Le pape lors de la cérémonie d'ouverture du concile © Jack de Nijs for Anefo (Wikimedia)

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Entre continuité et discontinuité

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Une relecture des textes du concile Vatican II

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Dans la perspective du 60e anniversaire du dernier Concile, le père Michel Viot offre aux lecteurs de Zenit ses regards sur la constitution sur la sainte liturgie « Sacrosanctum concilium », à la mémoire de son maître, le professeur Oscar Cullmann, observateur luthérien au Concile Vatican II.

Introduction 

Il est capital de rappeler que l’idée de réunir un concile œcuménique en la deuxième moitié du vingtième siècle, n’est pas venue de saint Jean XXIII, mais que le vénérable Pie XII y avait pensé dès les lendemains de la guerre. Il en va de même pour la liturgie. Le 20 novembre 1947 paraissait l’encyclique « Mediator Dei » se proposant de faire mieux comprendre aux fidèles le sens de la liturgie afin d’obtenir d’eux une meilleure participation. Mais une affirmation précède toutes les autres : « L’Église, fidèle au mandat reçu de son fondateur, continue donc la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, principalement par la sainte liturgie. Elle le fait d’abord à l’autel, où le sacrifice de la croix est perpétuellement représenté et renouvelé, la seule différence étant la manière de l’offrir ; ensuite par les sacrements qui sont pour les hommes les moyens spéciaux de participer à la vie surnaturelle. »

Dans la continuité de ce que voulait Pie XII, le concile Vatican II s’est ouvert le 11 octobre 1962 et son premier texte fut la constitution sur la sainte liturgie « Sacrosanctum concilium » du 4 décembre 1963. On retrouve en son début le même propos que l’encyclique de Pie XII : « C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par signes sensibles, est réalisée d’une manière propre en chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c’est à dire par le Chef et par ses membres ».

L’exercice de sanctification réalisé par le Corps mystique de Jésus -Christ, c’est à dire par le Chef et par ses membres, exige bien une participation des fidèles, mais la manière même dont celle-ci est exigée montre bien que cette participation est clairement différenciée. Pie XII, dans « Mediator dei », après avoir affirmé que « tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique », précisait : « Du fait cependant que les chrétiens participent au sacrifice eucharistique, il ne s’ensuit pas qu’ils jouissent tous du pouvoir sacerdotal. Il est absolument nécessaire que vous exposiez cela clairement aux yeux de vos fidèles. Il y a en effet, Vénérables Frères, des gens qui, se rapprochant d’erreurs jadis condamnées, enseignent aujourd’hui que dans le Nouveau Testament, le mot sacerdoce désigne uniquement les prérogatives de quiconque a été purifié par le bain sacré du baptême… » Et ici il n’est pas difficile de reconnaître les confusions de certaines formes de protestantisme sur le sacerdoce universel. Le texte conciliaire ne tombe pas dans cette erreur. Dans ce chapitre, il prend bien soin de différencier la formation liturgique, selon qu’il s’agisse, des professeurs, des clercs et des fidèles (paragraphes 15,16,17,18,19).

Mais c’est dans un autre texte de ce même concile, la constitution « Lumen gentium » du 21 novembre 1964, qu’on retrouve les précisions d’ordre ministériel concernant la liturgie. Ce document suit celui qui concerne la liturgie. Il aurait pu le précéder, puisqu’il justifiait en quelque sorte la convocation d’un deuxième concile au Vatican, le premier étant inachevé à cause de la guerre franco-prussienne. En 1870 on avait affirmé l’infaillibilité du Pontife Romain en matière de foi et de mœurs, il importait de définir son articulation avec la collégialité des évêques. Le paragraphe 18 réaffirme cette infaillibilité et dit clairement, à propos de la collégialité : « Mais le collège ou corps épiscopal n’a d’autorité que si on l’entend comme uni au Pontife romain, successeur de Pierre, comme à son chef et sans préjudice pour le pouvoir de ce primat qui s’étend à tous, pasteurs et fidèles. En effet, le Pontife romain a sur l’Eglise, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Eglise, un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement. ». Et ce paragraphe 20 poursuit la description des pouvoirs sacrés de l’évêque qu’il peut communiquer en partie aux prêtres et aux diacres, et qui ne permet pas d’appliquer le caractère sacerdotal à tout laïc baptisé. Mais cela ne signifie pas qu’un laïc ne puisse pas avoir de rôle actif dans l’Église. L’intérêt du message de Vatican II, réside dans son insistance à la vocation de tous les membres de l’Église à la sainteté sans pour autant confondre les ministères et oublier la structure hiérarchique de l’Église.

La restauration de la liturgie 

Ce sous-titre est donné par l’éditeur de la traduction française (éd. Le Centurion), il ne vient pas du Concile. De plus le mot « restauration », se retrouve quelques lignes suivantes, au paragraphe 21, pour traduire le latin « instauratio ». Dans le dictionnaire Gaffiot, plusieurs traductions sont proposées : reconstruction, réparation, renouvellement. Restauration conviendrait mieux, selon moi, pour traduire « restitutio ». Je ne crois pas évoquer un détail, mais hélas résumer le malentendu liturgique post conciliaire sur la liturgie. Pie XII dans « Mediator dei » écrivait « L’Eglise, sans doute, est un organisme vivant, donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine ». Il reconnaissait donc comme naturels certaines aspirations à des changements, au nom même de la vie liturgique. Mais ce sera immédiatement pour indiquer que seul le Magistère est qualifié pour diriger cette régulation. Concrètement il doit aller au-devant de ce qu’il ressent comme des besoins et corriger ce qui porte atteinte à la doctrine. Et dans son encyclique, le pape dénonce autant l’archéologie en matière de liturgie que les innovations arbitraires. Il s’agit donc bien de reconstruire, réparer ou renouveler, et non pas de restaurer. C’est pour cela que le texte conciliaire recourt au latin « instauratio ». Ce document venait d’ailleurs d’un des schémas préparés par des proches de Pie XII (le cardinal Ottaviani), qui n’a pas soulevé d’objections majeures par les pères conciliaires qui désiraient avoir l’initiative des schémas, et c’est sans doute la raison qui l’a fait examiner en premier.

Cela dit, on ne peut dissimuler, l’existence, dès 1963, d’un courant très minoritaire, mais très actif qui entendait bien restaurer la liturgie, au sens de la modifier, en prenant prétexte de se référer à des documents plus anciens que ceux qui avaient servi à l’établissement de la liturgie de saint Pie V. C’est ce qui explique l’usage impropre du mot restauration, contestable comme traduction du latin et encore moins acceptable par rapport à ce que sont les textes prétendument « restaurés ». Le canon II est plus un résumé qu’une restauration de celui de saint Hippolyte, écrit en grec, et l’on peut dire la même chose du IV par rapport au canon de saint Basile. Quant au III, il est moderne, ce qui ne veut pas dire pour moi qu’il est mauvais. Mais en matière d’ancienneté et de non-altération, c’est le I, le canon romain, qui est incontestablement le meilleur.

Qu’est-ce finalement que la « restauration » liturgique, ou plus exactement à quoi s’applique-t-elle selon le texte conciliaire ? Il me semble qu’elle vise essentiellement la participation des fidèles. Après avoir affirmé que la liturgie comporte « une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et des parties sujettes au changement qui peuvent varier au cours des âges ou même le doivent, s’il s’y est introduit des éléments qui correspondent mal à la nature intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées », le texte précise ce qu’il entend par restauration : « Elle doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire. ».

Je relève aussi cette autre recommandation : « Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré ». Ces recommandations sont parfaitement judicieuses, et effectivement indispensables pour une meilleure participation des fidèles. Mais ce n’est malheureusement pas ce qui s’est produit.

Je me risquerai à une explication, fondée sur mes souvenirs des propos des observateurs protestants du Concile, le professeur Oscar Cullmann, pour les luthériens français, qui fut mon maître en Nouveau Testament, et de mes relations personnelles de pasteur luthérien avec mes confrères prêtres catholiques. Dès 1963, on pouvait distinguer parmi les partisans de réformes, ceux qui souhaitaient s’en tenir à quelques simplifications liturgiques, permettant une meilleure participation des fidèles à la messe, sans rien toucher à la doctrine, comme l’indique clairement le document conciliaire, et ceux qui entendaient modifier les doctrines elles-mêmes en se servant pour cela de la liturgie. 

Ces personnes n’avaient pas la sympathie luthérienne pour des questions de méthode. Luther n’avait modifié la liturgie que pour des raisons doctrinales. L’ecclésiologie luthérienne permettait d’envisager de telles modifications plus facilement que dans le catholicisme. Mais certainement pas de se servir de la liturgie pour modifier la doctrine !

Au 16e siècle, c’est « l’analphabétisme chrétien » qui avait poussé les réformateurs protestants à concevoir un service religieux à voix haute, tant pour le célébrant que pour l’assemblée, et en langue vernaculaire, avec des sermons assez longs. Je n’hésiterais pas à parler d’une véritable obsession enseignante dans le protestantisme du 16e siècle, toutes tendances confondues ! La prière n’était pas oubliée pour autant, elle était confiée à la musique, d’où l’importance donnée aux chants et aux compositeurs et musiciens. On a recherché l’excellence musicale dans la simplicité de musiques très belles, portant des cantiques, qui pour chacun d’entre eux étaient de véritables petits traités de théologie. On a atteint évidemment des sommets avec les psaumes, qu’on chantait à Genève, « a capella », pour que personne ne fasse de l’orgue un oreiller de paresse pour la louange due à Dieu. Bref, un Jean-Sébastien Bach était inconcevable sans la réforme luthérienne et ses exigences spirituelles.

Cet exemple protestant exerçait une grande fascination chez les catholiques à l’époque du Concile Vatican II, et beaucoup de liturges catholiques de ce temps, tout comme cela avait été le cas pour les pères conciliaires (voir les paragraphes 112 à 124 sur la musique et l’art sacré) furent impressionnés à juste titre par cet élément important de la Réforme. Mais malheureusement, certains virent dans les parties silencieuses de la messe de Saint Pie V (devenue messe de Jean XXIII à l’époque) la cause du manque de participation des fidèles, de même dans les chorales chantant le grégorien en latin comme il se doit. Et le désir de désacraliser le prêtre, comme, pensait-on à tort, le pasteur chez les protestants, devint une mode. D’où les célébrations face au peuple et la suppression des chaires. Rien de tel n’est demandé dans le texte du Concile. Ces dernières étaient pourtant toujours utilisées chez les protestants, et la célébration orientée constituait la règle chez les luthériens comme chez les anglicans. A l’église des Billettes, et ce jusqu’à mon dernier office comme pasteur en juin 2001, j’ai célébré ainsi. 

La naissance du missel de 1969

Je crois que la nouvelle liturgie catholique en langue française, conséquence du texte conciliaire de 1963, fut celle qui fut publiée en 1966, « avec l’autorisation de l’Association épiscopale liturgique de France ». Un missel romain latin-français, que certains baptisèrent du qualificatif « ad experimentum », qui je pense ne s’appliquait qu’au lectionnaire, (car il ne se donne pas lui-même ce titre, et par sa reliure et son impression n’a guère l’aspect d’un livre qui n’est pas fait pour durer). Il comporte l’imprimatur du 20 décembre 1966 et les signatures de Giacomo cardinal Lercaro, archevêque de Bologne et président du conseil pour l’exécution de la constitution sur la liturgie (et il s’agit bien de Sacrosanctum concilium) et de Fernando Antonelli OFM, secrétaire de la Sacrée Congrégation des rites. 

Je précise que si les rubriques ont disparu du corps du missel, elles existent néanmoins en son début sur plusieurs pages sous le titre « Rites à observer dans la célébration de la messe », je crois y avoir observé quelques simplifications par rapport aux anciennes rubriques, mais on ne peut pas dire que le célébrant est libre de faire ce qu’il veut. Je regrette la suppression de « l’asperges me », surtout en songeant à ce qu’on en fera plus tard, un rite remplaçant le confiteor. Mais le Concile n’est pas responsable de cela, cette initiative qui n’interviendra qu’à partir de 1969 vient d’une tendance théologique du christianisme moderne ne prenant pas assez en compte le péché, que notre pape François a parfaitement qualifiée quand il dénonce aujourd’hui le péril semi-pélagien. 

Pour la messe elle-même, sa célébration est, dans le missel de 1966, à l’évidence orientée. On laisse au célébrant, pour le début, la liberté de choix de la voix « le célébrant étant debout – donc debout devant le degré inférieur de l’autel, comme on l’a vu ci-dessus – dit, de la voix appropriée, en se signant du signe de la croix : In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen. » Vient ensuite le « Introíbo ad altare Dei », sans le psaume 42, omis comme à la messe des défunts. Le prêtre peut le dire en français ou en latin. Le français tient de fait une plus large place dans l’impression du missel, ce qui semble bien inciter à son utilisation. Mais la liberté est laissée, le texte latin est placé en plus petit en parallèle. Je note le maintien du confiteor long avec les qualificatifs pour Marie de « bienheureuse » et de « toujours vierge », les mentions des apôtres, l’archange Saint Michel et Saint Jean Baptiste. Je tiens aussi à saluer la traduction française correcte du texte latin (sauf pour le Credo, où on a traduit « consubstialem Patri » par « de même nature que le Père », le mot nature, en français moderne, est beaucoup trop vague pour traduire le « ousia » grec).

Et surtout, rien n’est changé concernant les passages qui vont susciter trois ans plus tard, en 1969, une polémique qui provoquera par sa durée, le schisme de 1988 avec monseigneur Marcel Lefebvre. Les prières d’offertoire sont celles de l’ancienne messe et ne remettent pas en cause le caractère sacrificiel de la célébration. Que l’on me comprenne bien : leur remplacement par des prières de bénédictions dans la messe de 1969 ne signifie pas pour autant que la messe ne soit plus un sacrifice, pourvu que la traduction française des autres textes soit correcte et que dans l’usage on manifeste le même respect pour les quatre prières eucharistiques. Or, la traduction était mauvaise, tout le monde en convient aujourd’hui, et le mépris du canon romain, prière eucharistique I, clairement affiché. Il ne faut pas s’étonner alors que ces nouvelles prières, comparées aux anciennes, avec les inconvénients que je viens de signaler, aient pu semer le doute.

En 1966, j’attire aussi l’attention sur le fait que toute la prière du canon est dite à voix basse et qu’il n’y a pas de traduction française. Auparavant on conseille au prêtre de chanter le Gloria et le Credo avec les fidèles. Ces dispositions respectent bien le paragraphe 54 du texte conciliaire : « On pourra donner la place qui convient à la langue du pays dans les messes célébrées avec concours de peuple, surtout pour les lectures et la « prière commune », et selon les traditions locales, aussi dans les parties qui reviennent au peuple, conformément à l’article 36 de la présente Constitution. On veillera cependant à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble en langue latine aussi les parties de l’ordinaire de la messe qui leur reviennent. » Et je rappelle cet article 36, trop souvent oublié : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. » Il ne s’agit pas d’un « vœu pieux » quand on se reporte au paragraphe 116 : « L’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine, c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place ». Ce qui n’exclut pas d’autres chants ! Le drame est que la période 1970-1980 produisit des cantiques aussi pauvres en musique qu’en spiritualité ! Heureusement que dans beaucoup de paroisses, on effectue des tris salutaires et que nos jeunes organistes et chanteurs refusent de les interpréter.

Le décret conciliaire de 1963, si l’on y réfléchit bien, n’a pas servi de bases au missel de 1969. Il a donné des indications générales avec des bornes cependant qui ont abouti au texte promulgué par le cardinal Lercaro. Cet homme d’Église n’avait pas, je crois, la réputation d’être un conservateur. Mais c’était un homme d’expérience et prudent, qui avait 75 ans en 1966. Il quittera malheureusement ses fonctions en 1968, laissant ainsi le champ libre à d’autres interprétations du texte de Vatican II, et ce sera le missel de 1969 qui soulèvera des tempêtes dont les conséquences se font toujours ressentir aujourd’hui !

 

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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