés à faire ainsi ; Dieu réalise ses promesses de cette manière.

Promesses. La sagesse de Jésus, qui s’incarne dans les Béatitudes, demande le témoignage et offre la récompense contenue dans les promesses divines. Nous voyons en effet que chaque béatitude est suivie d’une promesse : celui qui les vit aura le Royaume des Cieux, il sera consolé, rassasié, il verra Dieu… (cf. Mt 5, 3-12). Les promesses de Dieu assurent une joie sans égale et ne déçoivent pas. Mais comment s’accomplissent-elles ? A travers nos faiblesses. Dieu rend bienheureux ceux qui parcourent jusqu’au bout le chemin de leur pauvreté intérieure. La route est celle-là, il n’y en a pas d’autre. Regardons le patriarche Abraham. Dieu lui promet une nombreuse descendance, mais lui et Sara sont âgés et sans enfants. Précisément dans leur vieillesse patiente et confiante Dieu opère des merveilles et leur donne un fils. Regardons Moïse : Dieu lui promet qu’il libèrera le peuple de l’esclavage et pour cela il lui demande de parler au pharaon. Moïse fait remarquer qu’il est embarrassé pour parler, pourtant Dieu réalisera la promesse à travers ses paroles. Regardons la Vierge qui, en raison de la Loi, ne peut avoir d’enfant, est appelée à devenir mère. Et regardons Pierre : il renie le Seigneur et c’est lui que Jésus appelle à confirmer ses frères. Chers frères et sœurs, parfois nous pouvons nous sentir incapables, inutiles. N’y croyons pas, car Dieu veut accomplir des prodiges
précisément à travers nos faiblesses.

Il aime faire ainsi et, ce soir, huit fois de suite, il nous a dit tūb’ā [bienheureux], pour nous faire comprendre, qu’avec lui, nous le sommes réellement. Certes, nous sommes éprouvés, nous tombons souvent, mais nous ne devons pas oublier qu’avec Jésus, nous sommes bienheureux. Ce que le monde nous enlève n’est rien comparé à l’amour tendre et patient avec lequel le Seigneur accomplit ses promesses. Chère sœur, cher frère, peut-être que tu regardes tes mains et elles te semblent vides, peut-être que dans ton cœur la méfiance s’insinue et que tu ne te sens pas récompensé par la vie. Si c’est le cas, ne crains pas : les Béatitudes sont pour toi, pour toi qui es affligé, affamé et assoiffé de justice, persécuté. Le Seigneur te promet que ton nom est écrit dans son cœur, dans les Cieux ! Et moi aujourd’hui je le remercie avec vous et pour vous, car ici, là où dans l’antiquité est née la sagesse, en ces temps-ci se sont levés beaucoup de témoins, souvent négligés par les chroniques, mais précieux aux yeux de Dieu ; des témoins  qui, vivant les Béatitudes, aident Dieu à réaliser ses promesses de paix.

© Librairie éditrice du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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