Le retour du Samaritain lépreux vers le Christ « pour le remercier de la guérison accordée à tous », est « un geste eucharistique » grâce auquel « il reçoit la guérison du cœur », explique Mgr Francesco Follo en introduisant son commentaire de l’évangile du dimanche 9 octobre prochain. « Maintenant le Samaritain n’est plus un lépreux guéri mais un homme sauvé ».
Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco, invite à méditer, dans l’évangile de Luc, le récit dans lequel sur les 10 lépreux guéris par Jésus, un seul revient sur ses pas lorsqu’il se découvre guéri, pour rendre gloire à Dieu.
Mgr Follo fait observer que l’invocation “Seigneur, pitié“ « introduit chaque célébration eucharistique ». L’important réside « dans le fait que l’invocation “Seigneur, prends pitié“ se transforme en “merci“. De cette façon, explique-t-il, « nous reconnaissons pleinement que notre misère a besoin de miséricorde ».
L’Amour attend notre ‘merci’
XXVIIIe Dimanche du Temps ordinaire – Année C – 9 octobre 2022
2 R 5,14-17; Ps 97; 2 Tm 2,8-13; Lc 17,11-19).
1) La guérison de la lèpre du cœur
Jésus est en marche vers Jérusalem, là où il sait qu’il devra affronter la mort pour « passer », Lui et l’humanité entière, dans la « terre » promise du Ciel. Dans cet exode vers la Ville de la Paix où il fêtera la Pâques (le passage de son retour au Père, le passage de la mort à la vie), Il ne laisse rien qui ne soit visité de sa présence, rien qui ne soit pas touché de ses saintes mains et de son regard de miséricorde qui guérit l’âme et le corps.
Dans ce chemin vers Jérusalem qui se situe au sud de la Terre Sainte, Jésus suit un parcours géographiquement absurde parce qu’il prend la direction du nord, vers la Samarie et la Galilée.
Mais Jésus suit la carte du coeur et va vers le centre en passant par les périphéries existentielles. En effet, quels sont ceux qui peuvent être plus périphériques que les lépreux qui sont des morts vivants parce que, surtout à cette époque, ils devaient rester en dehors de la ville, en ne pouvant pas habiter avec leurs concitoyens. Ils étaient condamnés à vivre en marge de la vie parce qu’ils étaient porteurs d’une maladie que l’on considérait contagieuse et qui les rendait impurs, immondes.
Ces dix lépreux représentent l’entière humanité, intoxiquée par le péché, condamnée à mort. Donc ils étaient incapables de faire le chemin de la vie. Jésus ordonne à tous (y compris nous) de marcher et d’aller « faire certifier » le miracle de la guérison par des prêtres, comme la Loi mosaïque l’ordonne.
Mais il ne suffit pas d’obéir et de marcher ; il faut prendre conscience du don reçu. Malheureusement, un seul, un samaritain (c’est-à-dire un qui unissait à la fois la marginalisation de la maladie et celle du mépris des autres qui le considéraient comme hérétique) retourne chez le Christ pour le remercier de la guérison accordée à tout le monde. Grâce à ce geste eucharistique (eucharistie signifie remerciement), il reçut la guérison du cœur.
En effet, dans cette rencontre entre Jésus et les lépreux, il y a deux mots clés : « pitié » et « merci ».
L’invocation « Seigneur, pitié », « Seigneur, aie miséricorde de nous pécheurs » introduit chaque célébration eucharistique (qui signifie « célébration de grâce ») et c’est la prière que chacun de nous adresse au Seigneur au début de la Messe.
L’important réside dans le fait que l’invocation : « Seigneur, prends pitié » se transforme en « merci ». De cette façon, nous reconnaissons pleinement que notre misère a besoin de miséricorde.
A la demande d’être écoutés et aimés malgré notre mal et qui s’exprime avec l’invocation « Je t’en prie, Seigneur, sauve-moi » Ps 114,4), le Christ répond avec sa miséricorde infinie dans laquelle nous somme guéris à un niveau supérieur auquel que nous demandons. En effet, avec le miracle d’aujourd’hui, le Seigneur nous apprend qu’il y a deux niveaux de guérison : un, plus superficiel, concerne le corps; l’autre, plus profond, touche l’intimité de la personne que la Bible appelle « cœur » duquel toute l’existence irradie. La santé du corps n’est pas contre celle du coeur, bien au contraire, la guérison complète et radicale est le salut qui agit de façon telle que notre cœur ne reste pas loin du Christ.
Souvenons-nous que le salut réside dans la relation avec le Seigneur, source de vie, et non dans la purification de la lèpre parce qu’on tombera encore malade plus tard, et qu’il faudra mourir. Donc le salut n’est pas simplement d’être purifié, guéri. Ce n’est pas la bonne santé parce qu’elle s’en va tôt ou tard. Le salut est autre chose : c’est la communion avec Lui, c’est revenir à Lui et glorifier Dieu à haute voix. « J’aime le Seigneur pour qu’il écoute le cri de ma prière » (Ps 114, 1-2). C’est dans l’Eucharistie que nous vivons la foi et la rencontre avec Lui qui nous a aimés et sauvés. Alors allons avec gratitude à la source de notre confiance qui est Son amour grâce auquel nous pouvons vivre.
2) Sauvés grâce à notre ‘merci’
Le retour (mot qui est synonyme de conversion) du lépreux guéri fut dicté par la reconnaissance vers le Messie qui l’avait guéri. Mais, dans ce geste, nous pouvons reconnaître le Christ comme Grand Prêtre, chez qui ce n’est plus la loi de Moise mais la nouvelle loi de l’Amour qui « impose » d’aller : en effet, c’est à Lui de certifier que l’on a recouvré la santé. Grâce au « merci », l’invocation de compassion pour la terrible maladie qui corrompt le corps devient une expérience d’amour et de communion.
Maintenant le samaritain n’est plus un lépreux guéri mais un homme sauvé.
Ce samaritain a compris qu’en retournant vers Jésus pour glorifier Dieu, tout ce qui lui était interdit lui devient accessible : le Temple, le culte, la vie du Peuple Saint.
Cet homme sauvé est poussé par la gratitude à se rapprocher avec pleine confiance du trône de la Grâce pour recevoir la miséricorde, trouver la grâce, et être aidé au moment opportun.(cfr Hb 4,15-16).
Cet homme qui était détruit, méprisé, seul et isolé fait l’expérience du salut et non seulement d’une vie digne sur terre qui lui est aussi restituée, mais le Seigneur lui donne la vie qui ne passe plus.
L’important est que nous allions nous aussi vers le Christ en mendiant la pitié et en lui disant : « merci » et nous revivrons nous aussi l’expérience de Jésus guérisseur et, surtout, rédempteur qui sauve le corps et le cœur.
D’une manière paradoxale mais correcte, nous pouvons dire que le lépreux sauvé (qui est chacun de nous lorsque nous sommes repentis et reconnaissants) devient l’annonce vivante de l’Evangile de la vie.
Aujourd’hui, la même chose nous arrive : si nous implorons pitié et disons merci, nous devenons de vrais disciples du Christ, ses fidèles annonciateurs.
C’est l’enseignement du reste du récit de Saint Luc d’aujourd’hui : Jésus loue la foi du samaritain lépreux et le désigne « annonciateur » de la bonne et joyeuse nouvelle. Cette nouvelle est confiée à celui qui, grâce à la foi, reçoit la purification de la lèpre du péché, le salut de l’âme, et la rédemption du coeur. Avec Romain le Mélode, prions : « Comme tu as purifié le lépreux de son infirmité, oh Tout-Puissant, ainsi pour guéris le mal de nos âmes, Tu qui es miséricordieux, par l’intercession de la Mère de Dieu, médecin de nos âmes, Ami des hommes, sauveur immune du péché » (Hymne 23, Préface).
La grandeur du Samaritain a été celle de mettre non seulement sa santé sans les mains du Seigneur mais toute sa vie.
Nous pouvons donc nous demander ce qui a poussé l’homme qui a reçu le miracle aujourd’hui à s’abandonner au Christ avec un coeur joyeux et plein de reconnaissance. Nous pouvons nous poser une question analogue, valide pour les situations moins dramatiques : « Qu’est-ce qui pousse les vierges consacrées dans le monde à mettre leur propre vie aux pieds du Christ-Epoux pour qu’il en fasse ce qui lui plait ? ». Cela ne peut être que la même et profonde certitude qui anima le cœur de Marie, face à l’annonce de l’Ange Gabriel à Nazareth jusqu’au pied de la croix à Jérusalem. C’est cette même et profonde certitude qui donna la force à Saint Joseph face à la tâche que Dieu lui confia ; c’est la même certitude qui soutint les Apôtres devant le martyre : la compassion de Dieu s’est penchée vers nous, la Miséricorde de l’Eternel est descendue sur la terre et a assumé un visage humain. C’est le Christ, notre seul bien : Il ne veut rien d’autre que notre bien. Il est né et mort pour cela. Il est ressuscité et est ici, présent dans l’Eucharistie, pour cela. C’est pour cela que nous pouvons nous abandonner à Lui sans réserves, pour cela nous pouvons aller vers Lui, nous agenouiller en suppliant et en mettant toute notre vie dans sa Volonté pour Lui permettre de nous dire à nouveau : « Je t’aime ».
L’abandon dans les mains du Christ de la part des vierges consacrées est pour nous un exemple quotidien, simple et imitable pour relier notre confiance en Jésus qui, avec son saint et pur amour, nous communique pureté et santé pleine. (cf Rituel de consécration des vierges, n° 24 : « Et toi, Dieu toujours fidèle, sois dans la maladie leur guérison ») Dans notre vie de chaque jour, nous apprenons que la guérison commence lorsque nous savons que nous pouvons compter sur quelqu’un qui veut notre bien, qui nous est proche et qui est disposé à porter notre mal, que ce soit la maladie ou le péché.
Voilà : la compassion radicale, vécue par Jésus, demande à chacun de nous de nous interroger sur notre capacité à rester à côté de celui qui se sent impur et malade. Comment oublier que François d’ Assise a compris tout le christianisme le jour où il décida d’embrasser un lépreux ? A ce moment-là, il commença son chemin de disciple jusqu’à devenir « très semblable à Jésus », jusqu’ à lui ressembler « physiquement » avec les stigmates?
Jésus est la sainteté qui brûle chaque notre péché. Il est la vie qui guérit nos maladies, mais ce service aux hommes a un prix élevé : Jésus ne peut plus entrer publiquement dans les villages, mais il est contraint de rester dans des lieux déserts, c’est-à-dire à vivre la situation qui était celle du lépreux auparavant : Jésus soigne et guérit les autres au prix de la prendre leur mal sur lui. Le texte latin du prophète Isaïe sur le serviteur du Seigneur dit: « Nous le considérions comme un lépreux » (Is 53,4b). Oui, Jésus, le Serviteur, le Messie, le Sauveur s’est fait pour nous comme un lépreux, pour guérir notre lèpre du le corps et de l’esprit. De cette façon, sur la croix il aura des plaies comme un lépreux : mais nous pouvons fixer sur lui notre regard dans l’espérance certaine de la guérison, certains de la compassion de celui qui « a pris sur lui nos souffrances et nos maux » (Is 53,4a).
Lecture Patristique
Saint Ambroise de Milan
Traité des mystères
« Que la récente lecture des livres des Rois serve aussi à ton enseignement. Nous y avons vu Naaman le Syrien couvert de lèpre que personne n’avait pu guérir… Naaman finit par consentir aux conseils de ses serviteurs et se baigna. Aussitôt purifié, il comprit que l’artisan de la purification de chacun n’était pas l’eau mais la grâce …
Sache maintenant que cette jeune fille captive, c’est l’Assemblée qui, en vérité, est bien jeune parmi les nations, autrement dit : l’Eglise du Seigneur qui était opprimée auparavant par la captivité du péché dans le temps où elle n’avait pas encore reçu la liberté de la grâce…
Je vois de l’eau telle que j’en avais vu quotidiennement. Je m’y étais souvent baigné, sans avoir jamais été purifié pour autant et elle aurait soudain le pouvoir d’accomplir cette purification ? Eh bien, sache par là que l’eau n’a ce pouvoir qu’avec l’Esprit…
Qu’est-ce que l’eau sans la croix du Christ (d’où jaillit l’eau et le sang) ? C’est un élément ordinaire, sans aucun effet sacramentel. Et pourtant sans eau, le mystère de la régénération ne pourrait s’accomplir : nul, en effet, s’il n’est rené de l’eau et de l’Esprit ne peut entrer dans le Royaume de Dieu… »
« Nous lisons en effet dans les livres des Rois qu’un Gentil (un païen), Naaman, a été, selon la parole du Prophète, délivré des taches de la lèpre ; pourtant bien des juifs étaient rongés par la lèpre du corps, et aussi de l’âme… Pourquoi donc le Prophète ne soignait-il pas ses frères, ses concitoyens, ne guérissait-il pas les siens, alors qu’il guérissait des étrangers…? N’est-ce pas que le remède dépend de la bonne volonté, et non de la nation…
L’Eglise est ce peuple rassemblé d’entre les étrangers, ce peuple jadis lépreux avant d’être baptisé dans le fleuve mystérieux : « Le Christ a voulu rendre sainte l’Eglise en la purifiant avec l’eau qui lave et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride… » (Eph 5, 26-27)
En Naaman nous est montrée la figure du salut qui viendra pour les Gentils.
St Bruno de Segni
« Il est bien que, pour cette guérison de lépreux, on ne désigne expressément aucune localité, pour montrer que ce n’est pas le seul peuple d’une cité spéciale, mais les peuples de l’univers qui ont été guéris…
Si donc le remède de la lèpre est la parole, le mépris de la parole est assurément la lèpre de l’âme…
Le Seigneur prescrit de se monter au prêtre ; car se montrant au prêtre, le prêtre comprendra qu’il n’a pas été guéri selon la procédure légale, mais par la grâce de Dieu supérieure à la Loi ; le Seigneur montrait qu’il ne détruisait pas la Loi mais l’accomplissait. Il se conduisait selon la Loi, alors même qu’on le voyait guérir en dépassant la Loi, ceux que les remèdes de la Loi n’avaient pas guéris.
« Que représentent les dix lépreux sinon l’ensemble des pécheurs ? … Lorsque vint le Christ, tous les hommes soufraient de la lèpre de l’âme, même s’ils n’étaient pas tous atteints de celle du corps… Or la lèpre de l’âme est bien pire que celle du corps…
Ces hommes se tenaient à distance car ils n’osaient pas, étant donné leur état, s’avancer plus près de lui. Il en va de même pour nous : tant que nous demeurons dans nos péchés, nous nous tenons à l’écart. Donc, pour recouvrer la santé et guérir de la lèpre de nos péchés, supplions d’une voix forte et disons : « Jésus, Maître, prends pitié de nous ». Cette supplication ne doit toutefois pas venir de notre bouche, mais de notre cœur…
En cours de route, ils furent purifiés…souvent, en effet, le pécheur est pardonné avant de venir trouver le prêtre. En réalité il est guéri à l’instant même où il se repent…
Le Samaritain représente tous ceux qui ont été purifiés dans l’eau du baptême ou guéris par le sacrement de Pénitence… ils imitent le Christ, ils marchent à sa suite en le glorifiant et en lui rendant grâce..
C’est la foi qui guérit l’homme dans son âme et dans son corps.