Abjuration d’Henri IV sur le parvis de la basilique de Saint-Denis, détail (Georges Rouget, 19e siècle) - commons.wikimedia.org

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La France, fille aînée de l’Église, 17e partie

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La difficile reconquête de la paix religieuse, sauvegarde de l’unité du royaume grâce à l’édit de Nantes

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Les rois de France, Henri III puis Henri IV, devant ménager à la fois leur autorité royale, face à l’émergence de prétendants révoltés qui s’appuyaient sur la Réforme protestante, et la diplomatie avec le Saint-Siège, retrouveront dans l’alliance de la France avec l’Église catholique romaine le socle de leur légitimité et de la stabilité du royaume.

 

I La vérité sur la Saint-Barthélemy, ses suites et l’aggravation des guerres de religion

Ce que la reine mère Catherine et le roi Charles IX avaient ordonné le 24 août 1572, l’assassinat de Coligny et de quelques chefs protestants pour raison d’État avait dégénéré en massacres d’une très grande cruauté, durant plusieurs jours, tant à Paris que dans plusieurs villes de province. Il s’agissait pourtant d’actions que Catherine et Charles IX avaient toujours réprouvées. Dès la journée du 24 août, le roi constatant l’ampleur du massacre faisait partir des courriers pour les cours étrangères annonçant que les massacres qui se déroulaient dans les rues de Paris étaient provoqués par l’affrontement des Chatillon-Coligny contre les Guise. Mais apprenant, que le duc d’Anjou son frère (le futur Henri III) était mêlé aux Guise, le roi écrivit le lendemain, 25 août à son ambassadeur en Angleterre qu’il avait dû déjouer un complot contre lui et sa famille. Le 26 août, il tint même un lit de justice au Parlement de Paris pour confirmer que Guise avait agi sur son ordre (mais cela ne concernait toujours que la mise à mort des chefs protestants). Il déclara solennellement qu’il avait agi pour cause de complot politique et demandait que le Parlement fît le procès des complices de l’amiral, ce qui fut approuvé ! Et l’ordre fut donné d’arrêter tout massacre et pillage. Le roi fut peu obéi.

 

Le cardinal de Lorraine qui se trouvait à Rome soutint cette version des faits auprès de Grégoire XIII, d’où l’exultation que j’ai mentionnée (le Te Deum, une médaille frappée). L’envoi d’un légat porteur de félicitations fut décidé et il partit effectivement avec une demande papale d’alliance contre les Turcs. Mais le pape ayant reçu très rapidement des nouvelles de Paris de son Nonce Salviati qui rapportait ce que je viens d’écrire sur l’ampleur des massacres, tant à Paris, qu’en province, et mettait en avant la motivation politique de l’affaire, le légat fit un arrêt « prolongé » à Lyon et n’apporta à Charles IX que le projet d’alliance contre les Turcs que le roi refusa d’examiner. La politique française ne changeait donc pas après la Saint-Barthélemy. Le pouvoir royal se trouvait confronté à une autre question, la désobéissance dans le royaume aux ordres d’apaisement du roi.

 

Ainsi, le traité de Saint-Germain de 1570 qui assurait aux protestants une certaine liberté de culte, limitée, leur donnant aussi quatre places de sûreté, n’était pas accepté par la grande majorité des catholiques, à Paris en particulier. On commença à se réunir contre cette décision royale, ce qui constitua les embryons de la Ligue. Deux ans plus tard, la multiplication en France dans de nombreuses villes de « Saint-Barthélemy » locales donna aux débutants ligueurs le sentiment que le pays les soutenait. La  perspective de voir le duc d’Anjou, roi de Pologne, devenir le roi de France, Henri III, à la mort de son frère Charles le 30 mai 1574 leur donna l’espoir d’une politique très répressive contre les protestants. « On pouvait donc espérer que la politique de la cour de France allait devenir, avec le nouveau souverain, plus nettement favorable à la religion et que l’hérésie serait définitivement expulsée. Cette espérance fut trompée en ce qui concernait Henri III. » (1) Mais tout cela sera ruiné par l’édit de Beaulieu de 1576, qui reprend la politique de relative tolérance de son prédécesseur. Fort sagement, Catherine avait poussé le roi à négocier avec son frère le duc d’Alençon, allié aux troupes protestantes de Condé, et du Bavarois Jean Casimir à la tête de 9000 reîtres allemands, 8000 Suisses, 2000 lansquenets et 1000 Wallons.

 

C’est Catherine qui se rendit d’abord à Sens pour les pourparlers devant cette armée comportant au total trente mille hommes. Le roi participera à toute la négociation et la paix sera conclue à Beaulieu-Lès-Loches, d’où le nom de l’édit de Beaulieu ou encore « paix de Monsieur » (d’Alençon étant frère du roi). L’édit fut proclamé les 6 et 7 mai 1576, et enregistré par le Parlement de Paris le 14 mai. Les protestants étaient autorisés à célébrer leur culte partout dans le royaume, à l’exception de Paris et de ses faubourgs, et partout où se trouverait la cour, ils obtenaient la parité dans les parlements, et huit places de sûreté. Si l’on y regarde de près, cet édit sera plus favorable aux protestants que l’édit de Nantes de 1598 (2). Ce qui semblait une reculade devant le parti protestant était en fait une nécessité pour obtenir la paix civile, car le royaume était à bout. Dans le même temps, Henri de Navarre dans ses possessions de Guyenne et autres s’entendait avec les chefs catholiques modérés et donnait l’exemple de l’entente possible. Et il était pourtant redevenu officiellement protestant le 13 juin 1576 dans le temple de Niort.

 

La sainte Ligue allait alors naître ou, pour être plus exact, se manifester au grand jour. Comme je l’ai déjà laissé deviner et comme le confirme magistralement Jean Christian Petitfils dans son Henri IV « Ce mouvement bouillonnant venait de loin. Entre 1562 et 1575, plusieurs associations catholiques antiprotestantes, souvent issues des anciennes confréries, avaient éclos à Paris, en Dauphiné, en Poitou et dans la région rouennaise. Mais celle de Péronne, l’une des places qui devait être livrée au nouveau duc d’Anjou (frère d’Henri III et anciennement duc d’Alençon), connut un succès inattendu. » (3) Il me semble que ce nouveau tour que prenait les événements fut décisif dans la conduite qu’allait désormais qu’allait adopter le roi pour tout le reste de son règne, se souvenant peut-être de ce qu’avait dit, le 26 d’août 1572, le premier président de Thou au Parlement de Paris dans son éloge de Charles IX qui y tenait un lit de justice pour assumer sa responsabilité dans la  mort de Coligny : « Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner » (attribué à Louis XI) (4).

 

Mais ce roi aussi avait de qui tenir avec sa propre mère. Il va montrer une très grande « agilité » d’esprit. Le 2 août 1576, il manifesta son hostilité à ce genre d’association et le fit savoir aux Guise et à ses gouverneurs : en vain ! Alors, le 2 décembre il décida de prendre la tête de la Ligue dont le but était de maintenir le catholicisme en France et de supprimer le protestantisme du pays, par l’exil ou d’autres moyens… Le jeu était risqué, car il pouvait lui aliéner de suite le parti protestant modéré, mais le roi prit en compte deux éléments qui s’avérèrent capitaux. Tout d’abord, le fait qu’Henri de Navarre avait désormais la deuxième place dans sa succession, selon la loi salique désormais écrite entièrement. Il savait que lui-même n’aurait pas d’héritier mâle selon toute vraisemblance et que son jeune frère était en mauvaise santé. Or, Navarre s’affirmait bien comme le chef des protestants modérés. Le deuxième élément était l’attachement de la majorité des Français à la légitimité royale et pour ce qui était de ce que nous appellerions l’intelligentsia, son enracinement dans le catholicisme gallican, que les capétiens (directs ou Valois) avaient toujours défendu. Et je me risquerai même à dire que cette particularité jouait aussi pour un certain nombre de protestants français, plus chrétiens ultra gallicans qu’attachés aux dogmes protestants. Ces deux causes exigeaient le maintien d’une réelle autorité royale.

 

Or la Ligue présentait d’emblée deux points faibles. Elle faisait passer l’obligation religieuse avant les principes dynastiques. Et la force comme la singularité de la monarchie française venait du fait que les deux ne pouvaient pas s’opposer. Le simple fait d’imaginer un divorce entre les deux excluait de la tradition française. Et c’était la même chose pour le gallicanisme (sans hérésie) que les descendants de saint Louis avaient su défendre. Les deux rois Henri, celui de France comme celui de Navarre, étant du même sang étaient bien conscients de ces réalités et y tenaient.

 

Dès qu’il fut chef de la Ligue, Henri III supprima l’édit de Beaulieu, tout en montrant bien qu’il ne se laisserait pas « encadrer » par les états généraux réunis à Blois. Il prit soin aussi de faire prévenir Navarre qu’il n’envisageait aucune mesure de rétorsion contre les protestants. Cela n’empêcha certes pas la sixième guerre de religion de reprendre, mais avec des nuances qui montrèrent aux observateurs les plus fins dans quelles directions il fallait regarder si on voulait retrouver la paix civile, dont le besoin se faisait de plus en plus cruellement sentir. D’abord Henri de Navarre va s’engager dans cette guerre avec une lenteur et une mollesse qui vont beaucoup surprendre (5). Il ne va pas manquer d’écrire et de parler, voulant montrer son attachement à l’unité du pays autour de son souverain. Qu’on en juge par ces propos d’un manifeste décembre 1576. « La religion se plante au cœur des hommes par la force de la doctrine et persuasion et se confirme par l’exemple de vie et non par le glaive. Nous sommes tous Français et concitoyens d’une même patrie. Pourtant, il nous faut accorder par raison et douceur et non pas par la rigueur et cruauté qui ne servent qu’à irriter les hommes. » (6)

 

Catherine de Médicis était toujours à l’œuvre et put soutenir Henri III dans sa reprise en main des affaires. Ce fut la paix de Bergerac du 17 septembre 1577, qui devint l’édit de Poitiers enregistré par le Parlement le 8 octobre. Les conditions étaient beaucoup plus restrictives que celle de Beaulieu, mais elles étaient tenables. Le culte réformé était plus limité, il y avait moins de places de sûreté, mais c’était plus acceptable par le parti catholique, lui aussi épuisé par la guerre, si du moins il tenait à l’unité du royaume. Le fait qu’Henri de Navarre ait pu convaincre les habitants de La Rochelle montra qu’Henri III ne s’était pas trompé et plaça le Béarnais en position privilégiée dans le dialogue avec les catholiques. De plus il avait repris sa vie de couple avec Marguerite son épouse (sœur d’Henri III). Le roi de Navarre allait de plus bénéficier de l’aide capitale de Philippe Duplessis-Mornay, homme très intelligent et d’une d’immense culture. La Maison de Navarre fut ainsi réorganisée et à même de se faire mieux connaître en France et en Europe. Cette période fut surtout troublée par les conduites désordonnées de Margot, la femme d’Henri, et du duc d’Anjou, très proche d’elle, qui se couvrit de ridicule dans les affaires des Flandres. II mourra le 10 juin 1584, ce qui va créer une situation explosive, car désormais si comme cela semblait de plus en plus probable, Henri III n’avait pas d’héritier mâle, sa femme semblant bien être devenue stérile à cette époque, la loi de succession faisait de Henri de Navarre son héritier légitime.

 

II La très difficile succession d’Henri III

Les règles strictes de la succession royale en France n’avaient pas prévu la question religieuse, ou pour être plus précis, n’avaient jamais imaginé que la religion pût devenir un problème pour une succession royale. La couronne était « indisponible » et passait de mâle en mâle par primogéniture. L’appartenance au catholicisme allait de soi, puisque depuis Pépin le Bref les rois étaient sacrés au moyen d’une liturgie ressemblant fort à celle du sacre d’un évêque, et que le roi, par différents serments, prenait des engagements vis-à-vis de la religion catholique. Au moment où intervint la Réforme protestante, les rois de France manifestèrent rapidement leur attachement au catholicisme romain, les sacres continuèrent. De plus, Henri de Navarre posait un double problème : Il était protestant et apostat, deux fois excommunié à ce titre.

 

Le pape aurait pu être le premier à réagir, mais il s’agissait de Grégoire XIII. Il régnait depuis 1572, et en 1584, il avait 82 ans. Il lui restait un an à vivre ! Mais l’important n’est pas là. Il avait été élu pape le 13 mai 1572, et le 24 août, c’était la Saint-Barthélemy ! Il avait partagé l’enthousiasme du roi d’Espagne, Philippe Il, dont il était très proche et s’était précipité pour l’organisation d’un Te Deum à Rome, la frappe d’une médaille, puis une commémoration annuelle du « bel et extraordinaire événement » ! Sauf qu’il ne savait pas tout. Il pensait simplement que le roi avait fait justice de quelques factieux, hérétiques de surcroît ! Ce que lui révéla son nonce, sur la raison politique et le débordement des nombreux massacres, lui fit abandonner ses projets de commémoration. C’est pourquoi en juin 1584, il observa un silence avisé. Avant d’être pape, il avait été cardinal de curie et avec douze ans de règne pontifical, il avait appris la prudence, surtout vis à vis des Français, dont le gallicanisme était d’autant plus susceptible qu’il s’agissait d’une affaire très sensible de succession.

 

Comme il ne mourra que le 10 avril 1585, il est plus que probable qu’il n’ignorait pas la position du roi de France encore régnant, exprimée publiquement le 14 avril 1584 au cours d’un repas, en présence du duc de Mayenne (frère du Balafré) et de Duplessis-Mornay, venu l’avertir des accords entre Philippe Il et Henri de Guise (le Balafré) : « Aujourd’hui, je reconnais le roi de Navarre pour mon seul et unique héritier… Mon naturel a toujours été de l’aimer et je sais qu’il m’aime. Il est un peu colère et piquant, mais le fond est bon ; je m’assure que mes humeurs lui plaisent et que nous nous accommoderons bien ensemble. » (7) Mais il doit être clair, comme l’explique Jean Christian Petitfils, que pour Henri III, ce désir impliquait la conversion d’Henri de Navarre au catholicisme ; le roi ne cessera jamais de le lui dire, même en pleine agonie. Grégoire XIII ne pouvait l’ignorer.

 

IlI La position du pape Sixte Quint

Le cardinal Felice Peretti, plus connu comme cardinal Montalto, succéda à Grégoire XIII le 24 avril 1585 sous le nom de Sixte V. Jeune, il était entré chez les franciscains conventuels à Montalto, ce qui explique qu’il aimera toujours se faire appeler cardinal Montalto. Il fut prédicateur, lié à l’Inquisition, dans la suite du légat Boncompagni, futur Grégoire XIII. Vicaire général de son ordre, il fut nommé évêque puis crée cardinal en 1570. Dès son élection en 1585, il se préoccupa de la cohésion des États pontificaux, souci bien normal : Plus que jamais l’Église en ces temps de crise avait besoin de sa liberté. Mais il ne pouvait pas, en principe, ignorer le problème français de l’heure et s’il était vrai que pour ce moment la France n’était pas en mesure de l’aider, se la rendre désagréable n’était certainement pas la meilleure solution. Or c’est le 9 septembre que ce Souverain Pontife, après quelques mois de son élection, allait fulminer une bulle « privatoire » contre le roi de Navarre et le prince de Condé. Il « les excommuniait comme hérétiques et relaps, les privant de leurs droits à la couronne de France, retirant au premier ses droits, dignités et domaines, y compris son “prétendu royaume de Navarre”, et déliant ses vassaux, sujets et serviteurs de leurs serments d’allégeance … et cette bulle implacable se terminait par “Et ainsi les lys ne succombent pas au milieu des épines” ». Il faut aussi rappeler qu’en consistoire, à propos de ce texte, il n’avait pas hésité à qualifier le milieu d’où venaient les deux « condamnés » de « génération bâtarde et détestable de l’illustre et si signalée famille des Bourbons. » (8) Quelle mouche avait donc piqué ce pape, certes coléreux, mais extrêmement intelligent ? Simplement un jésuite du nom de Matthieu envoyé tout exprès par les Guise et qui profita de sa toute nouvelle arrivée aux affaires de ce Pontife pour lui raconter n’importe quoi.

 

Le parti protestant français répliqua violemment, tout comme Henri de Navarre. Mais cette dernière protestation ne fut jamais affichée à Rome comme une tradition mensongère l’a colportée ! Henri était trop diplomate pour aller braver ouvertement ce pape, il devait être renseigné sur son compte, comme d’ailleurs ce même pape ne tardera pas à l’être sur lui et d’une manière plus générale sur la France et ceux qui y jouaient un rôle. D’abord il dut constater que le Parlement de Paris, qui était loin d’avoir des sympathies protestantes, rejeta sa bulle sans même l’examiner. Cela ne put qu’intriguer le pape qui se révélera rapidement comme autoritaire et désireux d’être renseigné le plus directement possible, voire par lui-même de toutes les affaires de l’Église. J’ajoute que ce pape a été mieux connu et compris grâce au baron de Hübner, diplomate autrichien, ambassadeur en France sous Napoléon III, et ambassadeur auprès du Saint-Siège de 1865 à 1867, qui écrivit deux volumes sur la vie au temps de Sixte Quint et qui a eu en mains de nombreuses lettres échangées entre le Saint-Siège et différents personnages qui nous intéressent. Pour le baron de Hübner, la bulle privatoire a été demandée par les ligueurs, et il mentionne que le jeune cardinal de Vaudemont (beau-frère d’Henri III) avait pourtant avec succès réussi à convaincre le pape de ne point la rédiger ; cependant, le pape finit par céder aux ligueurs.

 

Ce qui a pu apparaître comme de l’hésitation ou du double jeu de la part du pape relève en fait d’une modification du pouvoir pontifical commencé sous Paul III. Il arrivait souvent au consistoire (Sacré Collège) d’imposer un avis différent du pape, d’où la création de commissions spécialisées, pour en arriver sous Sixte Quint aux congrégations spécialisées qui existent toujours. Mais cela ne se fera pas en un jour. Et en 1585, nous sommes au tout début de son pontificat. Comme le démontre très brillamment Charles Giraud dans un brillant article de la Revue des Deux Mondes (9),  le pape regretta l’affaire de 1585 et en conçut une grande méfiance à l’égard de la Sainte Ligue et de ses alliés. Elle naît, ou plutôt elle renaît, le 31 mars 1585 par la proclamation de Péronne et s’organise comme un véritable groupe subversif dirigé par Henri de Guise le Balafré. Déjà en 1582, les futurs organisateurs avaient été soutenus par le roi d’Espagne Philippe Il et cela sera même concrétisé par le traité de Joinville du 31 décembre 1584, reconnaissant le cardinal de Bourbon, oncle du roi, comme son successeur, alors que de par la loi salique, Henri de Navarre le devançait.

 

Le roi Henri III se vit alors contraint de signer le traité de Nemours le 7 juillet 1585, qui révoquait les traités de tolérance précédents. Le roi devint alors prisonnier de la Ligue, c’est peut-être le sens qu’il faut donner à ses larmes lors de l’enregistrement du texte au Parlement de Paris le 18 juillet. Tout cela n’était pas pour plaire à Sixte Quint qui avait peu de sympathie pour qui se révoltait contre l’autorité légitime et craignait le roi Philippe Il à cause de ses ambitions italiennes. Il savait aussi qu’il avait des vues sur la couronne de France, tout comme les Guise pour leur propre compte, au nom de leur ascendance carolingienne. Tout cela ne pouvait aboutir qu’à provoquer de nouvelles guerres, ce qui déplaisait à la papauté. D’ailleurs, la guerre civile avait recommencé en France, huitième guerre de religion, appelée encore guerre des trois Henri. Henri de Navarre enchaînait des succès militaires en province. Paris était sous tension. Les Seize, autrement dit les représentants de la Ligue, entretenaient l’agitation, d’autant plus que Guise avait demandé au roi, sous forme de mémorandum, plusieurs choses qu’il ne pouvait accepter dont l’application immédiate du Concile de Trente (il y aurait eu opposition du Parlement au nom du gallicanisme) et l’instauration de l’Inquisition dans plusieurs grandes villes. Le roi dut alors interdire la capitale aux Guise et faire venir des soldats dont des régiments de Gardes suisses.

 

Le 12 mai 1588, la ville se couvrit de barricades et les Seize appelèrent le duc de Guise qui osa, comme si de rien n’était, se présenter au Louvre puis chez la reine Catherine. On sut plus tard que cet essai de déclenchement d’émeute à Paris était coordonné avec l’envoi de l’invincible Armada en Angleterre, donc qu’il y avait complicité de Philippe Il. Mais Henri III sut de suite, par un message saisi sur un courrier de Guise, quelles étaient les intentions de ce dernier : il tenait bel et bien Paris et attendait le moment propice pour renverser le roi. Celui-ci décida alors de quitter discrètement la capitale avec une petite escorte pendant que sa mère Catherine faisait la conversation au Balafré. Mais il faut noter que le roi qui avait avec lui, au Louvre, ses fidèles quarante-cinq avait déjà songé à se débarrasser définitivement du duc. Il s’était laissé dissuader car, à bien y réfléchir, Paris n’était peut-être pas l’endroit idéal ! Il restait tout de même à Paris des partisans de la légalité chez quelques importants personnages. Le premier président du Parlement, Achille de Harlay, eut le courage de lancer à Guise après le départ du roi « C’est grand pitié, monsieur, quand le valet chasse le maître… », ce qui lui valut la Bastille. Un autre magistrat, De Thou, connut la réaction de Sixte Quint apprenant l’arrivée de Guise à Paris « Le téméraire, ô l’imprudent, d’aller se mettre ainsi dans les mains d’un prince qu’il a tant offensé ». Cette remarque très fine montrait qu’il était maintenant très bien informé des événements de France ou qu’il avait la liberté d’en parler, et il le faisait en termes relativement neutres, ce qui ménageait l’avenir encore incertain, sans pour autant encourager la Ligue. Puis, quand il apprit que le roi l’avait laissé sortir du Louvre « Ô le lâche prince, ô le pauvre souverain, d’avoir laissé échapper l’occasion de se défaire d’un homme qui semble né pour le perdre ! » Et toujours par la même source, nous savons que le pape fut intarissable en exclamations en tous genres, quand il apprit que Guise avait laissé s’échapper le roi de Paris !

 

Toutes ces réactions pontificales furent rapportées au roi… Et toujours sur cette affaire, le très précieux baron de Hübner donne une autre précision qu’il a trouvée dans le courrier d’Olivarès, l’ambassadeur de Philippe II à Rome : « Sa Sainteté m’a raconté qu’elle avait parlé très chaleureusement à l’ambassadeur de France à l’excuse des Guises. Il lui est échappé pourtant d’ajouter qu’elle avait demandé à monsieur de Pisani (l’ambassadeur de France) comment il était possible que le roi (lorsqu’il tenait le duc au Louvre) n’eut pas eu sous la main vingt hommes sûrs pour le faire enfermer dans une chambre et en faire ce que bon lui semblait, ce dont les parisiens auraient fini par s’accommoder… » (10) Et bien sûr Henri III sut tout cela comme Philippe Il. Un peu plus tard, le roi de France, au château de Blois aura quarante cinq hommes sûrs pour « accueillir » les deux Guises, définitivement… Je l’ai dit, Sixte Quint connaissait le grand projet de la Ligue quant au démembrement de la France au profit de Philippe Il et avait la certitude de l’arrivée d’un conflit final sanglant entre Guise et le roi d’Espagne pour la couronne de France. Et même si celle-ci avait été réduite territorialement à ce moment, Philippe aurait gagné et aurait accru sa puissance. Et de cela le pape ne voulait pas, car ce roi regardait déjà vers l’Italie et pouvait compter sur son bon oncle, à la tête du Saint-Empire. Encore par les travaux de Hübner, nous savons que l’ambassadeur de Venise à Madrid était parfaitement au courant de la collusion entre l’Espagne et les Guises. Le diplomate vénitien écrivit même au Doge le 17 juin 1588 que le roi de France s’en était plaint auprès du pape, déclarant que « si l’on continuait de la sorte, il se verrait un jour obligé de prendre quelque résolution étrange et à laquelle il n’avait jamais songé et il a fait appel à la prudence et à l’autorité du pape… » (11)

 

Cela dit, le roi se trouvait de plus en plus isolé. Catherine était restée à Paris où régnait un climat de terreur. Elle incitait son fils à négocier. Quittant Chartres pour Rouen, Henri III signa l’édit d’Union avec les ligueurs le 16 juillet 1588, enregistré par le Parlement le 21. Il avait perdu sur toute la ligne au point de simuler une réconciliation, obtenant tout de même de pouvoir convoquer les états généraux à Blois par lettres patentes en date du 29 mai. Ultime réconfort, il apprenait la triste fin de l’invincible Armada, coup dur pour l’Espagne et les Guises. Toujours par Hübner, nous avons la correspondance entre l’ancien nonce Morosini et le pape Sixte Quint concernant l’édit d’Union et les avantages des ligueurs. Réponse du pape : « Ils sont mauvais, mauvais et de douteuse volonté. » (12)

 

Cette méfiance du pape pour Guise et sa Ligue et son désir de ne pas devenir un instrument de l’impérialisme espagnol de Philippe Il ne doivent pas faire penser pour autant qu’il était devenu un soutien inconditionnel de la France. Il avait déjà marqué certaines limites avec la bulle privatoire, il allait continuer à l’occasion de la suppression des deux Guises à Blois. Pour l’occasion, Henri III n’avait rien dissimulé dans l’annonce de la nouvelle au pape et lui avait écrit un peu dans le style de Louis XI à l’un de ses prédécesseurs. Le roi avait en effet envoyé au légat le billet suivant, avant de le recevoir le 25 décembre à Blois (immédiatement après la mort des deux Guises) : « Monseigneur le légat, me voilà roi. J’ai pris cette résolution de ne plus tolérer ni injure ni mauvais traitement. Je me maintiendrai en cette résolution au dommage de qui que ce soit et, à l’exemple du pape, notre saint père, m’étant fort bien souvenu de sa façon de parler, qu’il faut se faire obéir et châtier ceux qui nous offensent. Puisque j’ai atteint mon but, je vous recevrai demain, s’il vous plaît. » Et à son ambassadeur, de Pisani : « le feu duc de Guise pensait en bref exécuter son dessein qui n’était moindre que de m’ôter la couronne et la vie. Il y allait aussi du repos de mes sujets… Vous informerez Sa Sainteté et vous lui direz que ses saintes et personnelles admonitions et l’exemple de sa justice m’ont ôté tout scrupule. Je m’assure ainsi qu’elle louera ce que j’ai fait, étant chose seulement licite, mais aussi pieuse, d’assurer le repos du public par la mort d’un particulier … – et en post-scriptum – … je me suis aussi déchargé de feu le cardinal de Guise, qui avait été l’impudent de dire “qu’il ne mourrait point qu’il ne m’eût tenu la tête pour me raser et faire moine” ». (13)

 

Il est vrai qu’Henri III avait réalisé politiquement un coup de maître, au point où il en était : c’était lui ou les Guises. La légitimité dynastique remise en cause ne laissait aucun espoir d’arrêter la guerre civile à court ou à moyen terme. La culpabilité des deux intéressés était évidente : lèse majesté, haute trahison en période de guerre, impossibilité d’avoir recours à la « justice réglée », vu la situation. Le roi avait repris son pouvoir de justice et l’avait exercé. Mais de là à affirmer qu’il s’était inspiré du pape lui-même, c’était peut-être pousser la justification trop loin. Et il y avait le cas du cardinal qui dépendait de la justice papale. Le Saint-Père ne pouvait laisser passer cela sans réagir. Cela dit, il attendit le consistoire du 9 janvier 1589 pour prononcer sa sentence. Le roi était frappé d’un monitoire d’excommunication qui l’obligeait à aller s’expliquer à Rome auprès du pape pour recevoir une éventuelle absolution. À lire les motivations, on voit bien que le point le plus important est l’assassinat du cardinal, à cause de son état, et pour son frère, la « duplicité » employée par le roi pour parvenir à ses fins. Bref, il semble bien que tout en ayant voulu marquer le respect dû à l’Église, Sixte Quint n’ait pas trop regretté la mort de Messieurs de Guise et l’affaiblissement de la Ligue, car l’avenir de la France, comme pays catholique, dirigé par un roi catholique était de fait sa première préoccupation. Henri III, malgré son rapprochement définitif avec son successeur légitime Navarre et une guerre de reconquête qui s’annonçait victorieuse, tomba sous les coups d’un moine, Jacques Clément, fanatisé par la Ligue et ce qui restait des Guises, et mourra le 2 août 1589, recevant les derniers sacrements.

 

IV La difficile décision d’Henri IV

Pour ceux qui, à cette époque en auraient douté, il était évident que c’était la légitimité dynastique qui allait peser le plus lourd. Il me semble que les esprits intelligents de ce temps en étaient tous bien conscients. Je ne crois pas non plus qu’Henri IV ait pu encore imaginer en cet été 1589 qu’il ait pu monter sur le trône de France en demeurant protestant. La détermination de Sixte Quint était nette et ses successeurs ne manquèrent pas de s’y tenir. La seule question en fait concernait le choix du moment propice pour l’abjuration. Agir rapidement lui aurait aliéné immédiatement beaucoup de ses amis protestants, sans forcément rallier les catholiques. Et à la mort d’Henri III, la guerre civile était loin d’être achevée. Les événements s’étaient emballés fin 1588 et avec l’assassinat d’Henri III, en 1589. Le cardinal de Bourbon demeurait le candidat de la Ligue. Quant à Philippe Il, il postulait toujours pour sa fille le trône de France, puisqu’elle était née de son mariage avec Isabelle de Valois. Quant à Mayenne, frère d’Henri de Guise, il avait repris les ambitions de famille. C’est en se sortant vainqueur de cette affaire compliquée qu’Henri IV acheva de démontrer son génie.

 

Au discours qui lui fut tenu le 2 août quand il vint s’incliner devant la dépouille du feu roi, il se rendit compte de suite que l’hommage qu’on lui avait prêté quelques heures plus tôt sur injonction du roi mourant était remis en cause par la question religieuse. Le 4, il fit une déclaration royale en deux points : maintien de la religion catholique en France ; en l’état, ses manifestations religieuses habituelles continueraient. Si d’autres organisations s’avéraient nécessaires, ce serait l’affaire des états généraux qui seraient réunis dans les six mois et toujours sur ce sujet et pour lui-même, il demandait à être instruit par un concile général et national ; et deuxième point, il maintenait dans leurs offices tous les sujets fidèles (14). Mais ce discours n’obtint pas le grand ralliement espéré.

 

L’oncle cardinal, de Bourbon, continuait à avoir plus de soutiens étrangers que le neveu ! Mais ce dernier était entêté et surtout avait pour lui la légitimité dynastique. L’appui de Dieppe et le ralliement du commandeur de Malte, de Clermont-Chaste, lui permit d’affronter victorieusement Mayenne dans la région d’Arques, du 16 au 27 septembre 1589. Des troupes d’Angleterre vinrent en renfort. Et la guerre se poursuivit avec ses hauts, victoire d’Ivry, et ses bas, échec devant Paris. Mais le vieux cardinal de Bourbon mourut le 9 mai 1590, son neveu se proclama son successeur, de cardinal de Vendôme il passa au titre de Lorraine et fut Charles XI pour la Ligue ou plus exactement une partie, car l’autre penchait de plus en plus pour la fille de Philippe Il. Et Mayenne n’avait pas renoncé ou plutôt s’était fait acheter par les Espagnols pour la candidature de leur princesse. La guerre était partie pour continuer longtemps et chaque partie n’en pouvait plus.

 

Dans ce type de situation, on tombe vite dans le fanatisme et c’est dans la ligue parisienne qu’il commença à se manifester. Les Seize firent pendre le président du Parlement qu’ils avaient mis en place, Brisson, avec deux autres conseillers. Mayenne lui-même devra intervenir pour châtier les plus enragés des Seize. Il se forma alors, avec plusieurs évêques, un parti ouvert à la négociation, dont Gondi, évêque de Paris. Du côté protestant (15) beaucoup commencèrent à se faire à l’idée que la conversion d’Henri IV était inévitable s’il voulait véritablement régner : « Mieux valait un converti les plaçant sous son aile protectrice qu’un candidat impuissant et malheureux restant fidèle à sa foi. » (16) On devait se réunir plusieurs fois à Suresnes, ce qui permettrait des trêves autour de Paris et donnant la possibilité aux Parisiens de sortir et de s’approvisionner (17).

 

Henri IV avait alors fait courir le bruit de sa conversion. Le 4 mai 1593, les conférences commençaient et en même temps on proclamait l’armistice autour de Paris (Suresnes inclus) pour trois mois, effet immédiat. Le 16 mai le roi proclamait son intention d’abjurer et de se convertir au catholicisme. Il était temps : Le 20 mai, les délégués espagnols proposaient leur candidate à Paris mais en vain. Le 28 juin, le Parlement de Paris se manifesta pour rappeler les lois fondamentales du royaume. Ce fut l’arrêt Le Maistre, du nom d’un des présidents du Parlement. Beaucoup d’évêques français estimèrent alors (gallicanisme oblige) qu’ils étaient parfaitement capables d’absoudre le roi et de recevoir son abjuration et ce fut la journée décisive du 25 juillet 1593 à Saint-Denis. Henri IV la voulut grandiose par le nombre de personnes qui l’accompagnaient, tous les grands corps de l’État. Vêtu de blanc, sans épée et tête nue, il monta les quelques marches de la basilique Saint-Denis pour venir s’agenouiller devant l’archevêque de Bourges, Renaud de Beaune, entouré de neuf évêque et du cardinal de Bourbon (c’était le neveu de « Charles X ») qui l’attendaient sur le parvis, et il abjura. Il put ensuite entrer dans la Basilique pour participer à la messe.

 

La très grande majorité de l’Église de France « bascula dans le camps royal, sur quatorze archevêques, on ne comptait plus que trois ligueurs, et quinze évêques sur cent quatre » (18). Mais du côté du pape Clément VIII, élu depuis 1590, rien ! Rome conservait une position hostile vis-à-vis d’Henri IV, malgré plusieurs tentatives de conciliation. Le père d’Ossat, envoyé par la reine douairière, Louise de Vaudémont, pour son défunt mari, n’arrivait pas à modifier l’hostilité papale vis-à-vis de la France. Le marquis de Pisani et monseigneur de Gondi se virent refuser une rencontre avec le pape, vexé du pardon gallican, l’abjuration de Saint-Denis, malgré la missive de l’archevêque de Bourges qui s’était efforcé d’expliquer au pape pourquoi lui et ses confrères avaient agi ainsi. Le roi envoya alors le duc de Nevers, membre de la famille princière qui régnait à Mantoue. Cette fois l’ambassadeur d’Espagne se déchaîna, menaçant le Saint-Père de représailles militaires, d’autant plus durement que ce pape avait été élu grâce aux voix espagnoles. Échec encore pour la France, qui bloquait la situation mais qui compte tenu de la personnalité du nouveau pape allait commencer à opérer un changement, j’y reviendrai.

 

Henri ne vit plus alors aucune raison de retarder le sacre ; certes, il n’avait pas l’absolution pontificale, mais les évêques français la lui avaient donnée au travers de ceux qui étaient présents à Saint-Denis. Quant à la couronne, le roi de France la tenait de Dieu lui-même selon un ordonnancement précis qui, comme la couronne, ne dépendait pas de l’Église. Le fait que le roi n’ait pas attendu l’absolution papale allait de plus dans le sens gallican. Le principal problème était le lieu. Reims était aux mains de la Ligue tout comme la Sainte Ampoule. Mais tous les rois n’avaient pas été sacrés à Reims, à commencer par Hugues Capet qui l’avait été à Noyon en 937 et Louis VI à Orléans. On choisit donc Notre-Dame de Chartres, on utilisa la Sainte Ampoule de Marmoutier, dont l’huile était réputée avoir guéri saint Martin et que le roi Louis XI avait fait apporter à son chevet en 1483. On avait fait reconstituer les regalia qui avaient été volées à Saint-Denis pendant les troubles. La cérémonie se déroula selon l’ancien rituel. On avait maintenu ce qui avait été une innovation pour le sacre de Charles IX, à savoir, le roi dormant au moment où les deux pairs ecclésiastiques venaient le chercher. J’ai expliqué pourquoi ce symbole était important dans un précédent ouvrage (19) car il pouvait renvoyer au songe de Salomon qui lui obtint la Sagesse et qui impliquait forcément le sommeil de la part du récipiendaire ! En ce dimanche 27 février 1594, c’est Nicolas de Thou évêque du lieu, qui remplaça l’archevêque de Reims. L’entrée dans Paris se fit le 22 mars. Mayenne avait fui pour rejoindre les Espagnols et confié la ville à deux hommes qu’Henri avait rallié à sa cause. Il n’y eut aucune violence, mais partout le pardon et l’oubli, les deux maîtres mots que le nouveau roi avait choisi pour inaugurer son règne. Et il fut acclamé par le peuple. Il avait fait le nécessaire dès Saint-Denis pour que la capitale fût ravitaillée.

 

V La « conversion » du pape Clément VIII.

Heureusement que la reine douairière avait choisi un homme aussi obstiné qu’intelligent en la personne du père d’Ossat : Comme jeune berger, il avait été remarqué par un gentilhomme qui le fit étudier et lui confia l’éducation de ses enfants. Il se trouvait à Rome depuis 1584 et s’était occupé des affaires françaises puis de la réhabilitation d’Henri III. Maintenant il s’agissait du successeur. Il aurait alors usé « d’un argument plutôt spécieux selon lequel “l’absolution gallicane” n’avait été donnée que pour une raison d’extrême nécessité, le roi, entouré d’assassins, se trouvant in articulo mortis. » (20) Personnellement je crois l’argument fondé. Il y eu au moins deux tentatives de meurtre avant le sacre, avec deux procès suivis de condamnations à mort ! Et le pape savait bien sûr tout cela. Enfin, en 1595, Henri IV envoya à Rome en ambassadeur et procureur de Sa Majesté, Jacques Davy du Perron, évêque d’Evreux, personnage haut en couleur, ancien calviniste, poète, ami de Ronsard, controversiste remarquable. Il développa l’argumentaire de d’Ossat, en priant le Saint-Père de ne pas voir dans cette absolution « gallicane », qu’il reconnaissait bien volontiers comme illicite, un acte de rébellion contre son autorité.

 

Mais les négociations risquèrent d’échouer à cause de l’expulsion des jésuites de France. Chastel, un de leurs anciens élèves, avait effectivement compté parmi l’un de ceux qui avaient essayé d’assassiner le roi le 27 décembre 1594 et avait d’ailleurs été condamné et exécuté. Mais fort heureusement, le pape était très bien entouré, le cardinal Toledo, appelé quelquefois Tolet, ancien jésuite, ainsi que les ambassadeurs français surent expliquer au pape le rôle ambigu des jésuites français pendant la Ligue. Ceux-ci avaient délégué deux des leurs à Rome, en vain. Le 13 mars, le pape faisait dire à d’Ossat qu’il avait demandé au général des jésuites « de pourvoir à ce que ses religieux n’usassent d’aucune médisance ni détraction (en France). » (21) Il renvoya même les deux jésuites de Rome. Ce pape, extrêmement intelligent et qui avait une grande habitude des affaires de l’Église et de la politique internationale, s’était bien rendu compte de l’ambition de Philippe II. Il avait peu goûté les menaces belliqueuses de son ambassadeur et il en était arrivé à craindre pour son indépendance et pour la paix dans les différents États italiens.

 

Le 30 août 1595, sur proposition du pape, le consistoire accepta que l’absolution fût donnée au roi de France. Ses deux ambassadeurs vinrent alors place Saint-Pierre, le 17 septembre, et, agenouillés devant le Saint-Père, ils reçurent pour leur souverain l’absolution qui relevait très officiellement Henri IV de l’excommunication majeure reçue antérieurement. Il s’ensuivit un Te Deum dans la basilique et des feux d’artifice. D’Ossat et du Perron seront peu après créés cardinaux par Clément VIII. Henri IV fera ajouter pour du Perron l’archevêché de Sens. Mais ce qui fut beaucoup plus important, c’est le renversement d’alliance. En 1598, le pape favorisera la paix de Vervins entre la France et l’Espagne, puis entre la France et la Savoie. En 1597, à la mort du duc de Ferrare, Henri IV était intervenu pour que le pape pût annexer son domaine aux territoires pontificaux.

 

VI L’édit de Nantes

Henri en avait trop vu sur les oppositions religieuses pour nourrir l’illusion qu’il pourrait sortir quelque chose de constructif d’une assemblée. Il demanda aux députés réunis pour la rédaction d’un édit de pacification religieuse, de lui désigner des représentants avec lesquels ils discuterait directement. Fin février 1598, le travail commença et s’acheva le 13 avril à Nantes. Il n’y avait pas d’égalité entre les deux religions et le catholicisme restait la religion de l’État. « Mais la liberté de conscience se trouvait reconnue aux membres de “la religion prétendue réformée”, sans être “enquis, vexés, molestés, ni astreints à faire choses contraires à leur religion.” Il était interdit en particulier aux prédicateurs catholiques de les injurier ou de s’en prendre à eux de quelque façon que ce fût… Les protestants jouiraient de tous leurs droits civils… ils avaient accès à toutes les fonctions charges et dignités publiques… Pour régler les litiges, on institua une chambre de l’Édit, composée de dix magistrats catholiques et de six protestants, au sein du Parlement de Paris, et de deux chambres similaires dans ceux de Toulouse, Bordeaux et Grenoble. L’exercice de la religion réformée n’était pas admis dans l’ensemble du territoire. Si le culte catholique devait être rétabli dans les villes et les lieux où il avait été interdit, notamment à La-Rochelle, à Montauban ou en Béarn, le calvinisme n’était reconnu que là où il avait droit de possession, c’est à dire là où il était célébré avant le 1er septembre 1597. » (22)

 

Il pouvait y avoir quelques exceptions. Les seigneurs et hautes personnalités de la Réforme protestante pouvaient tenir des cultes domestiques privés, à participation limitée. Pour certaines grandes villes et à cinq lieues autour, les cultes étaient interdits : Paris, Rouen, Dijon et Toulouse. Les gens de la Réforme protestante gardaient leur système d’organisation par assemblées. Le roi prenait en charge les frais de culte, dont l’entretien des 800 pasteurs et les salaires des professeurs de collèges. Des lieux de refuge et des places de sûreté étaient aussi accordés. Il y avait en France, à ce moment là, environ 1,25 million de huguenots pour 16 à 18 millions d’habitants. Cette minorité avait une forte implantation dans la noblesse militaire et de robe.

 

Comme le fait remarquer Jean-Christian Petitfils, cette disposition n’inventait rien, elle adaptait à la situation de 1598 les accords précédents que nous avons mentionnés en 1563, et 1570. Le cachet de cire était brun et non vert comme sur tous les édits royaux, ce qui manifestait clairement qu’il s’agissait d’un compromis provisoire. Il ne pouvait en être autrement dans l’esprit du temps (23). À quelques exceptions près, personne ne fut satisfait. Il fallait s’y attendre ! Symptomatique fut la réaction de Clément VIII : « C’était le plus mauvais qui se puisse imaginer … Cela me crucifie ». Cela fut dit en privé, mais il se garda bien de toute condamnation officielle. Il indiquait ainsi, sans forcément le vouloir, l’attitude que chacun allait finalement devoir accepter, avec un temps plus ou moins long de réflexion.

 

1) Esprit-Adolphe Segrétain, Sixte Quint et Henri IV, Quentin Moreau éditeur 2016, p. 73

2) Jean-Christian Petitfils, Henri IV, Éditions Perrin 2021, p. 207

3) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 219

4) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 296

5) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 225

6) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 226

7) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 271

8) Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 285

9) Charles Giraud, « Sixte Quint, son influence sur les affaires de France au XVIe siècle », Revue des Deux Mondes, tome cent-unième, Paris 1872

10) Charles Giraud, Revue des deux mondes, op. cité, p. 22

11) Charles Giraud, Revue des deux mondes, op. cité, p. 29

12) Charles Giraud, Revue des deux mondes, op. cité, p. 34

13) Charles Giraud, Revue des deux mondes, op. cité, pp. 42 et 43

14 Jean-Christian Petitfils, op. cité, p. 358

15) et 16) Jean Christian Petitfils, op. cité, p. 417

17) Jean Christian Petitfils, op. cité, pp. 416 à 419

18) Jean Christian Petitfils, op. cité, p. 438

19) Père Michel Viot, L’heure du royaume de France est-elle venue ? Éditions Via Romana 2018, pp. 200 à 203

20) Jean Christian Petitfils, op. cité, p. 470

21) A. Droin, « L’expulsion des jésuites sous Henri IV et leur rappel », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1901, p. 8

22) Jean Christian Petitfils, op. cité, pp. 492 et 493

23) Jean Christian Petitfils, op. cité, p. 494

 

Père Michel VIOT

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Rédaction

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