Quand les cloches de Mossoul ont sonné à nouveau cette semaine, leur carillon a porté plus que de la musique. Il portait la mémoire et un fragile espoir renaissant. Pour la première fois depuis que la guerre et la terreur les ont réduites au silence il y a près d’une décennie, les tours jumelles de Mar Toma et Al Tahira ont de nouveau rempli l’air de la ville de sons — un son qui définissait autrefois l’âme plurielle de Mossoul.
Les deux églises — Mar Toma, syriaque orthodoxe, et Al Tahira, chaldéenne catholique — ont rouvert le 15 octobre après des années de restauration minutieuse. Les deux bâtiments ont été presque effacés pendant les années d’occupation par l’Etat Islamique entre 2014 et 2017. Ce qui avait été une terre sacrée est devenu des avant-postes militaires, des prisons, et des ruines. Pourtant le même sol qui a vu la profanation accueille maintenant une résurrection silencieuse.
Leurs cloches, coulées par la fonderie Cornille Havard de Normandie, le même atelier qui a restauré les célèbres cloches de Notre-Dame de Paris, portent des inscriptions qui disent « La vérité vous rendra libres » et « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ». Ces mots, choisis bien avant le début du projet, semblent maintenant presque prophétiques.
« Ces églises ne sont pas que des pierres. Elles sont la mémoire de la foi, de l’histoire et de la communauté », a déclaré Mgr Najeeb Michael Moussa, l’évêque chaldéen de Mossoul, après la cérémonie de réouverture. Mar Toma, construite au 7e siècle, se dresse sur le site où la tradition veut que l’apôtre Thomas a jadis séjourné sur son chemin vers l’est. Al Tahira, dont le nom signifie « L’Immaculée », rappelle une apparition mariale censée avoir protégé la ville en 1743 des envahisseurs perses— une histoire qui a uni autrefois les chrétiens et les musulmans de Mossoul dans une dévotion commune.
Lorsque l’EI a pris la ville, les églises sont devenues des symboles de tout ce qu’il cherchait à détruire. Les croix de Mar Toma ont été défigurées ; ses fresques détruites. Le site est devenu d’abord un poste de police, puis un tribunal de fortune, puis une prison. Al Tahira, aussi, a été dépouillée et bombardée. La présence chrétienne qui représentait autrefois 14 pour cent de la population de Mossoul s’est réduite à quelques dizaines de familles.
La résurrection de ces deux monuments doit beaucoup à la solidarité internationale. La Fondation Aliph, par le biais de son programme « Mosaïque de Mossoul », a financé la restauration en partenariat avec le Conseil d’Etat irakien pour les antiquités et le patrimoine. L’organisation parisienne L’Œuvre d’Orient, connue pour son soutien aux communautés chrétiennes orientales, a géré le projet, avec des conseils techniques de l’Institut national du patrimoine. L’architecte française Eugénie Bouniol, qui a supervisé les travaux, les a décrits comme « une mission de fidélité — à l’histoire des bâtiments, à leur population, et à l’esprit qu’ils incarnent ».
Avant que toute restauration artistique ne puisse commencer, les équipes devaient enlever les mines et les explosifs laissés par les combattants. Ce n’est qu’alors que les artisans ont pu commencer à réparer les portes en albâtre sculpté de Mar Toma, datant du 13e siècle et représentant le Christ entouré des douze apôtres, ou les voutes géométriques délicates d’Al Tahira — chefs-d’œuvre du style local Jalili. Des ingénieurs et artisans locaux ont été formés sur place, de telle façon que l’expertise reste aux mains des Irakiens.
Le résultat, disent les observateurs, est plus qu’une histoire de réussite patrimoniale. C’est une histoire humaine. « Ce projet visait à restaurer la dignité autant que l’architecture, » a déclaré Mme Bouniol. « Il s’agissait de redonner à Mossoul sa voix ».
Pour Mgr Moussa, cette voix porte un message d’espérance, « Ces églises sont un signe que la foi peut être blessée mais pas éteinte », a-t-il dit aux participants. « Leur restauration est une graine — celle qui peut aider notre peuple à revenir. »
Peu de chrétiens restent à Mossoul aujourd’hui — environ 60 familles dans une ville de près de deux millions d’habitants. Mais l’évêque croit que chaque sonnerie de cloche appelle maintenant non seulement les fidèles, mais l’avenir. Alors que le son traverse le Tigre, se mêlant aux appels à la prière des mosquées voisines, il retrouve l’ancien nom de la ville : al-Mawsil, « le lieu de connexion »
A Mossoul, après des années de silence, la connexion a retrouvé sa sonorité.
