« La guerre nous fait penser à la « sauvagerie » de la nature humaine, jusqu’où nous sommes capables d’aller. Assassins de nos frères »: le pape François ne cesse de plaider pour la fin de la guerre en Ukraine et de dénoncer sa cruauté. Il invite au contraire à l’éducation pour que « les enfants et les jeunes développent une forte conscience que les conflits ne se résolvent pas par la violence, et ne se résolvent pas par l’oppression, mais par la confrontation et le dialogue ».
Le pape François a recommandé cette éducation à l’occasion de l’audience accordée au Vatican les participants du Congrès international promu par la Fondation pontificale « Gravissimum educationis« , ce vendredi 18 mars au Vatican.
Le congrès a pour thème: « Éduquer à la démocratie dans un monde fragmenté ». Il est organisé à Rome, à l ‘Université LUMSA, du 17 au 19 mars.
Mgr Guy-Réal Thivierge, secrétaire général de la fondation, a remis au pape la lettre du représentant ukrainien, le prof. Yurii Pidlisnyi, absent du fait de la guerre: il remercie le pape François et le supplie de continuer à agir pour la paix.
Le pape pense spécialement aux jeunes privés d’éducation par la guerre, privés de la vie: « Nous parlons d’éducation, et quand on pense à l’éducation, on pense aux enfants, aux jeunes… On pense à beaucoup de soldats qui sont envoyés au front, très jeunes, des soldats russes, des pauvres. Nous pensons à de nombreux jeunes soldats ukrainiens ; pensons aux habitants, aux jeunes, aux garçons, aux filles… Cela se passe près de chez nous. »
Il a voulu rappeler encore une fois qu’il n’y a pas de « guerre juste »: « Une guerre c’est toujours – toujours ! – la défaite de l’humanité, toujours. Nous, cultivés, qui travaillons dans l’éducation, sommes vaincus par cette guerre, car d’un côté nous en sommes responsables. Il n’y a pas de guerres justes : elles n’existent pas ! »
Le pape diagnostique tout d’abord la tentation de la possession. Et il commente la parabole des vignerons homicide pour constater: » lorsque l’homme renie sa vocation de collaborateur à l’œuvre de Dieu et prétend se mettre à sa place, il perd la dignité de fils et devient l’ennemi de ses frères. Il se transforme en Caïn. »
Il débusque deux formes « dégénérées » de la démocratie qui en découlent: « le totalitarisme et le sécularisme ».
Il recommande de « nourrir la soif de démocratie chez les jeunes », d’ « enseigner aux jeunes que le bien commun se mêle à l’amour », et d’ « éduquer les jeunes à vivre l’autorité comme un service », et de les éduquer à la résolution pacifique des conflits.
Le pape a saisi l’occasion pour « relancer le Pacte [éducatif], cette alliance qui vise à rassembler ceux qui se soucient de l’éducation des jeunes générations, et qui peut devenir un instrument de poursuite du bien commun mondial ».
Voici notre traduction, rapide, de travail, des paroles prononcées par le pape en italien.
AB
Discours du pape François
Nous sommes habitués à entendre des nouvelles de guerres, mais lointaines. Syrie, Yémen … habituelles. Maintenant que la guerre s’est approchée, elle est chez nous, pratiquement. Et cela nous fait penser à la « sauvagerie » de la nature humaine, jusqu’où nous sommes capables d’aller. Assassins de nos frères. Merci, Mgr Guy-Réal Thivierge, pour cette lettre que vous apportez, qui est un appel, attire l’attention sur ce qui se passe. Nous parlons d’éducation, et quand on pense à l’éducation, on pense aux enfants, aux jeunes… On pense à beaucoup de soldats qui sont envoyés au front, très jeunes, des soldats russes, des pauvres. Nous pensons à de nombreux jeunes soldats ukrainiens ; pensons aux habitants, aux jeunes, aux garçons, aux filles… Cela se passe près de chez nous.
L’Evangile nous demande seulement de ne pas détourner le regard, ce qui est précisément l’attitude la plus païenne des chrétiens : le chrétien, lorsqu’il s’habitue à détourner le regard, devient peu à peu un païen déguisé en chrétien. C’est pourquoi j’ai voulu commencer par ceci, par cette réflexion. La guerre n’est pas loin : elle est à nos portes. Ce que je fais? Ici à Rome, au « Bambino Gesù » (hôpital pédiatrique du Vatican, ndlr), il y a des enfants blessés par les bombardements. Chez eux, ils les ramènent chez eux. Pardon? Est-ce que je jeûne ? Est-ce que je fais pénitence ? Ou est-ce que je vis insouciant, comme nous vivons normalement des guerres lointaines ? Une guerre toujours – toujours ! – est la défaite de l’humanité, toujours. Nous, cultivés, qui travaillons dans l’éducation, sommes vaincus par cette guerre, car d’un côté nous en sommes responsables. Il n’y a pas de guerres justes : elles n’existent pas !
Chers amis,
Je vous souhaite la bienvenue à tous ceux qui participent au Congrès international « Éduquer à la démocratie dans un monde fragmenté », promu par la Fondation pontificale Gravissimum Educationis.
Je remercie le Cardinal Versaldi pour ses propos introductifs et je suis reconnaissant à chacun d’entre vous d’avoir apporté la richesse de votre contexte culturel, de votre secteur professionnel et de recherche. Votre rencontre porte sur le thème de la démocratie dans une perspective éducative. Un thème très actuel, et aussi très débattu. Mais ce n’est certainement pas souvent qu’il soit abordé sous l’angle de l’éducation. Au contraire, cette approche, qui appartient de manière particulière à la tradition de l’Église, est la seule capable de donner des résultats à long terme.
Je voudrais vous proposer une brève réflexion à partir de la Parole que le Seigneur nous adresse dans l’Évangile de la liturgie d’aujourd’hui, c’est-à-dire la parabole des vignerons homicides (Mt 21, 33-43.45-46). Jésus met en garde contre une tentation qui appartient à tous et à tous les temps : la tentation de la possession. Les vignerons de la parabole, aveuglés par le désir de s’emparer de la vigne, n’hésitent pas à recourir à la violence et à tuer. Cela nous rappelle que lorsque l’homme renie sa vocation de collaborateur à l’œuvre de Dieu et prétend se mettre à sa place, il perd la dignité de fils et devient l’ennemi de ses frères. Il se transforme en Caïn.
Les biens de la création sont offerts à chacun en proportion de ses besoins, afin que personne n’accumule le superflu ni que personne ne manque du nécessaire. Inversement, lorsque la possession égoïste remplit les cœurs, les relations et les structures politiques et sociales, alors l’essence de la démocratie est empoisonnée. Et cela devient une démocratie formelle, pas une vraie.
Je m’attarde sur deux dégénérescences : le totalitarisme et le sécularisme. Ce sont des dégénérescences de la démocratie.
Saint Jean-Paul II a souligné qu’un État est totalitaire quand « il tend à absorber la nation, la société, la famille, les communautés religieuses et le peuple lui-même » (Enc. Centesimus annus, 45). En exerçant une oppression idéologique, l’État totalitaire vide de valeur les droits fondamentaux de la personne et de la société, au point de supprimer la liberté. C’est une oppression idéologique, et on peut parler des colonisations idéologiques, qui continuent et nous y conduisent.
Le sécularisme radical, idéologique à son tour, déforme l’esprit démocratique de façon plus subtile et sournoise : en éliminant la dimension transcendante, elle affaiblit, et peu à peu annule, toute ouverture au dialogue. S’il n’y a pas de vérité ultime, les idées et les croyances humaines peuvent facilement être exploitées à des fins de pouvoir. « L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain », disait Benoît XVI (Enc. Caritas in veritate, 78). Et voilà la différence, petite mais substantielle, entre une laïcité saine et une laïcité empoisonnée. Quand la laïcité devient idéologie, elle se transforme en laïcité, et cela empoisonne les relations et même les démocraties.
A ces dégénérescences, vous avez opposé le pouvoir transformateur de l’éducation. Dans certaines universités du monde, par exemple, vous avez lancé des activités de formation, à la recherche des stratégies les plus efficaces pour transmettre les principes démocratiques, pour éduquer à la démocratie. Je vous invite à poursuivre dans cette voie et je partage quelques propositions, que je confie à vous tous, engagés dans les différents domaines.