Ascension – Année A – 21 mai 2023 (dans de nombreux pays, la fête est célébrée le jeudi 18 mai)
Act 1,1-11; Ps 46; Eph 1,17-23; Mt 28,16-20
1) Une fête pas facile
Il y a quarante jours, nous avons célébré le fait de Pâques: la résurrection du Christ a été pour nous une grande joie. Aujourd’hui, la liturgie propose comme cause de joie Son ascension au ciel: « Aujourd’hui, en fait, rappelez-vous et de célébrer le jour où notre pauvre nature a été élevée en Christ au trône de Dieu le Père » (Saint Léon le Grand, Disc. Ascension 2, 1, 4, PL 54, 397-399).
La fête de l’Ascension ne se réduit pas à une fête étrange où nous est demandé d’être heureux parce que le Christ s’éloigne de nous en s’allant au ciel. Quel est donc le sens de la signification de la « montée » vers le ciel du Christ ressuscité? « Cela signifie croire que dans le Christ l’homme, l’être homme auquel nous participons, est entré, d’une façon nouvelle et inouïe, dans l’intimité de Dieu. Cela signifie que l’homme trouve toujours une place en Dieu. Le ciel n’est pas un endroit au-dessus des étoiles. Il est quelque chose de beaucoup plus audacieux et de plus grand: c’est trouver la place de l’homme en Dieu et cela a son fondement dans la compénétration de l’humanité et de la divinité en Jésus crucifié et élevé au ciel. Le Christ, l’homme qui est Dieu, est à la fois le perpétuel « être ouvert » de Dieu pour l’homme. Il est donc lui-même ce que nous appelons « le ciel » parce que le ciel n’est pas un lieu, mais une personne, la personne de celui en qui Dieu et l’homme sont toujours unis inséparablement » (Joseph Ratzinger, Dogme et Annonce, Paris, Parole et Silence, 2012).
En effet, la dernière phrase de l’Evangile d’aujourd’hui: « Voici, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à ce que la plénitude des temps » (cf. Mt 28, 20), ne contient pas les mots de quelqu’un qui laisse les siens seuls sur la terre. Ces dernières paroles de Jésus ne sont pas un « adieu », mais elles expliquent que Lui, il est le Seigneur vivant d’une vie sans limites et que chaque jour Il est présent, avec sa parole et son consolant Amour, à son Église, son Corps mystique, jusqu’à l’accomplissement du temps.
Jésus, le Fils de Dieu entre dans l’histoire
- pour être le « Dieu avec nous » : il réalise complètement sa mission dans le don total de soi en mourant et en ressuscitant,
- pour être l’Amour qui se révèle infini quand il s’annihile, quand il donne complètement la vie.
L’Ascension est l’accomplissement du mystère de Dieu: en mourant Jésus annule toutes les limites pour être le « Dieu avec nous. » Il est avec nous pour être l’Amour qui sauve notre amour et rend notre cœur capable d’être la demeure de l’Amour.
Donc, d’une part, l’Ascension n’est pas une fête facile à comprendre, car elle fait spontanément naître la question: « Pourquoi être en fête si le bien-aimé en va? » D’autre part, l’Ascension est une fête claire, parce que cette fête « n’est pas un chemin cosmique géographique, mais elle est la navigation spatiale du coeur qui nous guide de la fermeture sur nous-même vers l’amour qui embrasse l’univers » (Benoît XVI). L’Ascension c’est la fête de notre destin qui vise le ciel de l’amour de Dieu, qui élève la terre de notre humanité.
C’est une fête qui nous montre que le ciel et la terre, la possession et le sacrifice, la paix et la fatigue ne sont pas en conflit. Il ne suffit pas que notre existence soit pleinement et sincèrement dirigée vers le ciel, et après vers la terre et après de nouveau vers le ciel. Notre conduite vers le ciel doit être peu à peu effectuée dans le monde de façon à ce que notre conduite sur la terre révèle celle du ciel. Notre conduite sur la terre doit peu à peu s’élever et devenir prière de désir et cette prière de désir s’éclaire en adoration. Il ne suffit pas que notre vie soit la paix pleinement et véritablement : notre paix devrait être comme la force recueillie de l’effort et de notre travail, comme expiration de la paix.
2) Ascension et mission
Ce destin de paix parfaite dans l’amour est étroitement liée à notre mission: « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20).
L’Ascension du Christ que saint Matthieu nous raconte à la fin de son évangile, c’est un grand début. Les disciples ont vu Jésus tel qu’Il est, comme ils Le virent dans la Transfiguration. Et ils l’adorèrent, en le saluant en signe de confiance amoureuse et d’abandon total. A partir de cette relation d’amour, ils accueillent l’« ordre» d’aller dans le monde entier à enseigner et en baptiser. Baptiser ne signifie pas verser un peu d’eau sur la tête d’une personne, mais la tremper en Dieu, dans le Dieu de la Vie et, après, enseigner à observer ce qu’il commande. Mais ce que le Christ commande? L’amour. Son commandement est de plonger la personne humaine en Dieu-Amour et leur apprendre à aimer, en se laissant aimer et en donnant de l’amour.
Pour accomplir cette mission de charité selon le cœur du Christ nous devons observer ce qu’il nous demande:
« Allez», c’est à dire dépassez toutes les barrières culturelles et religieuses;
« Faites disciples de toutes les nations », c’est à dire formez un « nouveau peuple des peuples;
« En les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », c’est à dire : apportez au monde entier la révélation du nom divin de Dieu: Père, Fils et Saint-Esprit;
« En leur enseignant à observer tout ce que je ai commandé vous » et, par conséquent, annonçant aux hommes toute la révélation de Dieu qui apporte avec elle aussi la révélation même de l’homme. On peut deviner ce que l’homme est vraiment seulement à la lumière de cette révélation de Dieu : seulement dans le mystère du Verbe Incarné s’éclaire vraiment le mystère de l’homme (cf. Gaudium et spes, 22).
Ces indications seraient impraticables sans le Christ qui nous dit à nous aussi: « Voici, je suis avec vous pour tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Il est présent à coté de nous et en nous, toujours. Nous, les chrétiens, nous ne plaçons pas notre confiance en nous-mêmes, en nos propres capacités, mais dans la présence du Seigneur.
Avec le Christ, dans le Christ et pour le Christ, nous devenons des témoins fiables partout dans le monde. Il n’y a pas de frontières, de lieux interdits, de personnes auxquelles vous ne puissiez pas ou ne deviez pas porter le témoignage du Christ. Il est le Seigneur de tout et tout le monde, et par conséquent il doit être annoncé à tout le monde et partout.
Dire que Jésus est le « Seigneur de tout » signifie, en d’autres termes, qu’il donne un sens à toutes choses. « Allez et faites des disciples »: la mission présuppose une tâche. Nous n’annonçons pas Jésus en notre propre nom, et nous n’annonçons encore moins nos pensées, mais seulement « tout ce qu’il a commandé. » Le disciple doit annoncer dans la fidélité la plus absolue et son annonce doit naître d’une écoute.
La mission a besoin d’un départ: « Allez ». Le disciple n’attend pas que les personnes du monde s’approchent à lui: c’est lui qui va à la rencontre des lointains. « Faites disciples toutes les nations »: l’expression est chargée de tout le sens que le mot « disciple » a dans l’Evangile. Il ne suffit pas de livrer un message, mais d’établir une relation de communion. Le disciple est lié à la personne du Maître et est engagé à partager son projet de vie. « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps »: voilà la grande promesse, qui donne le disciple le pouvoir de mener à bien sa mission, d’aller partout dans le monde et prêchant de l’Evangile.
En fait, le Christ ne dit pas: « Prêchez la morale de la sagesse grecque ! » Il ne dit pas, par exemple, d’expliquer l’éthique d’Aristote, non seulement parce que les apôtres étaient sans grande instruction, mais parce que toute sagesse devient peu de chose quand une personne se met à l’école du Christ, qui conduit ses brebis dociles avec amour vers les pâturages éternels de la vérité et de la joie. Ce que le Christ exige des hommes pour pouvoir les faire entrer dans le Royaume de Dieu, ce n’est pas un diplôme d’études ou un certificat de carrière bien faite. Jésus demande un acte très simple et radical: la conversion du cœur et de la renaissance dans la foi et dans le baptême.
« Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné. » Tout d’abord, « croire », parce croire c’est l’acte fondamental de la vie chrétienne. Par le croire, par un acte de foi, la personne humaine choisit en pleine liberté le Royaume de Dieu qui lui est offert par le magistère de l’Eglise. Par un acte de foi le chrétien accepte donc toute la vérité à croire: tout ce que le Christ nous a appris sur Dieu et sur l’homme, le péché, et les fins dernières que sont la mort, le jugement et le Paradis.
Croire c’est voir sa propre vie à la seule lumière de ces vérités en acceptant le joug « doux et léger » de la loi de l’amour de Dieu et du prochain,
Enfin, croire c’est vivre par l’esprit et par le cœur, en pensant et en agissant dans la réalité de la vie divine.
En cela, les vierges consacrées sont un exemple. Par leur vie totalement donnée au Christ elles « prêchent » la vérité de l’amour et le vrai amour rédempteur de Dieu. Ces femmes témoignent que la vie chrétienne est liée à l’Ascension, parce que notre vie s’accomplit en allant vers le ciel et elle dépend de la fidélité aux promesses faites au baptême et renouvelées dans la consécration.
En dépit de la fragilité humaine, et avec la certitude que Dieu est fort dans les faibles, les vierges consacrées accompagnent le Christ-Epoux dans son Ascension. Elles se réjouissent de sa glorification, elles vivent dès maintenant la dimension du Paradis et elles nous rappellent que la fête de l’Ascension du Seigneur est la fête liturgique du Paradis qui s’ouvre à l’humanité avec l’entrée solennelle du Christ dans le ciel, à la droite du Père. Dans son adieu, Jésus laissa aux apôtres (et à nous) sa vérité et sa puissance, parce que son Ascension n’était pas un départ, mais une intensification de sa présence jusqu’à ce qu’aux limites extérieures de l’espace et du temps: « Voici, je suis avec vous toujours, jusqu’à la fin du monde « (Mt 28, 20).
Lecture patristique
Saint Augustin d’Hippone
Sermon sur l’Ascension
«Dieu nous a fait régner aux cieux, dans le Christ Jésus»
Aujourd’hui notre Seigneur Jésus Christ monte au ciel ; que notre cœur y monte avec lui.
Écoutons ce que nous dit l’Apôtre : Vous êtes ressuscités, avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Le but de votre vie est en haut, et non pas sur la terre. De même que lui est monté, mais sans s’éloigner de nous, de même sommes-nous déjà là-haut avec lui, et pourtant ce qu’il nous a promis ne s’est pas encore réalisé dans notre corps.
Il a déjà été élevé au-dessus des cieux ; cependant il souffre sur la terre toutes les peines que nous ressentons, nous ses membres. Il a rendu témoignage à cette vérité lorsqu’il a crié du haut du ciel : Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? Et il avait dit aussi : J’avais faim, et vous avez donné à manger.
Pourquoi ne travaillons-nous pas, nous aussi, sur la terre, de telle sorte que par la foi, l’espérance, la charité, grâce auxquelles nous nous relions à lui, nous reposerions déjà maintenant avec lui, dans le ciel ? Lui, alors qu’il est là-bas, est aussi avec nous ; et nous, alors que nous sommes ici, sommes aussi avec lui. Lui fait cela par sa divinité, sa puissance, son amour; et nous, si nous ne pouvons pas le faire comme lui par la divinité, nous le pouvons cependant par l’amour, mais en lui.
Lui ne s’est pas éloigné du ciel lorsqu’il en est descendu pour venir vers nous ; et il ne s’est pas éloigné de nous lorsqu’il est monté pour revenir au ciel. Il était là-haut, tout en étant ici-bas ; lui-même en témoigne : Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel.
Il a parlé ainsi en raison de l’unité qui existe entre lui et nous : il est notre tête, et nous sommes son corps. Cela ne s’applique à personne sinon à lui, parce que nous sommes lui, en tant qu’il est Fils de l’homme à cause de nous, et que nous sommes fils de Dieu à cause de lui.C’est bien pourquoi saint Paul affirme : Notre corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, bien qu’étant plusieurs, ne forment qu’un seul corps. De même en est-il pour le Christ. Il ne dit pas : le Christ est ainsi en lui-même, mais il dit : De même en est-il pour le Christ à l’égard de son corps. Le Christ, c’est donc beaucoup de membres en un seul corps.
Il est descendu du ciel par miséricorde, et lui seul y est monté, mais par la grâce nous aussi sommes montés en sa personne. De ce fait, le Christ seul est descendu, et le Christ seul est monté ; non que la dignité de la tête se répande indifféremment dans le corps, mais l’unité du corps ne lui permet pas de se séparer de la tête.