Théologienne catholique belge et vierge consacrée dans le diocèse de Paris depuis 2013, Marie-Laetitia Calmeyn est, à 50 ans, une figure à la fois discrète et influente dans l’Église catholique.
Ancienne infirmière en soins palliatifs, auteur de nombreux ouvrages, cette passionnée de questions éthiques enseigne actuellement la théologie au Collège des Bernardins, à Paris. Depuis 2018, elle est consulteur au Dicastère pour la doctrine de la foi, au Vatican.
Zenit : Quels moments décisifs de votre parcours vous ont conduite à devenir une théologienne reconnue et à consacrer votre vie au Christ ?
Marie-Laetitia Calmeyn : Très jeune, j’ai éprouvé un attrait profond pour l’Eucharistie, et j’ai eu la grâce de faire ma première communion à l’âge de six ans. J’ai été profondément marquée par l’exemple de mes parents. La porte de notre maison restait toujours ouverte pour accueillir ceux qui traversaient des difficultés. Mon plus jeune frère, porteur de trisomie, nous apprend encore aujourd’hui à découvrir, au quotidien, comment la puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse.

Lors du Festival Marial à Notre-Dame-du-Laus, en 2020 © Sanctuaire Notre-Dame-du-Laus
Après des études d’infirmière, je suis partie trois mois à Calcutta, auprès des sœurs de la Charité. Désireuse d’apporter mon aide aux plus démunis, j’ai découvert à quel point ces personnes sont venues éclairer ma propre pauvreté. J’ai croisé Mère Teresa et j’ai été bouleversée par la lumière qui rayonnait à travers son corps, pétri par la misère qu’elle avait côtoyée. J’ai alors compris que ce n’est pas seulement aux extrémités de la terre que nous sommes appelés à témoigner du salut, mais plus profondément aux extrémités de notre propre humanité.
De retour en Belgique, j’ai choisi de travailler en soins palliatifs. La dépénalisation, la légalisation et surtout la banalisation de l’euthanasie dans mon pays me sont apparues comme une contradiction grave et profonde, une démission de la présence de l’homme auprès de son semblable. Il me fallait comprendre plus avant les enjeux anthropologiques, éthiques et théologiques d’une telle désespérance sociétale.
J’ai toujours trouvé la vocation au mariage et à la famille magnifique, mais je me sentais appelée de plus en plus clairement à vivre un célibat pour le Royaume, et je me suis donc formée en théologie. Quelques années plus tard, j’ai reçu la consécration des vierges.
Zenit : Quels ont été vos domaines de prédilection dans vos études théologiques ?
M. L. Calmeyn : Après ma licence canonique, toujours habitée par des questionnements éthiques, je suis partie à Rome pour entreprendre un doctorat en théologie morale à l’Institut Jean-Paul II : comment la Parole de Dieu éclaire-t-elle les défis et les interrogations actuelles dans le domaine de la morale ?… L’accomplissement des Écritures dans le Christ, la plénitude du salut à l’œuvre dans l’histoire et toujours à nouveau communiquée par le don de l’Esprit Saint, nous ouvre à la vérité tout entière, comme en témoigne le déploiement de la Tradition jusqu’à aujourd’hui. C’est à cette lumière que je me suis intéressée à la morale familiale et sociale.

Conférence à l’église Notre-Dame des-Victoires à Bruxelles, septembre 2021 © fondation-zita.be
Pendant mon doctorat, j’ai été tentée d’abandonner : quel sens avait ce travail et en vue de quelle mission ? Je me suis alors rendue auprès de la tombe de saint Jean-Paul II, située dans la crypte de la basilique Saint-Pierre. Dans ma prière, j’ai demandé un signe par son intercession. En sortant de la basilique, attirée vers la librairie vaticane qui passait à ce moment-là un documentaire sur Jean-Paul II, j’entendis sa voix : « Femme, je te remercie parce que tu es femme. » J’ai reçu cette parole comme une réponse à ma demande. J’ignorais pourquoi. Mais c’était aussi pour cette raison qu’il fallait que je persévère dans ce travail de thèse.
Après l’obtention de mon doctorat, j’ai été appelée à Paris pour enseigner au Collège des Bernardins, tout juste inauguré. À travers cette mission au service de la formation du peuple de Dieu et des futurs prêtres, j’ai éprouvé une joie immense à transmettre ce que j’avais reçu. Je me suis sentie mystérieusement conduite à participer à la préparation de ceux qui auraient à prendre soin des hommes et des femmes qui leur seraient confiés. Comme si mon métier d’infirmière trouvait là un accomplissement évangélique inattendu et profondément heureux.
Zenit : Quels sont, selon vous, les enjeux théologiques et moraux les plus urgents à approfondir aujourd’hui pour l’Église et la société ?
M. L. Calmeyn : Je pense tout d’abord à la dignité de l’être humain face aux performances technologiques : on voit à travers I’intelligence artificielle comment la technique envahit les engagements humains. Il y a cependant une dimension irréductible qui caractérise l’acte humain, c’est la conscience : ce sanctuaire où il est seul avec son Dieu et qui éclaire l’originalité de son humanité, sa mission. Toute personne est mystérieusement animée par cette relation à Dieu. Il importe de montrer comment on la vit concrètement.
D’autre part, il me semble que l’altérité homme-femme est un lieu de fécondité missionnaire dans l’Église et la société. À travers cette altérité, l’être humain réalise sa vocation à la communion, à l’image de Dieu. Blessée par le péché, cette relation souffre souvent de convoitises et de jeux de pouvoir. À la croix, en donnant sa vie, le Seigneur rétablit cette relation pour qu’elle devienne signe de salut. Il importe de comprendre pourquoi elle est si souvent mal vécue, tant dans l’Église que dans la société. Il faut surtout redécouvrir la voie salutaire pour la vivre dans la fidélité des vocations et selon les états de vie.
Je dirais aussi que la vocation sacerdotale, ministérielle et baptismale est à resituer à la lumière de la vocation prophétique et royale du peuple de Dieu. Jésus est le grand Prêtre par excellence, mais il accomplit aussi la vocation prophétique et royale. Une juste articulation de cette triple vocation du baptisé permettrait de renouveler notre manière de penser la gouvernance de l’Église dans la communion.
Zenit : En dehors de l’enseignement, vous avez d’autres tâches ou missions au service de l’Église, notamment l’écriture, des prédications de retraites, votre fonction de consulteur au Dicastère pour la foi…
M. L. Calmeyn : Oui, la formation s’étend bien au-delà du monde académique ! Il y a une véritable joie à découvrir, au fil des sessions et des retraites, d’autres réalités ecclésiales. Je suis émerveillée de voir comment des diocèses plus pauvres en moyens peuvent nous évangéliser par une créativité missionnaire exceptionnelle.

Auteur de plusieurs ouvrages dont « Amoris laetitia » en 2017 et « Les enfants de la Promesse » en 2022 © Collège des Bernardins / Éditions Artège
J’ai également découvert des communautés religieuses qui déploient un authentique charisme prophétique, qu’il s’agisse des défis écologiques ou des exigences de la fraternité humaine. Je suis profondément touchée par ces communautés de sœurs et de frères aînés, sans lesquels nous ne serions pas là aujourd’hui. Servir la formation ecclésiale, c’est apprendre à nommer le salut à l’œuvre afin qu’il puisse grandir encore.
Appelée par le pape François à être consulteur au Dicastère pour la doctrine de la foi, j’ai pu expérimenter ce que signifie se mettre à l’écoute et au service de l’Église universelle, dialoguer avec des théologiens venus de divers pays et horizons. Les différentes expressions culturelles ont besoin les unes des autres pour continuer à se laisser éclairer par l’Évangile et sur l’Évangile, afin de l’annoncer au monde avec toujours plus de fidélité et de fraîcheur.
Zenit : Plusieurs mois après la clôture du Synode des évêques, quel regard portez-vous sur la synodalité et son avenir dans l’Église ?
M. L. Calmeyn : Le Synode sur la synodalité représente une véritable promesse pour la vie de l’Église. Il est essentiel que cette démarche soit vécue et pensée théologiquement : à la lumière de Dieu, de l’Écriture, de la Tradition et des signes des temps. Le risque serait de réduire la synodalité à une lecture purement politique, dominée par des lobbies ou des jeux de pouvoir, au lieu de la comprendre à la lumière du salut.
À travers cette initiative, le pape François a fait le pari de l’Esprit Saint. C’est lui qui nous apprend à découvrir, au cœur même des différences qui pourraient nous diviser ou nous endurcir, la grâce de l’altérité qui ouvre à la communion. Car l’altérité la plus profonde est celle qui unit la nature divine et la nature humaine. En Jésus, ces deux natures s’unissent pleinement. C’est pourquoi le Christ demeure le chemin de l’Église vers la réconciliation et la paix.
