Tous ans, la date augmente d’une unité : nous sommes en 2023. Toutes les nations se sont accordées à ce comptage inspiré sur l’ère chrétienne. Fait religieux ou fait historique, comment cette unité de langage a-t-elle pu s’établir ? Avec l’aimable autorisation de son auteure, Zenit publie un article paru dans une revue locale de l’Église de Paris.
Astronomes, philosophes, mathématiciens, théologiens : durant des millénaires on s’est efforcé de découper le temps selon un cycle régulier qui puisse être accepté par tous. Le chemin fut long avant l’établissement du calendrier grégorien, devenu nôtre, en 1582.
Les astronomes égyptiens s’aidaient des étoiles et du retour des saisons pour créer leur calendrier ; le début de l’année était marqué, chaque été, par l’apparition de Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel, et par la survenue de la première crue du Nil. Les Hébreux mesuraient le temps par année lunaire de 353, 354 ou 355 jours répartis en douze mois, en ajoutant un mois intercalaire. Le calendrier aztèque fut un des tous premiers à établir l’année solaire de 365 jours, trois siècles avant notre ère.
Bien des méthodes de calcul ont coexisté, calendrier lunaire, solaire, ou luni-solaire. Vers 46 av. Jésus-Christ, avec l’aide d’un mathématicien égyptien, Sosigène, Jules César substitua au calendrier lunaire un calendrier solaire, systématique, dit le « calendrier Julien », découpé en 365 jours ¼ avec 1 jour supplémentaire intercalé tous les quatre ans après le sixième jour des calendes de mars. Mais il accusait un retard avec l’année astronomique.
Un temps linéaire, une idée chrétienne
Alors que les Anciens avaient l’idée d’un temps circulaire, l’idée d’un temps linéaire depuis la création du monde et marqué par la venue du Christ, est une idée chrétienne. L’histoire attribue à un moine astronome du VIe siècle, Denis le Petit, la datation des années à partir de la naissance du Christ ; il se trompait de six ou sept ans, mais son système fut retenu en chrétienté. Dès le Ier siècle les chrétiens avaient adopté une partie du calendrier hébraïque lunaire et l’année religieuse se superposa à l’année civile du calendrier julien. Un édit de l’empereur Constantin, en 321, fit du dimanche le commencement de la semaine, la semaine de sept jours figurant les sept jours de la création selon la Genèse.
En fait, une grande confusion régna longtemps : les chancelleries avaient leur calendrier propre tandis que l’Eglise prenait en considération le cycle des fêtes liturgiques devenu la référence usuelle. D’un pays à l’autre, l’année ne commençait pas le même jour : ici à Noël, là au jour de l’Annonciation (25 mars), en France à la fête de Pâques (fête mobile suivant la première pleine lune après l’équinoxe du printemps), ailleurs à la fête de la circoncision (1er janvier), et certaines années étaient plus longues que d’autres. Sensibles à l’alternance des saisons et aux phases de la lune, les populations se passaient souvent de calendrier en se contentant de noter « l’année après le consulat d’Anastase et Rufus » (inscription sur une tombe gallo-romaine de Lyon en 492), ou « 2ème année du règne de Hugues Capet ». Le besoin d’un temps plus abstrait et moins controversé devint presque unanime au XVIe siècle : en même temps que d’autres pays d’Europe, le roi de France Charles IX fixa par un édit le début de l’année 1564 au 1er janvier.
Un calendrier universel
C’est à la demande du concile de Trente que le pape Grégoire XIII mit en route la réforme du calendrier ; un groupe d’experts se réunit pendant dix ans et le projet retenu fut celui de Luigi Giglio. Giglio proposait de supprimer dix jours pour compenser le décalage accumulé en douze siècles entre le temps officiel et le temps astronomique : avec une année bissextile tous les quatre ans, l’année julienne avait une durée moyenne de 365,25 jours alors que la terre tourne autour du soleil en 365,219 jours. Il fut donc décidé de soustraire dix jours de l’année, et c’est ainsi que sainte Thérèse d’Avila mourut dans la nuit du 4 octobre au 15 octobre 1582 !
La bulle du 24 février 1582 fut largement acceptée, au grand émoi des Etats protestants. Quelques pays ont conservé leurs pratiques : l’Angleterre attendra 1751 pour s’aligner. A Venise, le nouvel an est resté fixé au 1er mars, jusqu’à la domination française en 1797. La Russie, opposée à la bulle pontificale, choisit l’équinoxe de printemps, 21 ou 22 mars, pour débuter l’année et y renoncera en 1918. Quant au calendrier révolutionnaire mis en place par la Convention en 1793, il célèbre le début de « l’ère des Français » ; chaque mois y est divisé en trois décades, chaque jour en dix heures, chaque heure en cent minutes. Il sera annulé en 1806 par Napoléon.
Aujourd’hui, le calendrier grégorien est considéré comme le plus juste et le plus neutre : il est reconnu dans les relations internationales. Mais les traditions subsistent : les Juifs ont conservé le calendrier luni-solaire, les musulmans utilisent un calendrier religieux lunaire à partir de l’Hégire, l’année chinoise comprend douze lunaisons auxquelles s’ajoutent des mois complémentaires.
[Seigneur,] tes années recouvrent tous les temps : / autrefois tu as fondé la terre ; le ciel est l’ouvrage de tes mains. / Ils passent, mais toi, tu demeures. / Toi, tu es le même ; tes années ne finissent pas. Psaume 101 (102), 25b-27a.28 – www.aelf.org
Sabine Melchior-Bonnet, écrivain
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