L’interrogatoire de Mgr Mauro Carlino, ancien secrétaire de deux substituts de la Secrétairerie d’État, a occupé, mercredi 30 mars 2022, dans la salle polyvalente des Musées du Vatican, la onzième audience – de 4 heures 30 -, du procès pour les délits présumés commis avec des fonds du Saint-Siège – notamment pour l’immeuble de Sloane Avenue, à Londres -.
L’audience a aussi appris que le pape François levait le secret pontifical, permettant ainsi au cardinal Angelo Becciu de s’expliquer sur « l’affaire Marogna » et qu’une enquête sur le financement au diocèse d’Ozieri, en Sardaigne, a été ouverte, comme le rapporte Radio Vatican (Salvatore Cernuzio).
L’audience s’est ouverte sur la lecture par le président du tribunal du Vatican, Giuseppe Pignatone, de la réponse apportée le 24 mars par la Secrétairerie d’État concernant le secret opposé par le Cardinal Becciu (absent), quand aux tractations avec la manager Cecilia Marogna. « Après avoir été informé directement, le pape dispense le cardinal Becciu du secret papal », lit-on dans la note signée par le secrétaire d’État, Pietro Parolin. Un deuxième interrogatoire du cardinal Becciu aura donc lieu le 7 avril à propos de l’affaire de Sloane Avenue et sur l’affaire « Marogna ».
Le rôle de Mgr Carlino
Mgr Carlino a protesté de sa totale obéissance: « Je n’ai pas levé le petit doigt sans avoir l’autorisation des supérieurs et surtout j’ai travaillé exclusivement dans l’intérêt du Saint-Siège, dans l’obéissance au substitut. Ils m’ont appris que celui qui obéit ne faillit pas ». Il a souligné son rôle de ‘subordonné’, d’ ‘exécuteur’, d’ ‘intermédiaire’ dans les négociations pour clore le « gâchis » de la vente de l’immeuble de Londres.
Mgr Carlino, prêtre du diocèse italien de Lecce, secrétaire du cardinal Becciu puis de son successeur, Mgr Edgar Peña Parra, avait près de lui un dossier de documents et il tenait en main un téléphone portable sur lequel il vérifiait les dates, les échanges et les captures d’écran. Il a fait une longue déclaration spontanée dans laquelle il a d’abord fait une sa profession de foi: « J’ai essayé de voir en chaque personne, papier, dossier, une demande mais surtout la présence du Seigneur. » Il s’est dit « étonné » d’être mis en examen : « Quel mal ai-je fait ? J’ai obéi. Dans l’obéissance, je pense avoir fait la volonté de Dieu. »
Il a centré son récit sur le travail accompli en tant que secrétaire de Mgr Peña Parra qui lui a demandé « fidélité, obéissance, confidentialité », à son arrivée à la Secrétairerie d’État le 15 octobre 2018. Il a découvert l’affaire de Londres – un « gâchis » – : « Je ne savais pas que l’immeuble existait jusqu’en janvier 2019. (…) Je ne suis pas un expert dans le domaine administratif, je n’ai jamais eu affaire à quoi que ce soit dans le secteur immobilier, je suis un prêtre. »
Il rapporte que Mgr Peña Parra lui a demandé de prévoir un voyage à Londres, lui expliquant l’existence d' »une faute grave de négligence du bureau administratif », – les mille actions attribuées à Gianluigi Torzi, par l’intermédiaire desquelles le courtier « contrôlait » la propriété londonienne -: « Le contrat s’était matérialisé et malgré les premières tentatives infructueuses, il y avait la décision supérieure du pape d’entamer une négociation, de payer le moins possible et d’obtenir enfin la gestion et le contrôle de ce bâtiment. » Mgr Carlino a évoqué cette période comme un « Chemin de Croix ».
Le rôle du courtier Torzi
Il a défini son rôle comme étant chargé de « parler, parler, entretenir des relations » avec Torzi, « en ayant toujours à l’esprit de le traiter avec bienveillance pour ne jamais perdre le fil de la négociation »: le courtier lui était décrit comme « dangereux », « un de ceux qui ont besoin de voir son ego continuellement » flatté, « une personne qui avait trompé et trompait la Secrétairerie d’Etat ».
Mgr Carlino a accompli sa mission avec l’aide de trois experts dans le domaine administratif : Luca Dal Fabbro, l’architecte Luciano Capaldo et, en tant que « stagiaire » de la Secrétairerie d’État, Fabrizio Tirabassi (également l’un des accusés). Luca Dal Fabbro était un consultant international à qui on avait accordé « crédit et confiance » ; Luciano Capaldo vivait à Londres, il était un « expert du secteur immobilier » et il entretenait des relations avec le cabinet d’avocats de la secrétairerie d’État. Fabrizio Tirabassi, lui, a connu l’histoire de Londres « dès les tout premiers investissements », « il avait tout le dossier » et c’est lui qui a dit : « Ici on s’est trompé, des documents qui donnent des droits ont été signés. »
Mgr Peña Parra a « constamment informé le secrétaire d’État et surtout le pape des différentes négociations », a protesté à plusieurs reprises Mgr Carlino, rappelant que le substitut rencontrait le pape chaque semaine, le mardi à 18 heures. L’archevêque du Venezuela « avait tout suivi étape par étape. ‘Après l’erreur commise, je me suis personnellement impliqué dans l’histoire, je n’ai délégué personne’. »
La plus grande crainte était que « les actions donneraient à Torzi un contrôle et une gestion qui n’étaient pas dans les canons de la Secrétairerie d’État », confie Mgr Carlino: il a donc été décidé de ne pas s’appuyer sur le cabinet de conseil financier lié au courtier, dont la gestion était « peu transparente ». On craignait également que Torzi « ne vende la propriété ». Crainte pas tout à fait infondée puisque le financier avait également préparé une plaquette de présentation de l’immeuble. L' »intérêt premier » était donc de récupérer le contrôle total. Cependant, il n’a pas engagé de poursuites judiciaires pour « la réputation ».
La négociation à 15 millions
Mgr Carlino a ensuite rappelé les démarches entreprises pour parvenir à la conclusion de l’accord grâce à un versement de 15 millions d’euros à Torzi: un résultat obtenu après de nombreuses difficultés. En mars 2019, la négociation était en effet au point mort et Torzi réclamait 20 millions: « Un jour, il m’a appelé 12 à 15 fois. Je n’ai pas répondu, j’ai demandé au substitut, il m’a dit de prendre mon temps. Une autre fois, le courtier a rencontré Mgr Carlino à la Porte Sainte-Anne du Vatican, qui disait sa déception de ne pas avoir encore « signé »: « Mais vous avez demandé beaucoup d’argent. » « Ok, on peut clôturer à 15 millions ».
La proposition a été prise en considération et finalement le 2 mai la question a été close. Deux factures ont été émises : l’une de 10 millions avec pour objet « commission de courtage », l’autre de 5 millions pour « conseil analytique sur les investissements immobiliers ». Des causes jugées « imaginaires » par certains avocats de la défense. Mgr Carlino a déclaré n’être jamais entré dans les détails techniques, mais il a indiqué que Mgr Peña Parra avait dit « sa grande satisfaction pour la négociation »: il a organisé un dîner dans un restaurant romain le soir même, disant, au moment de l’addition, que tout était offert par le pape, « heureux que nous ayons enfin pu conclure ».
Le refus de l’institut financier du Vatican
Maître Lipari, partie civile de l’Institut pour les oeuvres de religion (IOR), a demandé à Mgr Carlino s’il avait déjà participé aux rencontres entre Mgr Peña Parra et Gian Franco Mammì, directeur de l’IOR auquel la Secrétairerie d’État s’est adressée pour obtenir un prêt pour soutenir l’hypothèque onéreuse. Mgr Carlino n’était présent qu’à une seule réunion. Mais il a rappelé un événement qui a « fortement agacé » Mgr Peña Parra, à savoir que le 24 mai 2019, après la fin des négociations, le président – et non plus le directeur – de l’IOR, un Français, M. Jean-Baptiste De Franssu, a d’abord approuvé un prêt, pour ensuite faire marche-arrière pour complément d’information.
Une décision « étrange » étant donné que le prêt aurait pu entraîner des économies importantes pour le Saint-Siège grâce à « une hypothèque ». Le 2 juillet, une plainte de l’IOR a déclenché des recherches et des enquêtes. Mgr Carlino a fait valoir que « devant l’étrangeté du prêt d’abord accordé puis refusé », le substitut aurait demandé à la Gendarmerie vaticane de « faire des vérifications » sur le directeur de l’IOR. Un certain Capaldo, lié au renseignement italien, aurait également été impliqué.
L’un des avocats de Torzi a alors demandé à Mgr Carlino de rendre compte d’un message dans lequel il était question d’un « harcèlement » à un « gentleman »: il s’agissait de Giuseppe Milanese, président de la coopérative sociale italienne Osa, chargé de la médiation avec Torzi dans la première phase des négociations. La filature est née du soupçon que Milanese s’était rendu à Londres, fin mars 2019, parce qu’il était « de mèche » avec Torzi à qui, une fois la transaction conclue, il pourrait « prendre quelque chose ».
Les fonds de Sardaigne
Pour sa part, le promoteur adjoint de justice, Alessandro Diddi, a demandé à Mgr Carlino s’il connaissait la coopérative Spes, dans le diocèse sarde d’Ozieri, au profit de laquelle des transferts ont été effectués par le Vatican à la demande du cardinal Becciu. Mgr Carlino a répondu qu’il savait que Spes était « le bras opérationnel de la Caritas d’Ozieri », un diocèse décrit par le cardinal Becciu comme « très pauvre ». Il savait aussi que le frère du cardinal y travaillait: « Je savais que la CEI (Conférence épiscopale italienne, ndlr) avait donné des fonds au diocèse d’Ozieri. » On l’a arrêté sur ce sujet, du fait qu’une enquête est actuellement ouverte sur le financement de la CEI à Ozieri.
L’interrogatoire de Mgr Carlino se poursuivra le 5 avril. Le même jour, René Brülhart et Tommaso Di Ruzza, respectivement ancien président et directeur de l’Autorité d’information financière (AIF), seront également interrogés.