À l’occasion de la fête de saint Jean-Marie Vianney et dans le cadre du centenaire de sa canonisation, le Sanctuaire d’Ars a célébré ces 3 et 4 août 2025 le jubilé des prêtres et « des curés de l’univers ». Deux jours de rencontres, de prière et de célébrations qui ont rassemblé près de 200 prêtres, quatre évêques et de nombreux fidèles.
Lors de ce programme dense, les participants ont pu passer la « porte de la miséricorde » du Jubilé ordinaire de 2025, en présence de Mgr François Durand, évêque de Valence et de Mgr Pascal Roland, évêque de Belley-Ars. Zenit a interviewé le P. Rémi Griveaux, curé et recteur du Sanctuaire depuis 2020.
Zenit : En cette année jubilaire marquant le centenaire de la canonisation du saint Curé d’Ars, quels ont été les temps forts vécus au Sanctuaire, et quels sont les événements majeurs à venir ?

Jubilé des prêtres et des curés à Ars, 4 août 2025 © Sanctuaire d’Ars
Père Rémi Griveaux : Cette année 2025 est très riche. Le moment culminant jusqu’à présent a été le 31 mai, jour anniversaire de la canonisation du saint Curé d’Ars. Le cardinal français Christophe Pierre, nonce apostolique aux États-Unis, a passé trois jours ici et a présidé les célébrations.
Nous avons aussi vécu quelques beaux jubilés, en les faisant coïncider à chaque fois avec des jours de fêtes locales : le jubilé des artistes, des agriculteurs, des catéchistes et des diacres, des personnes soignantes ou soignées, mais aussi celui des évêques, des familles, sans oublier le jubilé des prêtres et des curés vécu ces 3 et 4 août !
Pour les mois qui viennent, nous aurons le Jubilé des séminaristes en septembre, la retraite sacerdotale nationale du 12 au 18 octobre, où nous attendons au moins 400 prêtres. Du 31 octobre au 2 novembre, nous vivrons également les cérémonies de clôture en présence du nonce apostolique en France, Mgr Celestino Migliore.
Mais 2025 est aussi l’occasion de fêter le centenaire de trois saints français qui ont été canonisés ensemble, à 15 jours de distance : saint Jean-Eudes, saint Jean-Marie Vianney et sainte Thérèse de Lisieux. Et en guise de cadeau, le Saint-Père a envoyé le 28 mai un message à la Conférence des évêques de France, mettant en avant l’espérance et rappelant les grâces déployées depuis 100 ans : là où il y a eu de la fécondité, cela continuera. Donc à nous d’avancer avec ces grâces !
Zenit : Comment faites-vous le lien du Jubilé à Ars avec le Jubilé ordinaire de 2025 à Rome ?
Père R. Griveaux : Il se fait naturellement. En approfondissant les grâces du Curé d’Ars et son histoire, on découvre son véritable trésor et on s’inscrit pleinement dans la démarche d’espérance à laquelle nous appelle le Jubilé de l’espérance à Rome. Le Curé d’Ars était lui-même un disciple de l’espérance. Il était petit et ne s’estimait pas digne. Toutes ses pauvretés auraient pu le renfrogner, mais au contraire, il s’est complètement plongé dans la confiance en Dieu. Il disait lui-même : « Le chrétien a besoin de tout demander à Dieu » ; marcher dans la confiance, c’est cela l’espérance !
Le 29 avril dernier, Jérôme Lockhart, le directeur du Sanctuaire et moi-même avons apporté une relique du cœur du Curé d’Ars à Rome, qui y restera jusqu’à fin septembre : pas le cœur complet, qui reste ici, mais une parcelle qui s’est décrochée et qu’on a mise dans un reliquaire. Tous les jeunes présents à Rome ces derniers jours ont pu vénérer la relique dans l’église Saint-Louis-des-Français.
Zenit : Comment votre saint prédécesseur vous aide-t-il à vivre votre mission, et votre regard sur le sacerdoce a-t-il évolué à son contact ?

Procession à Ars, 4 août 2025 (c) Sanctuaire d’Ars
Père R. Griveaux : Je suis prêtre depuis 33 ans, et je peux dire que saint Jean-Marie Vianney a renouvelé ma vision du sacerdoce à la fois personnellement et dans le ministère. Le saint Curé était aussi radical dans le ministère que dans la vie spirituelle. En l’envoyant à Ars, on lui avait dit : « Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu, vous en mettrez ». C’est ce qu’il a fait.
Si on cherche des grandes idées ou des grandes théories nouvelles avec lui, cela paraîtra vétuste. Si en revanche on avance avec humilité et on entre dans ce que le Seigneur nous montre à travers lui, c’est éblouissant. Je pense qu’il y a de la fécondité à redécouvrir ce saint, qui est en effet mon lointain et saint prédécesseur : il est comme un grand frère !
Pour être à Ars, il faut aimer les prêtres tels qu’ils sont et quoi qu’on en dise. Je vois passer ici tous les genres ou catégories de prêtres : certains sont en blousons noirs, d’autres en soutane. Certains sont blessés par la vie, d’autres sont géniaux, d’autres casse-pieds… Il y a de tout. C’est vraiment la panoplie de tous les prêtres du monde : mais tous veulent avancer avec le Christ. Et cela se voit dans leur fidélité à l’Église, à Jésus-Christ et aux évêques.
J’ai d’abord été marqué de découvrir à quel point le Curé d’Ars a été un réel novateur. Par exemple, il a voulu fonder un orphelinat et une école, et s’est beaucoup occupé des filles : parce qu’en touchant les filles, il touchait les futures épouses, les futures mères et toutes les familles. Il le savait bien. Il disait que l’amour de Dieu coule naturellement du cœur d’une mère dans le cœur de son enfant.
La deuxième chose, c’est que rien ne se fait sans la prière, sans être en permanence en face-à-face avec Dieu. Dès le matin, il arrivait à 4 heures dans son église. Il commençait par se mettre devant le Seigneur et il en tirait toute sa force. C’était un homme extrêmement fragile duquel jaillissait une source qu’on ne pouvait arrêter. On connaît aussi son attrait pour la miséricorde, le pardon, l’accueil du pauvre. Et il voulait tellement annoncer l’Évangile, à une époque où on lisait davantage les livres de piété ou d’ascèse… ! Il faisait par exemple du porte-à-porte, et c’était assez nouveau à l’époque.
Zenit : En quoi saint Jean-Marie Vianney est-il d’actualité pour les prêtres d’aujourd’hui ?
Père R. Griveaux : Il y a une crise existentielle du prêtre aujourd’hui, c’est évident. Or le prêtre n’a pas à aller d’abord chercher son existence dans la reconnaissance sociale ou mondaine, mais plutôt à trouver sa juste place devant Dieu, en s’abandonnant à lui. Le prêtre conduit les hommes à Dieu, c’est sa raison d’être sur terre. Il est donc serviteur autant qu’adorateur de Dieu.
Ce que l’on ne connait pas forcément chez le saint Curé d’Ars, c’est toute sa délicatesse pour l’accueil et la fraternité sacerdotale. C’est une chose que les jeunes prêtres peuvent regarder avec attention. Quand on voit certains prêtres aujourd’hui qui préfèrent vivre en solo, c’est un piège. Car les activités humaines sont une chose, mais le face-à-face avec Dieu doit précéder tout le reste : c’est de là que tout part.
Nous ne pouvons pas devenir des fonctionnaires des sacrements, ni des fonctionnaires de l’Église. Le Curé d’Ars nous invite à redécouvrir la grandeur du sacerdoce, et aussi de la miséricorde de Dieu. Et cela se traduisait dans les actes quotidiens du prêtre, en particulier dans la fraternité sacerdotale.
Zenit : Quel est le rayonnement du Sanctuaire, en France et à l’international ?

Le Curé d’Ars au petit Antoine Givre : « Je te montrerai le chemin du Ciel » © Sanctuaire d’Ars
Père R. Griveaux : Il y a une dimension d’accueil importante à l’heure actuelle. Il ne faut pas oublier que le Curé d’Ars est le saint patron des curés de l’univers et de tous les prêtres de France. Il n’y a qu’un seul sanctuaire au monde pour les prêtres, c’est celui d’Ars. Je dis régulièrement aux évêques qu’il ne faut pas seulement prier pour les vocations, mais il faut aussi venir ici au Sanctuaire demander des vocations au Seigneur.
Du 1er janvier au 1er juillet 2025, 280 000 personnes de France et du monde sont passées à Ars. On voit par exemple arriver beaucoup de personnes d’Europe, d’Amérique et un peu d’Asie : des prêtres et des séminaristes, des séminaires entiers et des évêques. Le Curé d’Ars est connu jusqu’en Chine, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Certains diocèses dans le monde envoient régulièrement leurs séminaristes à Ars, et d’autres y organisent leurs week-ends de rentrée.
Zenit : Comment le Sanctuaire vit-il la crise des vocations, et quel regard d’espérance avez-vous à ce sujet ?
Père R. Griveaux : La crise des vocations sacerdotales existe bien dans l’Église, c’est un fait. Mais c’est plus largement une crise de toute la vie chrétienne. Si on réveille notre regard vis-à-vis de Dieu, cela réveillera les vocations, même si cela demande aussi de former les prêtres à tous les niveaux : pas seulement intellectuellement, mais aussi les accompagner pour qu’ils deviennent des prêtres vraiment donnés.
Un prêtre est heureux parce qu’il est entièrement donné à Dieu, et j’en vois passer tous les jours à Ars ! Ils ne sont pas plus vaillants ou meilleurs que les autres, ils veulent seulement répondre oui à Dieu. Le bonheur de marcher avec Dieu nous appelle à nous livrer entre ses mains : cela fonctionne par capillarité, par une rencontre personnelle, et cela implique une conversion profonde et cela la fait jaillir aussi.
