Dans le monde de l’entreprise, « la véritable richesse, ce sont les personnes : sans elles, il n’y a pas de communauté de travail, pas d’entreprise, pas d’économie ». C’est ce qu’a déclaré le pape François lors d’une audience avec les membres de l’Association nationale (italienne) du bâtiment, ce jeudi 20 janvier 2022.
Le pape François a rencontré le groupe d’entrepreneurs dans la Salle Clémentine du Palais du Vatican. S’inspirant de l’évangile de saint Luc, dans lequel Jésus compare celui qui écoute sa parole à un homme qui a construit sa maison sur le roc, le pape leur a proposé une « lecture chrétienne » de leurs valeurs : « concurrence et transparence, responsabilité et durabilité, éthique, légalité et sécurité ».
« L’année dernière, trop de personnes sont mortes au travail. Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des personnes », a insisté le pape, mettant en garde contre « l’hypothèse erronée » qui consiste à considérer la sécurité sur le lieu de travail comme « un coût ». « La légalité, a-t-il affirmé, doit être considérée comme la protection du patrimoine le plus élevé, à savoir les personnes ».
Evoquant la durabilité des paysages urbains et leur impact sur la vie des populations locales, le pape a souligné l’importance de faire participer celles-ci « à l’analyse de la planification urbaine » et de s’assurer la contribution des autres disciplines concernées. « Il ne suffit pas de rechercher la beauté dans le projet » a-t-il dit, mais surtout de « servir un autre type de beauté : la qualité de la vie des personnes, l’harmonie avec leur environnement, leur rencontre et leur entraide ».
Voici notre traduction du discours du pape François.
Discours du pape François (Texte entier)
Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue !
Je remercie le Président pour ses mots de salutation. Je vous souhaite la bienvenue à l’occasion de votre 75e anniversaire, célébré ces derniers mois ; c’est une occasion de faire mémoire d’une histoire qui remonte à l’après-guerre en Italie. L’Association Nationale du Bâtiment a été fondée en 1946 en tant qu’association entrepreneuriale représentant des entreprises italiennes de toutes tailles opérant dans le secteur de la construction.
Je pense que c’est un moment difficile pour votre secteur aussi. Et en ces temps, il est important de s’appuyer sur les motivations, les choix fondamentaux. Pour ma part, je voudrais partager avec vous quelques enseignements de l’Évangile, qui peuvent vous aider dans votre travail. Il s’agit d’une lecture chrétienne des valeurs qui vous inspirent : concurrence et transparence ; responsabilité et durabilité ; éthique, légalité et sécurité.
L’Évangile témoigne que, dans sa prédication, Jésus a également utilisé la métaphore de la construction pour transmettre ses messages. C’est le cas, par exemple, au chapitre 6 de l’Évangile de Luc (v. 46-49), où, entre autres, Jésus démasque le comportement hypocrite et paresseux de ceux qui se contentent de parler au lieu d’agir. Faisant preuve de la sagesse de l’ingénieur en bâtiment, il compare les charlatans à ceux qui construisent des maisons sur un sol sablonneux, sans fondations. Bien sûr, Jésus ne pense pas à de grands édifices, mais il fait remarquer que ces constructions sont bâties au bord du fleuve, alors que le bon constructeur sait qu’à la première crue, une telle maison est destinée à être emportée.
Mais sa parabole se poursuit avec le revers de la médaille : « Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique […] ressemble à celui qui construit une maison, il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc » (v. 47-48). L’image est encore plus intéressante si l’on pense que ce constructeur n’a pas seulement fait ce qu’il fallait dans le moment présent, mais qu’il a aussi protégé la maison contre d’éventuelles inondations futures. On pourrait dire : mais cela n’est jamais arrivé ! Oui, mais cela pourrait arriver. C’est ce que nous constatons aujourd’hui avec le changement climatique : il se passe des choses qui ne se sont jamais produites auparavant.
Dans la prédication de Jésus, le croyant est celui qui ne se contente pas d’apparaître comme un chrétien de l’extérieur, mais qui agit réellement en chrétien. Et c’est précisément cette « cohérence opérationnelle » qui lui permet de se construire non seulement dans les moments normaux de la vie, mais de rester lui-même dans les moments difficiles. Cela signifie aussi que la foi ne nous protège pas des intempéries, mais, accompagnée de bonnes œuvres, elle nous fortifie et nous rend capables d’y résister. Et c’est précisément dans ce sens que les valeurs qui inspirent votre adhésion à l’Association doivent être préservées et incarnées au quotidien.
Concurrence et transparence. La concurrence seule ne suffit pas. Dans la logique utilitaire du marché, elle peut conduire à l’opposition au point d’éliminer l’autre. Elle fait croire que l’on peut gagner contre l’autre ou que la défaite de l’autre doit être prise en compte dans l’économie. Lorsque cela se produit, cela sape le tissu social de confiance qui permet au marché lui-même de fonctionner correctement. La concurrence doit être une incitation à faire mieux et bien, et non une volonté de domination et d’exclusion. C’est pourquoi la transparence des processus décisionnels et des choix économiques est essentielle. Concurrence et transparence ensemble. Cela permet d’éviter la concurrence déloyale qui, dans le domaine économique et du travail, se traduit souvent par des pertes d’emplois, le soutien au travail non déclaré ou au travail sous-payé. Cela finit par favoriser des formes de corruption qui se nourrissent de l’obscurité de l’illégalité et de l’injustice. Et ce n’est pas le bon chemin : c’est un chemin qui est malade et qui n’est pas bon.
Responsabilité et durabilité. Jamais nous n’avons autant entendu parler de durabilité : cela remet en question la capacité de régénération de tous les écosystèmes. Dans le secteur du bâtiment, il est essentiel d’utiliser des matériaux qui offrent la sécurité aux personnes. En même temps, nous devons éviter d’exploiter l’environnement en coopérant pour rendre inhabitables certains territoires particulièrement exploités. Chaque entreprise peut contribuer de manière responsable à rendre le travail durable.
En outre, la durabilité est liée à la beauté des lieux et à la qualité des relations. Je voudrais ici reprendre une réflexion de l’encyclique Laudato si’ sur la relation entre les espaces urbains et le comportement humain : « Ceux qui conçoivent les bâtiments, les quartiers, les espaces publics et les villes ont besoin de la contribution de différentes disciplines pour comprendre les processus, le symbolisme et le comportement des personnes. Il ne suffit pas de rechercher la beauté dans le projet, car il est encore plus précieux de servir un autre type de beauté : la qualité de la vie des personnes, l’harmonie avec leur environnement, leur rencontre et leur entraide. C’est aussi pourquoi il est si important que les points de vue des populations locales contribuent toujours à l’analyse de la planification urbaine » (n° 150). Puisse votre travail aider les communautés à renforcer les liens de solidarité, de coopération et d’entraide.
Éthique, légalité et sécurité. L’année dernière, trop de personnes sont mortes au travail. Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des personnes. Même les chantiers de construction ont connu des tragédies que nous ne pouvons ignorer. Malheureusement, si nous considérons la sécurité sur le lieu de travail comme un coût, nous partons d’une hypothèse erronée. Les personnes sont la vraie richesse. Cela me rappelle ce qui s’est passé lors de la construction de la tour de Babel. A cette époque, les briques étaient difficiles à fabriquer, car il fallait prendre la paille, l’herbe, puis faire la masse, cuire, un travail énorme. Une brique coûtait, je ne dirai pas une fortune, mais ça coûtait de l’argent. Si une brique tombait pendant la construction de la tour, c’était une tragédie, et l’ouvrier qui en était responsable était puni. Mais si un travailleur tombait, rien ne se passait. Cela doit nous faire réfléchir ! La véritable richesse, ce sont les personnes : sans elles, il n’y a pas de communauté de travail, pas d’entreprise, pas d’économie. La sécurité sur le lieu de travail signifie la sauvegarde des ressources humaines, qui ont une valeur inestimable aux yeux de Dieu et aussi aux yeux du véritable entrepreneur. C’est pourquoi la légalité doit être considérée comme la protection du patrimoine le plus élevé, à savoir les personnes. Travailler en toute sécurité permet à chacun d’exprimer le meilleur de soi tout en gagnant son pain quotidien. Plus nous prenons soin de la dignité du travail, plus nous sommes certains que la qualité et la beauté du travail effectué augmenteront.
Que saint Joseph, patron des travailleurs, vous soutienne dans vos efforts. Moi aussi, je vous accompagne de mes prières et de ma bénédiction. Et je vous demande de poursuivre ce que le Président a dit : de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat