Lire l’exhortation apostolique Dilexit te
Aujourd’hui, à 12h, a eu lieu, dans la Salle de Presse du Saint-Siège, Via della Conciliazione 54, la conférence de presse de présentation de l’exhortation apostolique Dilexi te du pape Léon XIV sur l’amour envers les pauvres.
Sont intervenus :
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S. Em. le Card. Michael Czerny, S.J., préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral ;
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S. Em. le Card. Konrad Krajewski, préfet du Dicastère pour le service de la charité ;
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Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, provincial des Frères mineurs de France/Belgique, docteur en théologie ;
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Sœur Clémence, Petite Sœur de Jésus de la Fraternité des Trois Fontaines.
Nous publions ci-dessous quelques-unes des interventions :
Intervention de S. Em. le Card. Michael Czerny, S.J.
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Le visage des pauvres comme épiphanie du Royaume de Dieu (8-12)
En guérissant les blessures, qu’elles soient physiques, sociales ou spirituelles, l’Église proclame que le Royaume de Dieu embrasse les personnes vulnérables. Dans chaque acte de sollicitude, tel que la visite aux malades (Mt 25, 36), la communauté chrétienne fait l’expérience du salut dans la relation concrète avec ceux qui portent les marques de la Croix dans leur chair.
La pauvreté, énorme problème social, est également un thème théologique : à travers les pauvres, Dieu parle à l’Église («Dilexi te, je t’ai aimé »[1]), la foi devient réelle dans la miséricorde et le service qui brisent les barrières, et le peuple de Dieu fait l’expérience de la béatitude des « pauvres en esprit » [2].
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Des structures du péché à la conversion des structures sociales (90-98)
L’enseignement récent de l’Église comprend que la pauvreté résulte des structures du péché. L’égoïsme et l’indifférence se solidifient dans les systèmes économiques et culturels. L’« économie qui tue »[3] mesure la valeur humaine en termes de productivité, de consommation et de profit. Cette
« mentalité dominante » rend acceptable le rejet des personnes faibles et improductives, et mérite donc le qualificatif de « péché social ».
Au-delà des dons et autres formes d’aide, la réponse de l’Église dénonce la fausse impartialité du marché, propose des modèles de développement, promeut la justice et vise la conversion des structures. Cela favorise une forme de repentir social ou communautaire qui redonne leur dignité aux invisibles et les aide à se développer plus pleinement.
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La pauvreté comme subjectivité active et principe d’évangélisation (99-102)
Saint Jean-Paul II a exhorté les pauvres à devenir les protagonistes de la transformation ecclésiale et sociale. Les mouvements populaires (80-81), avec leur « énergie morale »[4], démontrent que la justice naît de l’inclusion des exclus. Outre les privations qu’ils subissent, les pauvres peuvent également être « porteurs d’espoir » et « bâtisseurs d’une destinée commune » [5]. Que l’Église les aide, se laisse évangéliser par eux, reconnaisse l’Esprit à l’œuvre en eux et proclame avec eux l’Évangile.
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Éducation, Eucharistie et service : promouvoir le développement intégral (68-72, 108-114)
La promotion du développement humain intégral, selon l’enseignement social de l’Église, associe l’éducation, l’Eucharistie et le service.
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- L’éducation est le premier acte de justice, car elle libère les personnes de la pauvreté spirituelle et les prépare à la responsabilité sociale.
- L’Eucharistie rassemble des personnes diverses, nourrit la communauté et la missionne à la charité et à la solidarité.
- Le service est l’amour social sous une forme concrète : le souci des pauvres et de notre maison commune.
Ainsi, l’Église offre sa miséricorde au monde, en promouvant une civilisation dans laquelle chaque personne est reconnue comme l’image de Dieu.
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La charité engendre la paix et la fraternité universelle (108-114)
Dans Dilexi te, le pape Léon rejoint le pape François en déclarant : il n’y aura pas de paix tant que les pauvres et la planète seront négligés et maltraités.
La paix chrétienne est une justice réconciliatrice et réconciliée. Les pauvres, disait Mère Teresa, « n’ont pas besoin de notre pitié, mais de notre amour respectueux »[6]. Les traiter avec dignité est le premier acte de paix. Seule une société centrée sur les exclus peut être véritablement pacifique, et seul un monde composé de telles sociétés peut être en paix.
- Adressé à Philadelphie, une communauté chrétienne pauvre et impuissante, insignifiante mais fidèle, traitée avec violence et mépris : « Sans avoir beaucoup de puissance… alors ils connaîtront que moi, je t’ai aimé. » (Ap 3,8-9)
- Mt 5, 3
- Evangelii Gaudium, 92-93
- Pape François, Discours aux participants à la Rencontre mondiale des mouvements populaires, 28 octobre 2014.
- Id.
- Dilexi te, 77
Intervention du P. Frédéric-Marie Le Méhauté
Prendre au sérieux l’amour du Christ… à partir des derniers.
Le point de départ de Dilexi te est l’amour de Dieu pour une communauté faible, « exposée à la violence et au mépris » (1). Le pape rappelle qu’au-delà des définitions de la pauvreté, « les pauvres ne sont pas là par hasard ni en raison d’un destin aveugle et amer » (14). Ce sont des « structures de péchés qui créent pauvreté et inégalités extrêmes » (90-98). Notre attention doit aller à ces personnes
« plus faibles, plus misérables et plus souffrantes » (2) et en particulier les femmes, parfois
« doublement pauvres » (12). Il ne s’agit pas seulement de combattre les causes structurelles de la pauvreté, mais aussi de rejoindre concrètement celles et ceux qui sont souvent loin de notre attention, pour vivre « avec eux et comme eux » (101).
Il faut être réaliste : « Nous nous sentons plus à l’aise sans les pauvres » (114). Ils bousculent nos habitudes, nous confrontent à des limites humaines que nous préférons ignorer. Le pape invite à déplacer notre regard. Les pauvres ne sont pas seulement un problème. Ils « sont une “question de famille” ; ils sont “des nôtres” » (104), « des frères et sœurs à accueillir » (56) parce que Dieu lui- même les choisit le premier. « C’est d’abord à eux que s’adresse la parole d’espérance et de libération du Seigneur » (21). Ce choix privilégié de Dieu peut nous mettre mal à l’aise. Nous préférerions un Dieu impartial. Certes le salut est pour tous. Mais il ne nous advient pas hors de relations concrètes
(52). Là où nos logiques mondaines construisent à partir des forts et rejettent ceux qui ne peuvent participer, la logique de Dieu part de l’exclu, de la « pierre rejetée » (Ps 117,22) pour faire advenir son Royaume.
L’engagement envers les pauvres n’est donc pas seulement une conséquence de notre foi. Il est une épiphanie, « un acte quasi liturgique » (61) car « on ne peut séparer le culte de Dieu de l’attention aux pauvres » (40). « Dans cet appel à le reconnaître dans les pauvres et les souffrants, se révèle le cœur même du Christ » (3). « L’amour des pauvres (…) est la garantie évangélique d’une Église fidèle au cœur de Dieu » (103) et une communauté qui prétendrait « rester tranquille sans se préoccuper de manière créative » des pauvres est vouée à perdre sa vigueur évangélique (113).
Dilexi te rappelle la nécessité de s’engager pour les pauvres, de donner aux pauvres, en particulier à travers l’aumône (115-119). Mais il insiste pour que nous apprenions à agir avec eux. L’accélération des problèmes contemporains « n’a pas seulement été subie mais aussi affrontée et pensée par les pauvres » (82). Il faut insister sur ce terme : les pauvres ont une pensée. C’est-à-dire que ceux-ci peuvent être acteurs et pas seulement « objets de notre compassion » (79) ou de nos politiques, qu’ils peuvent nous aider à analyser les problèmes et surtout qu’ils sont porteurs de vraies solutions. Nous déplacer pour comprendre à partir d’eux est donc une nécessité car « la réalité se voit mieux à partir des marges et que les pauvres sont dotés d’une intelligence particulière, indispensable à l’Église et à l’humanité » (82). Apprendre de cette intelligence nous permet de mieux percevoir les logiques mondaines à l’œuvre dans la société, dans l’Église. C’est à partir de cette intelligence que Dilexi te dénonce une politique ou une économie dominée par une « minorité heureuse » (92) qui accaparent les richesses et imposent « des sacrifices au peuple pour atteindre certains objectifs qui concernent les puissants » (93).
En résumé, Dilexi te articule une théologie de la révélation qui jaillit de la miséricorde engagée auprès des plus pauvres, une ecclésiologie de la diaconie comme critère de vérité, et une éthique sociale qui joint la main tendue au combat pour la justice. Les derniers mots sont programmatiques d’une Église « qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connait pas d’ennemis à combattre mais seulement des hommes et des femmes à aimer » (120). Chaque personne précaire devrait pouvoir entendre pour elle : « Je t’ai aimé ». Voilà la promesse et notre boussole pour suivre et « imiter le Christ pauvre, nu et méprisé » (64), pour construire une société et une Église où « personne ne doit plus se sentir abandonné » (21).
Intervention de Sœur Clémence
Je voudrais tellement qu’en cette occasion soit assise à ma place Lacri, Pana ou une autre de ces femmes Roms venues de Roumanie avec qui nous avons partagé notre vie sur un terrain vague dans le sud de l’Italie pendant plusieurs années. Ces femmes qui comme nous le rappelle l’exhortation, de par leur situation d’exclusion, sont « doublement pauvres » mais en qui « nous trouvons […] les plus admirables gestes d’héroïsme quotidien dans la protection et dans le soin de la fragilité de leurs familles ». [1]
Le souvenir d’Ancuza, entrant dans notre baraque, son sourire discret sur les lèvres et un grand pain encore chaud entre les mains, est encore vif en moi. Nous voyant, elle rompit le pain en deux et nous donna la moitié en nous disant « pour votre repas de ce soir ». Témoins émerveillées de leur offrande, nous étions touchées par l’attention qu’ils nous portaient alors que nous savions les difficultés qu’ils avaient à gagner leur vie. Bien que pauvres matériellement, ils sont riches d’humanité !
Nombre d’entre eux n’ont pas étudié, mais possèdent en eux cette sagesse qui se forme à travers l’expérience de la précarité qui incite au partage et à la solidarité. Le Saint Père nous invite à reconnaître la « mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux ». [2] A leur exemple, redécouvrons la solidarité car, soucieux de préserver nos richesses, nous avons souvent vite fait de l’oublier.
« Je t’ai aimé », cette phrase Luminiza l’a vécue de l’intérieur, expérimentée au plus profond de son cœur. Je nous vois encore assises sur le bord du lit dans sa baraque petite mais si soignée, et qui nous racontait : « j’étais cette brebis perdue, indisciplinée, et Lui, le Seigneur, il est venu me chercher, il m’a pris sur ses épaules, comme ça et il a fait route avec moi. »
Ce jour-là, j’ai admiré, mais aussi envié sa foi ! Je pressentais clairement que sa relation avec le Seigneur était tellement plus simple, plus directe, plus concrète que la mienne. C’est pourquoi, je me retrouve tellement dans cette phrase de Dilexi te : « C’est une expérience surprenante […] et qui devient un véritable tournant dans notre vie personnelle, quand nous nous rendons compte que ce sont précisément les pauvres qui nous évangélisent. » [3]
Je ne peux pas passer sous silence ce moment de juin 2014 où un incendie involontaire a brûlé la moitié des baraques du terrain. Le peu que nous avions, tout comme une soixantaine d’autres familles, a été entièrement brûlé en quelques minutes. Plus de toit, plus de logement, plus de vêtements, plus de lieu où cuisiner… Tout était à recommencer. Et pourtant, ce jour-là, je n’ai entendu aucune lamentation parmi nos amis et voisins, seulement une litanie de louange : « grâce à Dieu, nous sommes tous vivants ! », « Dieu nous a accompagné jusque-là, il ne nous abandonnera pas »,
« Demain, nous repartirons avec l’aide de Dieu ». C’est à travers eux que j’ai découvert cette capacité à se centrer sur l’essentiel : la vie, le moment présent, dans l’abandon confiant à la Providence. En cela, ils ont et continuent à être mes « maîtres spirituels ». [4]
Merci au Pape Léon pour le message qui nous est offert aujourd’hui, cet appel à « une Eglise pauvre et pour les pauvres » [5], mais surtout « avec les pauvres » [6]. Cette exhortation apostolique m’a permis de revisiter toutes ces années vécues parmi nos amis Roms et de découvrir combien ce que nous avons vécu ensemble était pour moi de l’ordre du sacrement, comme il est souligné dans le texte : « le pauvre n’est pas seulement une personne à aider, mais la présence sacramentelle du Seigneur ». [7]
Ensemble, avec eux, comme nous y invite le Saint Père, mettons-nous au travail pour faire advenir cette « nouvelle civilisation où les pauvres [ne sont pas] des problèmes à résoudre, mais des frères et sœurs à accueillir » [8] car tous nous avons été aimés.
- Dilexi te P.4 (n°12) citation reprise de la Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), 23: AAS 112 (2020), 977.
- Dilexi te p. 37 (n°102) citation de …
- Dilexi te p. 41 (n°109)
- Dilexi te p. 22 (n°63)
- Dilexit te p. 13 (n°35)
- Dilexit te p. 39 (n°103)
- Dilexi te p. 16 (n°44)
- Dilexi te p. 19 (n°56)
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