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Religion et déclin du mariage : le cas soviétique

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Qu’est-ce que le déclin de la religion a à voir avec le déclin du mariage ?

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Le livre de Melissa Kearney intitulé The Two-Parent Privilege a fait des vagues parmi les économistes et les décideurs politiques au cours des derniers mois de l’année 2023. Lors d’entrevues de podcast et de débats d’experts, une question s ‘est constamment posée à Melissa Kearney : « Quel est le rapport entre le déclin de la religion et le déclin du mariage ? »

Mme Kearney a elle-même déclaré qu’elle n’était pas prête à répondre à cette question puisque le livre se concentre sur la relation empirique entre les parents non mariés et les résultats socio-économiques de leurs enfants. Néanmoins, la question est réelle et pertinente. Quel est le rôle de la religion dans le soutien des ménages stables et même, oserais-je dire, dans le renforcement de l’engagement ?

Clara Piano et moi-même, nous nous penchons sur cette question dans notre document de travail intitulé « Three to Get Married ? (Trois pour se marier ?) Le rôle des autorités religieuses dans le mariage ». Tout au long de l’histoire, les organisations religieuses ont veillé à la réglementation et à l’application des contrats de mariage et, aujourd’hui encore, le mariage religieux revêt une signification et des responsabilités distinctes des contrats de mariage supervisés par l’État seul. Il est difficile d’isoler l’effet d’un tiers matrimonial, car les couples mariés religieusement sont susceptibles d’être différents de ceux qui ne le sont pas sur des marges inobservables. Dans notre étude, nous nous concentrons sur l’ère soviétique, période au cours de laquelle le mariage religieux a été interdit, afin de comparer les résultats matrimoniaux dans les cas où un tiers religieux est présent ou non.

Après la révolution bolchevique en Russie, la religion en place a été immédiatement remplacée par la promotion de l’athéisme scientifique. Pendant des siècles avant la révolution, le mariage était une affaire religieuse, mais en 1917, les bolcheviks ont publié deux décrets concernant le mariage : d’une part, les cérémonies religieuses devaient être remplacées par un enregistrement civil et, d’autre part, le divorce unilatéral était désormais autorisé. Au lieu de se jurer fidélité sous l’égide de Dieu, les mariés, drapés de rouge, s’engagent à augmenter la production de l’État. Au cours des années suivantes, le Parti modifiera encore les affaires familiales en légalisant l’avortement, en éliminant la catégorie juridique d' »enfant illégitime » (une étiquette qui, historiquement, encourageait la monogamie et l’investissement parental), et en interdisant l’héritage.

Figure 1 : Taux de fréquentation des églises en Russie soviétique

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Ces changements de lois et de formalités ont-ils modifié la réalité vécue par les couples mariés en Union Soviétique ? Nos résultats révèlent que oui – nous démontrons que la suppression des autorités religieuses a réduit la fécondité et augmenté les taux de divorce à la fois dans le temps et dans les régions de l’URSS exposés à des degrés plus élevés de répression religieuse. Les femmes et les enfants ont souffert ; On se souvient de la période qui a immédiatement suivi les nouveaux décrets sur le mariage comme des années de « divorce à la carte ». La facilité du divorce a permis aux hommes de changer d’épouse à leur guise, laissant des femmes seules et environ 9 millions d’enfants affamés dans les rues sans aucun soutien. Dans cet article, nous expliquons, à l’aide de la théorie des jeux, pourquoi un mariage non forcé conduirait à un comportement qui crée un enfant mais décourage la fidélité.

Figure 2 : Taux de divorce en Union soviétique

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Figure 3 : Taux bruts de natalité en Union soviétique

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Les différentes régions qui sont devenues des républiques socialistes soviétiques ont connu différentes traditions religieuses dont l’implication dans le mariage est visible dans les données sur le divorce et la fécondité. Pour les adeptes de la tradition orthodoxe russe, le prêtre jouait un rôle majeur en guidant le couple à travers le pacte conjugal et ses caractéristiques. Bien que toutes les organisations religieuses aient été visées, la suppression (et l’exécution généralisée) des prêtres orthodoxes russes a laissé un vide dans le soutien et l’orientation des couples mariés. Les régions qui s’en sortent le mieux sont celles de tradition musulmane. Depuis des générations, les Républiques socialistes soviétiques musulmanes s’appuyaient principalement sur les membres de la famille élargie pour faire respecter les accords matrimoniaux ; elles ont donc été moins perturbées par l’entrée en vigueur de l’interdiction des mariages religieux. Dans ces républiques, les divorces sont moins nombreux et la fécondité est plus élevée (taux de divorce indiqués dans la figure 4).

Figure 4 : Taux de divorce par région et par religion

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La littérature économique présente les organisations religieuses comme des entreprises qui fournissent une variété de services à leurs membres. L’un d’entre eux est la fourniture et l’application de contrats matrimoniaux. Nous identifions au moins trois façons de procéder. Tout d’abord, les intermédiaires religieux décrivent un ensemble de devoirs pour chaque conjoint, ce qui assure la stabilité des attentes entre les conjoints. Deuxièmement, les intermédiaires religieux procure des conseils, une médiation ou d’autres services pour résoudre les désaccords entre les conjoints. Souvent, ils ont reçu une formation spécifique pour cela, ce qui accroît la valeur du service religieux. Enfin, les croyances et les intermédiaires religieux fixent les limites de la relation entre le couple, sa famille et la société en général.

La pièce manquante de la politique soviétique présente dans le mariage religieux était la présence de tiers spécialisés dans l’exécution du contrat de mariage. En réponse au chaos social et à la chute des taux de natalité qui ont suivi 1917, la politique familiale soviétique s’est orientée vers la promotion de la fécondité et le découragement du divorce. À partir de 1936 et jusqu’en 1944, le Parti a publié de nouvelles directives sur le mariage qui augmentaient le coût du divorce en termes d’argent et de temps, il a aussi tenté d’encourager la fécondité en offrant des allocations mensuelles aux femmes ayant quatre enfants ou plus. Cependant, avec des taux de divorce toujours supérieurs à 10 % en 1944, le Parti n’a pas été en mesure de parvenir à une stabilité conjugale comparable à celle des générations précédentes de Russes orthodoxes ou à celle des républiques socialistes soviétiques musulmanes.

L’une des conclusions importantes de cette étude est que la religion ne peut pas être exclue des conversations sur la promotion du mariage et de la formation de la famille. Il n’est pas surprenant que les taux de divorce aient augmenté et que la fécondité ait chuté en Union soviétique après la légalisation du divorce unilatéral et de l’avortement. En revanche, le fait que l’Union soviétique n’ait pas pu inverser ces tendances, malgré les efforts légaux déployés pour encourager les couples à rester mariés et à avoir des enfants, constitue une véritable énigme. Les difficultés rencontrées par l’État pour encourager le mariage et la procréation reflètent celles auxquelles sont confrontées d’autres pays qui ont un passé communiste ainsi que les pays occidentaux aujourd’hui.

Aux États-Unis, bien qu’il n’y ait pas eu d’attaque pure et simple contre la religion en tant que fondement d’institutions sociales telles que le mariage, nous avons connu une nette diminution de l’engagement religieux et un rejet généralisé des engagements familiaux motivés par la foi. Le déclin radical de l’engagement religieux, de la stabilité conjugale et de la fécondité chez les Américains reflète les tendances observées en Russie soviétique. Le dénominateur commun est la diminution du nombre de mariages imposés, soutenus et guidés par des chefs religieux et des communautés religieuses.

En tête de la liste des mesures à prendre pour résoudre le problème des familles monoparentales, Melissa Kearney propose de « travailler à restaurer et à favoriser une norme de foyers biparentaux pour les enfants ». Kearney entend par là un large éventail de mécanismes sociaux, y compris le gouvernement, l’éducation et probablement les organisations religieuses. Nos conclusions sur les politiques de l’ère soviétique font ressortir que les organisations religieuses et les membres de la famille joueront le rôle le plus crucial dans le rétablissement de cette norme, étant donné que d’autres mécanismes ont été essayés sans grand succès. La religion est extrêmement importante pour déterminer le sort des mariages, et si ce mécanisme est abandonné, notre société aura du mal à trouver un moyen d’application, de motivation, d’orientation et de soutien comparable.

Anna Claire Flowers est PhD Fellow au Mercatus Center et Graduate Fellow au FA Hayek Program for Advanced Study in Philosophy, Politics, and Economics.

Traduction de l’original en anglais réalisé par ZENIT

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