Mgr Vitaly Krivitskiy, évêque catholique latin de Kiev, vit en temps de guerre depuis plus de deux ans. Face à une population désemparée, il organise ses paroisses en sanctuaires de la foi et apprête ses aumôniers à offrir les « premiers secours spirituels » aux soldats sur le front.
Première publication le 27 septembre 2024 par l’AED
À 52 ans, Mgr Vitaly Krivitskiy dirige un diocèse de 70 prêtres, tous confrontés aux misères que charrient la guerre qui sévit dans leur pays. Ils assistent aux deuils, à l’angoisse du futur, aux coupures d’électricité et à toutes les pauvretés. « Ils ajoutent à leur pastorale ordinaire une action sociale de plus en plus prégnante dans leur activité », explique Mgr Krivitskiy à l’AED.
Lorsque « l’Opération militaire spéciale » a débuté fin février 2022, l’évêque a écrit à ses prêtres : « Si vous devez partir, que vous jugez impossible de rester, personne ne vous condamnera. Mais vos paroissiens ont besoin de vous ». Aucun d’entre eux n’a choisi de quitter son poste, pas même les 15 prêtres étrangers missionnaires en Ukraine.
Des havres sûrs dans la guerre
Obligé de gérer les urgences, l’évêque a donné pour consigne que les paroisses deviennent pour tous les réfugiés des havres sûrs. Qu’elles aménagent les caves ou les cryptes en abri, qu’elles s’équipent de réserves d’eau potable, d’essence et de générateurs électriques. « Je veux que nos paroisses deviennent des citadelles, sur lesquelles la guerre n’a pas de prise », explique l’évêque. Des lieux où l’on peut être au chaud, protégés des bombes, mais aussi où l’on peut discuter avec un prêtre et recevoir un certain réconfort. Son diocèse a reçu trois cuisines mobiles, chacune capable de réaliser 1000 repas par jour, pour les plus défavorisés. Toujours dans l’optique de soustraire la population à la guerre, des camps d’été sont organisés pour la jeunesse. Au front, il demande aux prêtres volontaires de dispenser des « soins spirituels d’urgence », à la façon des infirmiers militaires. Ils doivent soutenir les soldats confrontés à la désespérance. Ils distribuent aussi de « kits spirituels d’urgence », une Bible et un chapelet, le tout sans recevoir d’aide de l’État.
Mais ces mesures accusent déjà le poids du temps. Les générateurs, qui ne sont pas conçus pour être utilisés en permanence, fatiguent. « Nos ressources s’amenuisent », constate tristement l’évêque.
La mobilisation des prêtres en suspens
Il a un autre sujet de préoccupation, puisque le gouvernement a affirmé qu’il mobiliserait tous les hommes « sans la moindre exception ». Cela pourrait inclure les prêtres, et cette mesure anéantirait les efforts de Mgr Krivitskiy. Les autorités ukrainiennes, touchées comme tout le pays par le sécularisme, pourraient opter pour la solution extrême d’enrôler les prêtres sans distinction. Certes, ni les alliés de l’Ukraine ni la société civile n’apprécieraient une telle mesure, mais la situation militaire difficile pourrait être utilisée comme prétexte pour y procéder.
En effet, l’hiver qui arrive risque d’être terrible pour le pays, soumis au matraquage de l’artillerie russe. Le réseau électrique, détruit à 80%, pourrait être coupé, ce qui rendrait la vie des populations civiles impossible.
Pourtant l’évêque ne se projette pas « Nous ne parlons jamais du futur lointain. Nous nous demandons seulement ce que nous pouvons faire pour répondre à telle ou telle situation d’urgence. »
Pour l’heure, il a besoin en premier lieu de prières : « Ce ne sont pas que des mots, lorsqu’on prie pour son prochain, il y a de vrais effets », assure le prélat. Ensuite il espère obtenir le matériel nécessaire pour passer l’hiver, en particulier les générateurs, seuls recours durant l’hiver glacial si les lignes électriques sont coupées.
Propos recueillis par Sylvain Dorient
voir aussi l’entretien avec Mgr Pavlo Honcharuk, évêque du diocèse catholique romain de Kharkiv-Zaporizhia