Un jour après avoir reçu en audience l’ambassadeur d’Israël auprès du Saint-Siège, Raphael Yaakov Schutz, une lettre du pape aux Juifs vivant en Israël a été rendue publique samedi 3 février. Nous vous proposons une traduction en français de cette lettre du pape François.
Chers frères et sœurs,
Nous vivons une époque de douloureux tourments. Les guerres et les divisions se multiplient dans le monde entier. Nous sommes en effet, comme je l’ai dit il y a quelque temps, dans une sorte de « guerre mondiale fragmentée », avec de graves conséquences pour la vie de nombreuses populations.
Cette douleur n’a malheureusement pas épargné la Terre Sainte qui, depuis le 7 octobre, est plongée dans une spirale de violence sans précédent. Mon cœur est déchiré par ce qui se passe en Terre Sainte, par la force de tant de division et de haine.
Le monde entier regarde avec appréhension et douleur ce qui se passe sur cette terre. Ce sont des sentiments qui expriment une proximité et une affection particulières pour les habitants de la région qui a été le témoin de l’histoire de la Révélation.
Mais il faut malheureusement constater que cette guerre a également produit dans l’opinion publique mondiale des attitudes de division, conduisant parfois à des formes d’antisémitisme et d’antijudaïsme. Je ne peux que répéter ce que mes prédécesseurs ont également affirmé clairement à plusieurs reprises : la relation qui nous unit à vous est particulière et unique, sans jamais, bien sûr, occulter la relation que l’Église entretient avec d’autres et l’engagement qu’elle prend à leur égard également.
Le chemin que l’Église a parcouru avec vous, l’ancien peuple de l’alliance, rejette toutes les formes d’antijudaïsme et d’antisémitisme, condamnant sans équivoque les manifestations de haine envers les Juifs et le judaïsme comme un péché contre Dieu. Avec vous, nous, catholiques, sommes profondément préoccupés par la terrible augmentation des attaques contre les Juifs dans le monde. Nous avions espéré que « plus jamais cela » serait un refrain entendu par les nouvelles générations, mais nous voyons maintenant que le chemin à parcourir exige une coopération toujours plus étroite pour éradiquer ces phénomènes.
Mon cœur est proche de vous, de la Terre Sainte, de tous les peuples qui l’habitent, Israéliens et Palestiniens, et je prie pour que le désir de paix l’emporte sur tous. Je veux que vous sachiez que vous êtes proches de mon cœur et du cœur de l’Église. À la lumière des nombreuses communications que j’ai reçues de divers amis et organisations juives du monde entier et de votre lettre, que j’ai beaucoup appréciée, j’éprouve le désir de vous assurer de ma proximité et de mon affection. Je vous embrasse chacun d’entre vous et en particulier ceux qui sont rongés par l’angoisse, la douleur, la peur et même la colère. Les mots sont si difficiles à formuler face à une tragédie comme celle qui s’est produite ces derniers mois. Avec vous, nous pleurons les morts, les blessés, les traumatisés, en suppliant Dieu le Père d’intervenir et de mettre fin à la guerre et à la haine, à ces cycles sans fin qui mettent en danger le monde entier. Nous prions tout particulièrement pour le retour des otages, nous réjouissant pour ceux qui sont déjà rentrés chez eux et priant pour que tous les autres les rejoignent bientôt.
J’ajouterai que nous ne devons jamais perdre l’espoir d’une paix possible et que nous devons entreprendre tout ce qui est en notre pouvoir pour la promouvoir, en rejetant toute forme de défaitisme et de méfiance. Nous devons nous tourner vers Dieu, seule source d’espérance certaine. Comme je l’ai dit il y a dix ans, « l’histoire nous enseigne que nos propres forces ne suffisent pas. Plus d’une fois, nous avons été sur le point de parvenir à la paix, mais le malin, par divers moyens, a réussi à la faire échouer. C’est pourquoi nous sommes ici, parce que nous savons et croyons que nous avons besoin de l’aide de Dieu. Nous ne renonçons pas à nos responsabilités, mais nous invoquons Dieu dans un acte de responsabilité suprême envers nos consciences et nos peuples. Nous avons entendu un appel et nous devons y répondre. C’est l’appel à briser la spirale de la haine et de la violence, et à la briser par un mot : le mot « frère ». Mais pour prononcer ce mot, nous devons lever les yeux au ciel et nous reconnaître enfants d’un seul Père » (Jardins du Vatican, 8 juin 2014).
En ces temps de désolation, il nous est difficile de voir un horizon où la lumière remplace les ténèbres, où l’amitié remplace la haine, où la coopération remplace la guerre. Pourtant, en tant que juifs et catholiques, nous sommes les témoins d’un tel horizon. Et nous devons agir, en commençant tout d’abord par la Terre Sainte, où nous voulons travailler ensemble pour la paix et la justice, en déployant tous les efforts possibles pour créer des relations capables d’ouvrir de nouveaux horizons de lumière pour tous, Israéliens et Palestiniens.
Juifs et catholiques, nous devons nous engager ensemble sur ce chemin d’amitié, de solidarité et de coopération dans la recherche des moyens de réparer un monde brisé, en travaillant ensemble dans toutes les parties du monde, et en particulier en Terre Sainte, pour retrouver la capacité de voir dans le visage de chaque personne l’image de Dieu dans laquelle nous avons été créés.
Nous avons encore beaucoup à construire ensemble pour que le monde que nous laisserons à ceux qui viendront après nous soit meilleur, mais je suis convaincu que nous pouvons continuer à œuvrer ensemble dans ce but.
Je vous embrasse fraternellement.