Le Pasteur : l’Agneau qui sauve les brebis
- Le vrai Pasteur, donc le bon Pasteur
La liturgie d’aujourd’hui nous invite à contempler Jésus comme pasteur et porte de la bergerie, tandis qu’à Pâques nous l’avons contemplé comme Agneau, victime pascale qui rachète les brebis en triomphant de la mort pour toujours
Aujourd’hui, dans le monde occidental développé, l’image du pasteur n’est pas trop présente et lorsqu’elle l’est, c’est avec un peu de mépris. Cela est d’autant plus vrai que l’expression » je ne suis pas un mouton » est utilisée pour se définir comme des personnes adultes, indépendantes et courageuses, qui n’ont pas besoin de pasteurs.
Dans des temps plus anciens et dans la civilisation juive, la figure du pasteur était familière et bien connue : Abraham était pasteur, Moïse était pasteur de son peuple, et le Roi David le fut également. En effet, dans la civilisation biblique, l’image du roi pasteur qui guide son peuple était habituelle, tout comme l’était l’image du Dieu pasteur qui mène son peuple vers la liberté, vers la vie.
L’ histoire du salut chantée dans les Psaumes et racontée, en particulier dans l’ Exode, a rendu familière aux Juifs l’expérience d’un Dieu proche très bien exprimée dans l’image de Dieu qui mène son peuple aux pâturages, le défend contre ses ennemis, le sauve des dangers du désert et le guide vers l’ accomplissement de Ses promesses, vers la Terre Promise.
C’est une idylle divine qui résume le rapport tourmenté entre le peuple et Dieu qui utilise l’image du pasteur pour dire sa tendresse : « Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin. De même qu’un berger prend soin de ses bêtes le jour où il se trouve au milieu d’un troupeau débandé, ainsi je prendrai soin de mon troupeau ; je l’arracherai de tous les endroits où il a été dispersé un jour de brouillard et d’obscurité. Je le ferai sortir d’entre les peuples, je le rassemblerai des différents pays et je l’amènerai sur sa terre ; je le ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans le creux des vallées et dans tous les lieux habitables du pays. Je le ferai paître dans un bon pâturage, son herbage sera sur les montagnes du haut pays d’Israël. C’est là qu’il pourra se coucher dans un bon herbage et paître un gras pâturage, sur les montagnes d’Israël. Moi-même je ferai paître mon troupeau, moi-même le ferai coucher – oracle du Seigneur Dieu. La bête perdue, je la chercherai ; celle qui sera écartée, je la ferai revenir ; celle qui aura une patte cassée, je lui ferai un bandage ; la malade, je la fortifierai. Mais la bête grasse, la bête forte, je la supprimerai ; je ferai paître mon troupeau selon le droit. (Ez 34,11-16)
Jésus qui portait en lui la vérité et l’accomplissement de toutes les prophéties, se place dans ce sillage et montre qu’il est le vrai, le bon Pasteur qui connaît ses brebis et que ses brebis connaissent, comme le Père Le connaît et Lui connaît le Père (cf Jn 10,14-15). Comme elle est merveilleuse cette connaissance, qui va jusqu’ à l’éternelle Vérité et à l’Amour dont le nom est le « Père ». C’est précisément de cette source que provient cette connaissance particulière qui fait naître la confiance pleine et pure. Il ne s’agit pas d’une connaissance abstraite, d’une certitude purement intellectuelle : c’est une connaissance libératrice qui suscite la confiance.
- Le Pasteur qui est la Porte
Comme je l’ai évoqué plus haut, l’allégorie du pasteur, à travers laquelle Jésus décrit son identité : » JE SUIS le bon pasteur » (Jn 10,11), se développe sur un fond encore très familier à la vie en Terre Sainte. Le soir, les bergers conduisent le troupeau dans un enclos pour la nuit. En général, plusieurs troupeaux se retrouvent dans un enclos commun. Le matin, chaque berger appelle son troupeau et les brebis – elles connaissent sa voix- le suivent.
En racontant cette scène familière, Jésus souligne surtout, que c’est Lui le Vrai pasteur, parce que, à la différence du berger mercenaire, il ne vient pas voler les moutons mais il vient donner la vie. La caractéristique du bon pasteur est le don de soi.
Mais ici intervient une deuxième réflexion : Jésus est la porte de la bergerie : » JE SUIS la porte » (cf Jn 10, 7 et 9), qui peut s’entendre en deux sens : l’un s’adresse aux chefs, l’autre concerne les fidèles. Jésus est la porte à travers laquelle il faut passer pour être des pasteurs légitimes. Personne ne peut avoir une autorité sur l’Eglise s’il n’est pas légitimé par Jésus. Ensuite, personne n’est un disciple s’il ne passe à travers Jésus et n’entre dans sa communauté. Comme on peut le voir, Jésus est le centre, aussi bien de l’autorité qui gouverne en son nom, que des fidèles qui, par la communion avec lui, peuvent appartenir réellement au peuple de Dieu.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus dit : » Je-Suis » et le dit quatre fois : Je-Suis la porte, encore Je-Suis la porte, puis Je-Suis le bon pasteur, Je-Suis le bon pasteur ; là, Je-Suis rappelle le Dieu de l’Exode, la révélation du Nom de Dieu, du Dieu qui sauve l’homme et le libère.
Celui qui entre par la Porte est le pasteur, les autres sont des voleurs et des malfaiteurs. La porte est une brèche dans le mur de l’enclos d’où on peut sortir vers la liberté. Jésus représente la porte qui est l’ouverture entre Dieu et l’homme ; en tant que Parole de Dieu incarnée, Il est la porte de l’homme sur Dieu. C’est la porte de l’homme sur la vérité de l’homme qui est fils de Dieu et celui qui entre par cette porte, entre à travers l’intelligence parce que le Fils est le Verbe du Père, il est l’intelligence ; il entre à travers la liberté et l’amour parce qu’il est le fils libre, qui aime, répond à l’amour et mène un certain type de vie.
Quant à l’enclos de la bergerie, qui, bien que nécessaire pour la protection des brebis, n’en est pas moins une barrière, la porte signifie la capacité, la possibilité de communication, de communion.
Cette porte qui est Jésus, représente la frontière de tout ce qui nous sépare de Dieu et qui sépare Dieu de nous, et, par conséquent, la possibilité d’une communication et d’une communion, désirée aussi bien par Lui que par nous.
3) Suivre le Pasteur, pour évangéliser.
Dans le passage de l’évangile d’aujourd’hui, on ne décrit pas seulement la figure du pasteur Jésus et des pasteurs de l’Eglise, mais on décrit également le comportement des brebis appelées par leur nom à Le suivre. Leur démarche est le fruit d’un appel (« il appelle ses brebis une par une »), elle implique une appartenance (les brebis sont les siennes) et exige une écoute ( » elles écoutent sa voix »).
Appel, Appartenance et Ecoute constituent les particularités de la communauté qui marche avec Jésus. Naturellement, elles impliquent le refus affirmé de tout autre pasteur, et de tout autre maître (« elles ne suivront pas un étranger, mais le fuiront »).
Jésus, lumière du monde, nous conduit vers les pâturages de la vie : il fait de nous un seul troupeau de personnes libres, de fils et frères, tous semblables à lui et différents entre eux. Lui est l’Agneau qui sait exposer, déposer et disposer de sa vie en faveur des autres. Il est le Chef parce qu’il est le Serviteur de tous : Il est le vrai Pasteur, et non l’un de ces personnages connus, trop souvent suivis comme des modèles, mais des modèles qui volent la vie, qui ne la donnent pas.
Le modèle d’homme que Jésus nous propose de vivre, c’est celui du pasteur. Lui, le bon Pasteur, vient pour nous conduire à la liberté, et non pas pour nous inciter à suivre ces modèles ordinaires, à la mode et déviants. Lui est le pasteur, bon et vrai, qui offre sa vie pour ses brebis (cf Jn 10,11.15).
Mais il est une autre caractéristique dont il est fait mention plus basse. Jésus Pasteur non seulement trace le chemin du troupeau (il marche devant le troupeau), il n’est pas uniquement celui qui rassemble le troupeau (celui qui aime et appelle ses brebis), mais il est celui qui, en marchant devant le troupeau, pense aux brebis qui n’appartiennent pas à la bergerie. Ainsi Pierre : il est le pasteur de l’Eglise, mais il pense au monde entier. Sa fonction est aussi de veiller à ce que la communauté chrétienne ne se renferme pas sur elle-même, qu’elle ne s’extraie pas du monde, qu’elle ne pense pas qu’à elle-même.
En ce sens, les vierges consacrées dans le monde montrent qu’être religieux ne signifie pas « se réserver » pour la vie éternelle… mais entrer, comme le Verbe de Dieu, dans la quotidienneté du travail, en montrant le visage du Père qui attend, du Fils qui refait toutes choses nouvelles, de l’Esprit qui anime.
S’intégrer dans le monde signifie porter l’exemple de l’Incarnation jusqu’à ses limites les plus intensément dramatiques. Comme le dit Saint-Paul : » Que ceux qui tirent profit de ce monde soient comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe » (cf. 1 Cor 7,31). Il s’agit de mettre le transcendant au cœur même de la vie et de l’activité quotidienne qui nous ont été confiées. Cette dimension représente une consécration et un « engagement qui crée une relation exceptionnelle au service et à la gloire de Dieu » (Con Vat.II, Const. Dog. Lumen Gentium, 44).
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Lecture Patristique
Saint-Augustin d’Hippone
(13 novembre 354 – le 28 août 430)
40ème TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : «JE SUIS LE BON PASTEUR, ET JE CONNAIS MES BREBIS», JUSQU’À CES AUTRES : « LE DÉMON PEUT-IL OUVRIR LES YEUX DES AVEUGLES ». (Chap. X, 14-21.)
Pour le texte complet : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/jean/tr41-50/tr47.htm
PASTEUR ET PORTE.
Jésus-Christ nourrit ses brebis du pain de la vérité ; c’est par sa grâce que les prédicateurs ont entrée dans l’esprit des fidèles pour y porter la connaissance du bon Pasteur. Il y entre donc par lui-même. Il est aussi exclusivement la porte qui nous conduit au Père, car il a quitté son âme, il est mort pour nous ; œuvre d’autant plus méritoire qu’elle fut l’effet de sa pleine liberté, bien que son Père la lui eût commandée.
- Tous ceux d’entre vous qui écoutent la parole de notre Dieu, non-seulement avec plaisir, mais encore avec attention, se souviennent, sans aucun doute, de la promesse que nous vous avons faite. On vous a donné encore aujourd’hui lecture du passage de l’Evangile qui nous a déjà été lu dimanche dernier ; comme nous nous étions arrêtés sur certaines explications indispensables, il nous a été impossible de vous fournir toutes celles dont vos désirs nous rendaient redevable envers vous. Nous ne nous occupons donc plus aujourd’hui de ce qui a été précédemment dit et discuté. En nous répétant, nous nous exposerions peut-être à ne pouvoir traiter les sujets non encore abordés. Vous avez déjà appris, au nom du Seigneur, qui est le bon pasteur, et comment les bons pasteurs sont ses membres ; vous savez qu’il n’y a par conséquent qu’un seul pasteur. Vous n’ignorez pas davantage quels sont les mercenaires à supporter ; le loup, les voleurs et les brigands à éviter ; vous connaissez les brebis et la porte par laquelle entrent dans le bercail les brebis et le pasteur. On vous a dit qui est-ce qui est désigné sous le nom de portier ; enfin, vous savez que celui qui n’entre point par la porte est un voleur et un brigand, dont le but unique est de dérober, de tuer et de détruire. Tout cela a été dit et, je le pense, suffisamment expliqué. Notre Sauveur Jésus-Christ nous a déclaré être le pasteur et la porte, et il a ajouté que le bon pasteur entre dans la bergerie par la porte ; aujourd’hui, nous dirons donc, avec le secours de la grâce, comment il entre par lui-même. Puisque, d’une part, nul n’est bon pasteur s’il n’entre par la porte, et que, d’autre part, il est lui-même et particulièrement le bon pasteur et aussi la porte, je dois nécessairement comprendre qu’il entre par lui-même dans le bercail, qu’il fait entendre sa voix à ses brebis afin qu’elles le suivent, et qu’en entrant et en sortant, elles trouvent des pâturages, c’est-à-dire la vie éternelle.
- Je m’explique donc sans plus tarder. Je cherche à pénétrer en vous, c’est-à-dire en vos cours ; c’est pourquoi je vous prêche le Christ : si je vous prêchais autre chose, je chercherais à entrer par un autre endroit. Le Christ est donc pour moi la porte par laquelle il m’est légitimement possible d’arriver jusqu’à vous : par le Christ, je pénètre, non jusqu’à vos murs, mais jusqu’à vos cœurs. J’entre en vous par le Christ, et vous l’écoutez volontiers parler par ma bouche. Et pourquoi l’écoutez-vous avec plaisir en ma propre personne ? Parce que vous êtes les brebis du Christ, rachetées au prix de son sang. Vous connaissez votre valeur : je ne vous la donne [647] pas, cette valeur ; je ne fais que vous l’annoncer. Celui qui a versé pour vous son sang, vous a achetés, et ce sang précieux est le sang de Celui qui est sans péché. Et Celui-là a donné de la valeur au sang des fidèles pour lesquels il a répandu son précieux sang ; s’il ne lui avait pas communiqué cette valeur, il ne serait pas dit : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur (1) ». Par conséquent, il n’a pas été le seul à mettre en pratique ces paroles : « Le bon pasteur donne a sa vie pour ses brebis ». Et puisque ceux qui l’ont fait sont ses membres, il est, à vrai dire, le seul qui l’ait fait. Sans eux, il a pu agir de la sorte ; mais qu’auraient-ils pu faire sans lui, puisqu’il a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire (2) ? » La preuve que les autres ont donné leur vie pour leurs brebis, je la trouve dans une épître de ce même apôtre Jean, qui a écrit l’Evangile dont on vous a donné lecture : « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous a donner la nôtre pour nos frères (3) ». « Nous a devons » ; en nous donnant l’exemple, il nous a imposé l’obligation de ce sacrifice. C’est pourquoi il est écrit quelque part : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce qu’on placera devant toi : tends alors la main, et sache qu’il te faut préparer de telles choses (4) ». Cette table du roi, quelle est-elle ? Vous le savez. Là se trouvent le corps et le sang de Jésus-Christ : celui qui s’approche d’une pareille table doit préparer de pareilles choses. Qu’est-ce à dire : il doit préparer de pareilles choses ? « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous », pour l’édification du peuple et l’affirmation de notre foi, « donner la nôtre pour nos frères ». Aussi le Sauveur dit-il à Pierre, dont il voulait faire un bon pasteur, non en Pierre lui-même, mais dans son propre corps : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis ». Il ne se contenta pas de lui parler ainsi une seule fois, il lui répéta ces paroles deux et trois fois, jusqu’à le contrister. Et quand il l’eut interrogé autant de fois qu’il jugea à propos de le faire, pour obtenir de lui une confession triple comme son reniement, quand il lui eut, pour la troisième fois, confié ses brebis, il lui dit : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ». L’Evangéliste a donné l’explication des paroles du Sauveur ; la voici : « Il dit cela, pour marquer par quelle mort il devait glorifier Dieu (1) ». Ces mots : « Pais mes brebis », signifient donc : Tu dois donner ta vie pour tes brebis.
- Ps. CXV, 15.— 2. Jean, XV, 5.— 3. I Jean, III, 16.— 4. Prov. XXIII, 1, 2, suiv. les Septante.