Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, a présidé la Conférence des évêques de France (CEF) de 2019 à 2025. Il a terminé son deuxième mandat le 1er juillet dernier, laissant le cardinal Jean-Marc Aveline prendre ses fonctions de nouveau président.
Des années intenses marquées principalement par un gros travail de vérité concernant les abus sexuels au sein de l’Église, mais aussi par de nombreuses rencontres avec les autorités françaises, une avancée solide en matière d’œcuménisme et un soutien manifeste envers les chrétiens d’Orient en souffrance. Mgr de Moulins-Beaufort livre ici son propre regard sur sa mission de président au service de l’Église en France.
Zenit : Quels événements forts retenez-vous de vos années à la présidence de la Conférence épiscopale française ?

En conférence de presse à Lourdes, 26 mars 2021 © Vatican Media
Mgr É. de Moulins-Beaufort : L’événement le plus marquant a incontestablement été le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) en octobre 2021 et les rencontres nombreuses que j’ai pu avoir avec des personnes victimes. J’ai découvert encore plus fortement ce qu’avaient subi ces personnes, mais aussi leur force pour vivre malgré tout. Constater tout le mal que les êtres humains peuvent se faire, et que même des prêtres peuvent faire à d’autres, est pour moi un profond sujet d’interrogation.
Les personnes victimes m’ont beaucoup impressionné. Elles gardent malgré tout l’espérance que l’Église peut trouver les gestes nécessaires pour leur redonner confiance, du moins les reconnaître comme victimes et ouvrir un chemin de réparation. Nous leur devons beaucoup. Leur persévérance dans le travail fait avec l’Église a été certainement un élément décisif des six années où j’ai été à la présidence de la CEF.
Un autre élément personnel fort, sur un autre plan, est d’avoir approché de près la vie concrète de l’Église ainsi que les défis qui se posent à nos diocèses. J’ai été un témoin du grand acte de foi des évêques et des fidèles en l’action de Dieu passant par son Église, malgré toutes ses faiblesses et les fautes de ses membres.
Enfin, j’ai été touché par mes rencontres avec le pape François, et plus récemment avec le pape Léon XIV. Au final, notre mission d’évêque est de tenir l’Église dans la continuité des apôtres et de veiller à ce qu’elle soit toujours mieux l’Église du Christ Jésus. Les fidèles attendent cela de nous.
Zenit : Y a-t-il des projets que vous n’avez pas eu l’occasion de voir aboutir, et des sujets que vous auriez aimé approfondir davantage ?
Mgr É. de Moulins-Beaufort : Nous avions commencé un grand travail sur l’écologie et sur la manière dont l’Église pouvait servir l’humanité dans la crise gravissime où elle se trouve. Il y a matière à s’adresser au monde de manière forte et renouvelée. Mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Ce travail reste devant nous. Je suis heureux de constater que le pape Léon XIV, en préparant la COP30, se tient bien dans la ligne du pape François.
Ces trois dernières années, nous avons aussi dû travailler une réforme des structures de la Conférence des évêques de France. Ceci pour continuer à être dynamiques, en tenant compte de nos ressources réelles, à la fois en argent, mais aussi en hommes et en femmes. Nous ne sommes évidemment pas allés jusqu’au bout, et cela m’intéresse de voir comment cette transformation va avancer.
Enfin, et cela concerne un peu plus les diocèses : tous nos diocèses se transforment, à la fois parce qu’ils ont un plus petit nombre de prêtres, mais aussi à cause de l’afflux des catéchumènes. Je me réjouis de voir cette croissance se poursuivre !
Zenit : Justement, comment avez-vous vécu cette forte croissance des catéchumènes pendant votre présidence ?
Mgr É. de Moulins-Beaufort : Je l’ai reçue personnellement comme un cadeau de Dieu, un encouragement, alors que nous faisions en même temps un gros travail de vérité pour mettre en lumière ce qui est obscur et douloureux au sein de notre Église. J’ai toujours dit que le dévoilement des abus et des violences sexuelles était une action de la miséricorde de Dieu qui purifie son Église en vue de sa mission. Assurément, les catéchumènes ne viennent pas mécaniquement à la suite de notre travail, cependant ce travail rend possible leur venue.
En fait, les catéchumènes viennent un peu d’au-delà de nos objectifs, d’au-delà de nos structures. Ils ne sont pas le résultat d’un programme marketing particulièrement bien organisé ! Ils sont un don et une promesse pour notre Église en France. Il faut maintenant que chaque diocèse s’organise pour mieux les accueillir, mieux les former et pour soutenir davantage la vie chrétienne dans les temps un peu troublés vers lesquels nous allons.
Zenit : Quel défi majeur avez-vous rencontré durant votre mission à la CEF ?

Abus : Audition par la Commission d’enquête sur le contrôle des établissements scolaires, 29 avril 2025 © Capture d’écran/ Assemblée nationale
Mgr É. de Moulins-Beaufort : J’ai fortement senti combien une décision, même travaillée à plusieurs comme nous l’avons fait au Conseil permanent, peut avoir du mal à être vraiment partagée et assumée par cent personnes à la fois, les cent évêques en France en l’occurrence. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas le temps ni les moyens de faire pour eux-mêmes le travail que le Conseil permanent avait réalisé.
Comment donc embarquer une centaine de personnes, toutes désireuses du bien et même du meilleur, mais avec qui nous ne pouvons partager toutes les étapes de la réflexion et de la décision ? Nous avons appris petit à petit à prendre en compte ce défi, et je pense que nous avons bien progressé durant ces six années.
Zenit : Vous avez eu beaucoup de relations avec les autorités françaises. Quel est votre bilan, connaissant les enjeux sociétaux actuels dans notre pays ?
Mgr É. de Moulins-Beaufort : Il y a une très grande courtoisie, beaucoup d’attente et de respect de la part des responsables de l’État. Pour autant, il n’y a pas forcément de très grands résultats. J’ai été écouté ; ai-je été entendu ? Les responsables religieux ont été écoutés ; ont-ils été entendus ? Est-ce que le résultat correspond à ce que l’on a pu souhaiter ? Pas forcément. Est-ce que notre parole, nos réflexions, nos échanges ont pu influer sur le cours des choses ? Je n’en suis pas certain. Je n’ai pas pourtant pas d’amertume, je pense que c’est nécessaire qu’il y ait de telles rencontres. Il faut accepter que leurs fruits ne soient pas évidents.
Sur les sujets de bioéthique, la France « glisse » comme beaucoup de pays occidentaux. Mais il y a quand même en elle du débat, on le voit notamment sur la fin de vie. Tout n’est donc pas joué d’avance ; c’est ce qui inquiète beaucoup les partisans d’un certain nombre de sujets comme l’avortement ou l’euthanasie.
Je dirais que le glissement de nos pays vers des solutions techniques à tous les problèmes est une sorte de maladie des pays hyper technicisés. Comme évêques, comme chrétiens, nous avons à travailler pour aider chaque personne à faire un choix meilleur dans chaque situation, quelle que soit la loi. Pour faire un choix encore meilleur que la loi.
Zenit : Vous avez organisé des voyages avec des membres de la CEF à la rencontre des pays d’Orient. Pourquoi cette initiative ?
Mgr É. de Moulins-Beaufort : J’avais la conviction que notre Église en France doit aussi agir au service de l’Église universelle. Elle a des liens anciens avec des Églises à travers le monde, notamment grâce aux missions en Afrique ou en Asie. Ces liens aujourd’hui sont différents et en quelque sorte inversés : il faut s’en réjouir parce que c’est cela la vie de l’Église : l’échange des dons.

Visite officielle des évêques français en Égypte, avril 2024 © CEF
Il me paraissait également important que les liens ne se fassent pas uniquement d’évêque à évêque ou de diocèse à diocèse, mais aussi par le biais de relations entre conférences épiscopales. Car c’est l’Église qui est en France qui se met en relation avec l’Église dans d’autres pays. Nous avons à vivre la catholicité de manière dynamique.
Quand je suis devenu président de la CEF, les pays d’Orient étaient en très grande souffrance depuis 2015, date de l’émergence de l’État islamique Daech. J’ai pensé que nous avions le devoir, comme Église occidentale et en particulier comme Église en France, de soutenir, d’accompagner les chrétiens d’Orient et de leur exprimer concrètement notre foi qu’ils sont des membres très importants de l’unique Église du Christ.
Zenit : Vous avez à présent complètement retrouvé votre diocèse. Avez-vous d’autres projets pour la suite ?
Mgr É. de Moulins-Beaufort : J’ai toujours un emploi du temps bien chargé. Je pensais avoir du temps pour faire plein d’autres choses et approfondir certains sujets, mais non ! Au niveau de la CEF, je préside à nouveau la Commission doctrinale, ce que je faisais déjà avant 2019. Bientôt viendra l’Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes. J’espère maintenant y avoir plus de temps pour des relations fraternelles avec les autres évêques !
