Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo

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« Parabole du Père prodigue de miséricorde », par Mgr Follo

« La joie de la miséricorde »

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Mgr Francesco Follo invite « à donner à Dieu la joie de nous pardonner et à nous celle d’être pardonnés », dans ce commentaire de l’Evangile de dimanche prochain, mars 2022, 4e dimanche de carême.

Comme lecture patristique, Mgr Follo propose une page de saint Jean Chrysostome, sur la pénitence.

AB

Parabole du Père prodigue de miséricorde.

 

1) La joie de la miséricorde.

L’Évangile de Saint Luc, l’écrivain de la mansuétude de Jésus Christ que Dante Alighieri définit comme « scriba mansuetudinis Christi », enseigne que le Messie est l’incarnation de la présence miséricordieuse de Dieu parmi nous. Le Christ est présence d’amour, de pardon et de joie qui nous donne « un ordre » : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » (Lc 6, 36). Sainte Faustine Kowalska a écrit : « La miséricorde est la fleur de l’amour, Dieu est amour, la miséricorde est son action, dans l’amour son origine, dans la miséricorde sa manifestation. » (Diario, Città del Vaticano 2004, II, p.420)

En ce dimanche de « Laetare » (réjouissez-vous) et faisons donc nôtre l’invitation du pape François :  « Abandonnons-nous totalement au Père. Laissons-nous embrasser, nous qui sommes à genoux et comme le fils prodigue, laissons-nous caresser des mains du Père dont l’amour paternel s’adresse à chacun de nous comme miséricorde c’est-à-dire comme amour de Dieu qui se penche sur le pécheur, le faible et l’indigent. De cette façon, nous pourrons expérimenter la joie d’être aimé de ce « Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein d’amour. »

N’oublions pas cependant que non seulement nous sommes dans la joie parce que nous sommes pardonnés par le Père mais que nous pouvons aussi donner à Dieu la joie de pouvoir nous pardonner. Cette joie de Dieu à nous pardonner est le point le plus original du message biblique et chrétien. « Nous à Dieu, enseignait un ancien et sage bibliste français, nous ne pouvons rien offrir qu’il n’ait déjà : il est le maître de tout ! Excepté une chose : lui donner la joie de pouvoir nous pardonner. »

La conscience de cette joie divine nous pousse à nous ouvrir sans hésitation à l’amour de Dieu par notre conversion et à lui appartenir, lui qui nous accueille comme ses enfants avec un cœur riche de miséricorde.

Pour nous convertir à ce Dieu de miséricorde et nous aider à mettre en pratique son commandement à être miséricordieux, le Rédempteur de l’homme pécheur annonce son évangile de pardon et de joie en racontant la parabole traditionnellement appelée « du fils prodigue. » Ce passage de l’Évangile que la liturgie de la parole nous propose aujourd’hui a comme leitmotiv la joie avec laquelle Dieu nous invite tous quand il retrouve le fils perdu. Pour participer à cette joie nous devons partager le pardon que le Père, prodigue de miséricorde, concède au fils retrouvé et accepter l’invitation au repas organisé pour fêter le retour de l’égaré. En effet, qui n’accepte pas le pécheur comme un frère, n’accepte pas l’amour « gratuit » du Père et n’en est pas le fils. Il est comme le frère aîné, dont parle la parabole et qui se met en colère pour le pardon accordé au jeune frère. Qui ne sait pas pardonner et partager la joie du Père se noie dans une justice mesquine qui sait seulement punir et reste en dehors du banquet de joie et d’amour.

La messe est pour nous ce banquet d’amour qui commence avec le pardon demandé, accordé et partagé. L’Eucharistie est le geste par lequel le Christ sacrifié et ressuscité nous embrasse dans le pardon qui recrée. Le Christ, Pain de vie, mystère de pardon et de résurrection, fait que oui, nous pouvons être embrassés par le Père, purifiant notre vie d’errant et se faisant nourriture pour notre exode. Et comme le retour du fils prodigue à la maison du Père ne fut pas seulement la fin d’une aventure humaine désastreuse, mais aussi le début d’une vie nouvelle, d’une joyeuse histoire de vérité et d’amour, ainsi en est-il et en sera-t-il pour nous, si à genoux, du moins avec le cœur, nous demandons pardon tout en recevant le Pain des anges fait Pain pour nous, pauvres pécheurs.

Dans le Pain eucharistique, Jésus nous a donné son amour qui l’a conduit à offrir sur la croix sa vie pour nous. Au cénacle, lors de la première Cène eucharistique, le Christ lava les pieds de ses disciples en donnant ce commandement d’amour : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous aussi les uns les autres. » (Jn 13, 34)

Mais comme cela n’est possible que seulement en restant unis à lui, comme les sarments à la vigne (cf Jn 15, 1-8), le Rédempteur a choisi de rester parmi nous dans l’Eucharistie pour que nous puissions rester en lui. Donc quand nous mangeons avec foi son corps et son sang, son amour passe en nous et nous rend capable à notre tour de donner la vie pour nos frères (cf 1 Jn 3, 16). De là jaillit la joie chrétienne, la joie de l’amour.

 

2) Le Père prodigue.

Examinons maintenant de plus près cette parabole que je me suis permis d’appeler la parabole du Père prodigue, parce qu’il est prodigue en donnant avec abondance et sans réserve sa miséricorde.

Dans ce récit, le Christ commence en disant : « Un homme avait deux fils. » Nous pouvons voir dans ces deux fils les représentants de toute l’humanité qui se divise en deux catégories : celle des pécheurs comme le jeune fils et celle de ceux qui se croient justes, comme l’aîné. Nous sommes donc tous concernés par cette parabole.

Ce qui peut paraître étrange c’est que le fils prodigue, qui se trompe, fait moins de problème que le fils qui est toujours resté à la maison. Ce « juste » n’accepte pas que le Père (Dieu) soit amour et miséricorde.

Un autre élément à prendre en considération est que les deux fils ont en commun une même image du père comme quelqu’un d’exigeant et de dur : le fils aîné le dit clairement : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. » Un père-patron exigeant à servir, comme Dieu lui-même que l’homme imagine souvent en train de restreindre sa liberté humaine avec une multitude de préceptes, d’ordres et d’interdits. Le plus jeune fils se rebelle mais au moins l’appelle père : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. »

L’image qu’il a du père est fausse mais ce qu’il veut de lui est juste : il veut la vie, la plénitude, la liberté. C’est bien ce que doit donner un père, sinon quel genre de père est-ce ? A cette demande justifiée, le père répond en divisant ses biens en deux. Ce qui peut signifier que le père voudrait aussi que l’autre, le plus grand, s’en aille, qu’il désire la liberté et la vie et qu’il ne soit pas à la maison à faire l’esclave.

Le plus jeune « rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain. » parce qu’il pense que seulement loin de Dieu, il peut trouver le bonheur. Comme a fait Adam lui aussi, c’est le même péché, la même histoire qu’Adam. Adam s’est rebellé contre Dieu parce qu’il voulait être comme Dieu.

Que se passe-t-il quand on est loin de Dieu ? On trouve la mort, parce que Dieu est la vie. Si Dieu est plénitude, loin de lui on trouve le vide. Si Dieu est joie, loin de lui il y a la tristesse et l’ennui. Si Dieu est liberté, sans lui on tombe dans l’esclavage. Alors la parabole du fils prodigue devient la parabole de l’homme qui croit qu’il se réalise en s’éloignant de Dieu.

Mais dans cette recherche de liberté loin du père, le plus jeune fils dissipe, gaspille toute la richesse qu’il a reçue : il perd tout. C’est l’histoire de l’homme qui, fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, perd la vérité sur lui-même en étant loin de Dieu ; il devient vide, pauvre et perdu dans ses limites. Il cherchait à se libérer d’un père à servir avec amour pour finalement servir des hommes qui adorent des idoles, qui lui font garder des cochons et qui le laissent souffrir de faim.

Ayant touché le fond, le fils prodigue qui a dilapidé les richesses du père, rentre en lui et décide de retourner à la maison. La nécessité le rend sage et il commence à raisonner. En fait, il ne semble pas beaucoup repenti, il a seulement faim et il dit : « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance. » Quoi qu’il en soit, il est convaincu d’avoir perdu l’amour de son père et de devoir le mériter à nouveau. Mais son père, qui est prodigue d’amour, n’a jamais cessé de l’aimer. Quand son fils lui demande pardon, il ne le laisse même pas parler : son amour précède son repentir et sa conversion ; il lui offre avec joie un vêtement, une bague, des sandales, « attributs » de son être de fils et il veut qu’on fasse une fête pour son retour. Bouleversé par cette miséricorde surabondante, le fils comprend enfin que son père non seulement l’a toujours attendu mais l’a toujours aimé même quand lui l’avait oublié ou peut-être même détesté.

Et comblé par la joie du Père qui a organisé tout de suite une fête parce qu’il a retrouvé son fils, il a redécouvert sa dignité de fils. Ce père miséricordieux dit :« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. » Quel était le premier vêtement d’Adam ? Il était nu. Son vêtement était d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est à dire d’être fils. Voilà notre vêtement. Notre être de fils est toujours auprès du père parce qu’il est toujours père pour nous. Voilà notre vêtement, notre dignité, notre identité.

3) Mère de Miséricorde.

Le thème central de la parabole d’aujourd’hui n’est pas le péché mais la miséricorde de Dieu, miséricorde que nous pouvons expérimenter nous aussi principalement grâce à la confession. Avec ce sacrement, nous pouvons comme le fils prodigue rencontrer avec le Christ le père miséricordieux. Il est vrai que la confession est parfois vue davantage comme un tribunal de l’accusation que comme une fête du pardon. Sans sous-évaluer l’importance de dire ses propres péchés, il faut rappeler que ce qui est absolument central dans l’écoute des péchés c’est l’embrassade bénissante du Père miséricordieux. Trop souvent nous considérons d’abord le péché et ensuite la grâce. Mais avant tout il y a l’amour gratuit, miséricordieux et prodigue de Dieu qui accueille et qui recrée. Dieu ne s’arrête pas devant notre péché, il ne recule pas devant nos offenses, mais il court à notre rencontre comme le père miséricordieux courut à la rencontre de son fils qui avec douleur et humilité revenait à la maison.

Mais cette réflexion serait encore partielle si nous ne pensions pas à la Mère de la Miséricorde, parce que la miséricorde est une caractéristique de l’amour maternel. Le Fils, prodigue lui aussi, c’est à dire généreux de pardon, a été généré par elle pour qu’il soit la miséricorde de l’humanité. Marie diffuse cette miséricorde avec un amour de mère et l’étend de génération en génération selon le bon dessein du père qui l’a associée intimement au mystère du Christ et de l’Église. Marie est médiatrice de miséricorde, refuge de miséricorde, « porte » à travers laquelle le croyant se présente au Juge divin qui est son Fils et notre frère à tous, nous qui sommes devenus les enfants de la femme de Nazareth au pied de la croix : enfants de l’amour miséricordieux.

Les vierges consacrées sont appelées à témoigner dans le monde de cette maternelle miséricorde en prenant la vierge Marie comme modèle de coopération de la femme avec Dieu. Certes la Vierge de Nazareth a reçu une plénitude de grâce exceptionnelle pour répondre parfaitement à la mission unique qui lui a été confiée. Mais dans sa volonté de considérer la femme comme sa première alliée, Dieu accorde à toute femme la grâce nécessaire pour accomplir ce rôle, de sorte que la coopération, tout en étant libre et personnelle, s’effectue toujours avec des forces reçues d’en haut.

Dans le cas de Marie, la coopération est d’un genre exceptionnel, puisque la maternité est virginale. Mais toute génération d’un être humain réclame l’action créatrice de Dieu et donc une coopération des parents humains avec cette action souveraine. En collaborant avec la toute-puissance divine, la femme reçoit d’elle sa maternité. Maternité qui, chez les vierges consacrées, est spirituelle, mais non moins réelle et concrète pour cela : le jour de leur consécration, l’évêque prie : “Que Jésus notre Seigneur, fidèle époux de celles qui lui sont consacrées, vous donne, par sa Parole, un vie heureuse et féconde” (Rituel de la consécration des vierges, n 36)

Le visage de la mère, surtout si elle l’est dans l’Esprit, est un reflet du visage du Père qui possède en lui toutes les caractéristiques propres de l’amour paternel et de l’amour maternel.

 

Lecture Patristique

Saint Jean Chrysostome (+ 407)

Homélies sur la pénitence, 1,3-4 (PG 49, 282-283)

Dieu se contente d’obtenir de nous un regret facile pour nous faire grâce de nos nombreux péchés. Voici une parabole à l’appui de cette affirmation. Il y avait deux frères. Après le partage de leur patrimoine, l’un d’eux resta à la maison et l’autre, après avoir dévoré toute sa part, se condamna à l’exil, ne pouvant supporter la honte de sa misère. J’ai choisi de vous raconter cette parabole pour vous enseigner qu’il y a un pardon pour les fautes postérieures au baptême, si nous le voulons vraiment. Je ne dis pas cela pour vous porter à l’insouciance, mais pour vous préserver du désespoir, car celui-ci nous fait plus de mal que l’indolence.

Donc, ce fils exilé offre l’image de ceux qui sont tombés après le baptême. Il est évident qu’il les représente, puisqu’il est appelé « fils ». Car nul ne peut être appelé ainsi lorsqu’il n’est pas baptisé. En outre, il avait habité la maison de son père, qui lui avait donné une part de ses biens. Or, avant le baptême, on ne peut participer aux biens du Père, ni recevoir son héritage. Ainsi tous ces traits marquent la condition des fidèles. En outre, le prodigue était le frère d’un homme très estimable, et personne n’est un « frère » s’il n’a pas reçu la seconde naissance, celle que donne le Saint-Esprit.

Or, que dit le prodigue tombé dans la pire misère? Je vais retourner chez mon père (Lc 15,18). La raison pour laquelle son père l’a laissé s’éloigner et ne l’a pas empêché de partir à l’étranger, c’était qu’il découvrirait clairement par expérience de quel bienfait l’on jouit en restant à la maison. Souvent Dieu, lorsque ces paroles ne peuvent nous persuader, permet à l’expérience des faits de nous apporter ses leçons.

Après s’être éloigné dans un pays étranger, le prodigue, ayant appris par ses propres déboires dans quelle misère on tombe en quittant la maison paternelle, s’en revint donc vers son père. Celui-ci ne lui garda pas rancune, mais le reçut à bras ouverts. Et pourquoi donc? Parce qu’il était un père, non un juge. Et ce furent des danses, un festin, des réjouissances, bref toute la maisonnée rayonnait de joie.

Alors vous dites: « Est-ce ainsi que l’on récompense l’inconduite? » On ne fête pas son inconduite, mais son retour; ni son péché, mais sa conversion; ni sa méchanceté, mais sa transformation. Bien plus, quand le fils aîné s’est indigné de toute cette joie, le père l’a calmé avec douceur en lui disant: Toi, tu vis toujours avec moi. Mais lui était perdu, et il est retrouvé; il était mort, et il est revenu à la vie (cf. Lc 15,31.32). Lorsqu’il faut sauver celui qui se perd, ce n’est pas le moment de rendre des sentences, ni de faire une enquête minutieuse, mais uniquement celui de la miséricorde et du pardon.

 

 

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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