Monnaie à l'effigie de Jules César © LesDioscures.com Source gallica.bnf.fr

Monnaie à l'effigie de Jules César © LesDioscures.com Source gallica.bnf.fr

La monnaie de Dieu, par Mgr Follo

Respecter les droits supérieurs de Dieu

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Rite Romain

Is 45, 1.4-6 ; Ps 95 ; 1 Ts 1, 1-5 : Mt 22, 15 – 21

 

1)  Les taxes à l’Etat, l’homme à Dieu

Le contexte de l’Evangile de ce 29ème dimanche concerne le débat de Jésus avec les pharisiens et les hérodiens qui lui tendent un piège en lui posant une question sur les taxes à payer aux romains. Sous l’apparence de fidélité à la loi de Dieu ou à celle de l’Empereur romain, ceux-ci cherchent  des raisons pour l’accuser. Si, à leur question « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? », Jésus répond : « Vous devez payer », ils pourraient, avec le peuple, l’accuser d’être un ami des romains. Si le Messie donne comme réponse : « Vous ne devez pas payer », ils pourraient l’accuser auprès des autorités romaines d’être un révolutionnaire. Enfin, ils veulent le mettre dans une situation que les pharisiens pensent être sans issue. Au contraire, le Christ trouve une voie d’issue en répondant à la question de l’impôt à César avec un réalisme politique surprenant. La taxe doit être payée à l’Empereur parce que l’effigie sur la monnaie est celle de l’empereur. Mais, l’homme, chaque être humain, porte en lui l’image de Dieu et c’est donc à lui et à lui seul que chacun doit « payer » l’impôt parce qu’il est débiteur de sa propre existence.

Dans sa réponse : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », le Christ ne reste pas seulement sur plan politique mais affirme clairement que ce qui compte le plus est le Royaume de Dieu. Les mots du Christ illuminent la ligne de conduite du chrétien dans monde. La foi ne lui demande pas de se marginaliser des réalités temporelles, cela devient plutôt pour lui une stimulation plus grande pour qu’il s’engage généreusement à les transformer de l’intérieur en contribuant à l’instauration du Royaume des Cieux.

Donc, si la première réflexion qui vient de la lecture de l’Evangile d’aujourd’hui est que le Messie n’oppose pas l’Etat à Dieu et dit de contribuer au bien commun aussi en payant les taxes, parce que le « vivre ensemble » demande de la solidarité, la deuxième réflexion qui me vient à l’ esprit est que la phrase « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »   n’oppose pas seulement César à Dieu (ou l’homme ou Dieu) ni ne juxtapose César à Dieu (et l’homme et Dieu), mais c’est comme s’il disait « Donnez à l’homme ce qui est à l’homme de sorte qu’ il puisse sentir et vivre la joie de donner à Dieu ce qui est à Dieu ».

En se référant à l’effigie de César imprimée sur la monnaie dont les pharisiens et les hérodiens parlent, Jésus leur rappelle et nous rappelle que nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et que si leurs impôts reviennent à César, leur vie appartient à Dieu. Jésus part du devoir de restituer l’argent à César dont l’image est imprimée sur le métal pour arriver à l’obligation de redonner l’homme à Dieu dont l’image est « imprimée » dans la nature humaine. Il est juste rendre à César la monnaie qui porte son image, et, il est juste rendre à Dieu l’homme fait à son image.

En proposant ces réflexions je me mets dans le sillon des Pères de l’Eglise dont un écrivit : « L’image de Dieu n’est pas imprimée sur l’or, mais sur le genre humain. La monnaie de César est or, celle de Dieu est l’humanité … Donc donne ta richesse matérielle à César mais réserve pour Dieu l’innocence unique de ta conscience où Dieu est contemplé …César, en effet, a voulu son image sur chaque monnaie, mais Dieu a choisi l’homme qu’il a créé pour refléter sa gloire » (Anonyme, Œuvre incomplète sur Mathieu, Homélie 42). Saint Augustin a utilisé plusieurs fois cette référence dans ses homélies : « Si César réclame sa propre image imprimée sur la monnaie, n’exigera-t-il pas Dieu de l’homme l’image divine sculptée en lui? » (Ennarrationes in psalmos, psaume 94,2). Et encore : « Comme on redonne la monnaie à César, on redonne à Dieu l’âme illuminée et imprimée par la lumière de son visage… Le Christ, en effet, habite à l’intérieur de l’homme » (Ibid.., psaume 4,8). Parce que l’homme n’est pas seulement réductible à la matérialité mais c’est la dimension spirituelle qui constitue la dimension dominante de chaque existence.

 

2) Restituer l’homme à Dieu

En commandant de payer l’impôt à César, Jésus-Christ reconnaît le pouvoir civil et ses droits, mais il rappelle clairement aussi qu’il faut respecter les droits supérieurs de Dieu (cf. Con Vat. II, Dignitatis humanae,8). En disant : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu », le Messie enseigne d’une manière claire que ce qui compte le plus est le Royaume de Dieu.

Donc, si, d’une part, à la lumière de l’évangile qui relate cette diatribe sur l’impôt à donner à César (cf Mc 12,13-17; Mt 22,15-22; Lc 20,20-26), les chrétiens reconnaissent et respectent la distinction et l’autonomie de l’Etat, en la considérant un grand progrès de l’humanité et une condition fondamentale pour la même liberté de l’Eglise et pour la réalisation de sa mission universelle de sauver tous les peuples, d’autre part, les croyants dans le Christ prennent au sérieux le commandement de restituer à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire tout : « parce qu’au Seigneur c’est la terre et tout ce qu’elle contient » (1Cor 10, 26). Redonnons à Dieu nos êtres chers, notre prochain, tous les hommes en les honorant, en prenant soin d’eux comme d’un trésor précieux. Chaque femme, chaque homme, sont des talents d’or qui nous sont offerts pour notre bien, et sont dans le monde les vraies monnaies d’or qui portent gravées sur elles-mêmes l’image et l’inscription de Dieu.

Une manière particulière de tout restituer à Dieu est celle des vierges consacrées qui, grâce à leur consécration sont un « espace humain habité par la Trinité » (VC 41).  Elles témoignent comme le don total d’elles-mêmes à cet Amour qui les pousse à « prendre soin de l’image divine déformée des visages des frères et sœurs « (VC 75d). Elles révèlent ainsi le mystère d’un Dieu qui se met au service de l’homme.

La vie de ces femmes est fondée sur au  moins trois piliers.

– le 1er est la « consécration » même, qui est déterminée par l’initiative de l’amour gratuit de Dieu qui appelle et par la foi en Lui comme réponse à cet amour. La consécration est vie centrée sur Dieu, en abandon total, amoureuse confiance, vie de gratuité et de gratitude, de particulière manifestation du Mystère de Dieu en une personne humble et simple

– le 2è pilier est l’amour envers les frères et sœurs du monde entier. La femme consacrée est appelée à partager l’Amour, parce que le don reçu est un don à donner, à partager, en reconnaissance et amour à Dieu qui en premier lieu l’a aimée. Le don du Seigneur qui lui a été fait n’exclut pas les autres, mais à travers elle il est destiné à circuler avant tout parmi tous ceux avec qui elle vit et travaille, pour arriver ensuite au monde entier.

– le 3è pilier ou, mieux, le but de la vie consacrée est une mission à accomplir en faveur des hommes qui habitent dans ce monde qui est de Dieu : « Allez dans le monde entier » (Mt 16,15). Dans le cœur de l’Evangile, retentissant solennellement le jour de Pentecôte, la mission du chrétien d’aller vers les autres a son secret gardé lui-aussi comme la perle précieuse dans l’évangile où le Christ dit : « Restez dans mon amour ». « Aller et rester » sont les deux coordonnées évangéliques dans lesquelles la vierge consacrée agit et d’où elle tire tous les jours sa sève vitale.

Cet « aller dans le monde entier » est la continuation du don de soi aux autres vécu dans l’Eglise et qui, à l’intérieur de la communauté chrétienne s’étend à tous les êtres humains. Dans ce geste de donation, les autres sont perçus, eux aussi, comme un don de Dieu pour nous, avec lesquels nous devons « vivre-avec » et partager les dons que nous avons reçu du Seigneur. Dans ce parcours dans le monde, l’engagement fondamental est la louange à Dieu, le témoignage de Jésus au niveau personnel et communautaire et l’annonce explicite de son nom aux nations, en vivant une dimension missionnaire vraie et en restituant le monde à Dieu.

 

Lecture patristique
Saint Laurent de Brindes (1559 – 1619)
29e dimanche après la Pentecôte, 2-5

Opera omnia, 8, 335.336.339-340.346.

Nous trouvons deux questions dans l’évangile d’aujourd’hui : la première a été posée au Christ par les pharisiens, la seconde aux pharisiens par le Christ. La leur est tout entière terrestre et inspirée par le diable, la sienne tout entière céleste et divine. Celle-là est un effet de l’ignorance et de la méchanceté, celle-ci procède de la sagesse et de la bonté parfaites: Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles? Eux répondent: De César. Il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22,20-21). Il faut rendre à chacun ce qui lui revient.

Voilà une parole vraiment pleine de sagesse et de science célestes. Car elle nous enseigne qu’il y a deux sortes de pouvoir, l’un terrestre et humain, l’autre céleste et divin.  Elle nous apprend que nous sommes tenus à une double obéissance, l’une aux lois humaines et l’autre aux lois divines. Qu’il nous faut payer à César le denier portant l’effigie et l’inscription de César, à Dieu ce qui a reçu le sceau de l’image et de la ressemblance divines : La lumière de ton visage a laissé sur nous ton empreinte, Seigneur (cf. Ps 4,7).

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance (Gn 1,26) de Dieu. Tu es homme, ô chrétien. Tu es donc la monnaie du trésor divin, un denier portant l’effigie et l’inscription de l’empereur divin. Dès lors, je demande avec le Christ: Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles? Tu réponds : « De Dieu. » J’ajoute : « Pourquoi donc ne rends-tu pas à Dieu ce qui est à lui ? »

Si nous voulons être réellement une image de Dieu, nous devons ressembler au Christ, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu et l’effigie exprimant son être (cf. He 1,3). Et Dieu a destiné ceux qu’il connaissait par avance à être l’image de son Fils (Rm 8,29). Le Christ a vraiment rendu à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Il a observé de la manière la plus parfaite les préceptes contenus dans les deux tables de la loi divine en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,8), et il était orné au plus haut degré de toutes les vertus visibles et cachées.

L’évangile de ce jour met en évidence la prudence sans pareille du Christ, qui lui a fait éviter les pièges de ses ennemis par une réponse si sage et si habile. C’est là qu’apparaît également sa justice: elle inspire son enseignement quand il nous dit de rendre à chacun ce qui lui revient; elle montre qu’il voulut lui aussi s’acquitter de l’impôt, et qu’il paya deux drachmes pour lui-même et deux pour Pierre. C’est là que se manifeste la force d’âme qui le rendit capable d’enseigner ouvertement la vérité, de dire aux Juifs en colère, sans nullement les craindre, qu’il fallait payer les impôts à César. Telle est la voie de Dieu que le Christ a enseignée avec droiture.

Ainsi ceux qui ressemblent au Christ par leur vie, leur conduite et leurs vertus se modelant sur lui, rendent vraiment visible l’image de Dieu. Le renouvellement de cette image divine s’accomplit par la parfaite justice: Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, à chacun ce qui lui revient.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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