« L’archevêque de Paris s’est perdu par amour du Christ ! »: Mgr Michel Aupetit, archevêque émérite de Paris (France) a présidé une messe d’au-revoir à son diocèse et d’action de grâce dans une église Saint-Sulpice comble où l’on a refusé des entrées: plus de 2 000 personnes étaient venues dans le froid et le vent ce 10 décembre 2021, parfois de grande banlieue, et spécialement de Nanterre où Mgr Aupetit a été évêque
De très nombreux prêtres et des évêques de toute la région d’île de France, pas seulement les évêques auxiliaires de Paris, et d’ailleurs, comme l’évêque de Versailles, Mgr Luc Crepy, l’évêque aux Armées, Mgr Antoine de Romanet, Mgr Jean-Yves Riocreux, ancien évêque de Pontoise et évêque émérite de Basse-Terre, en Guadeloupe, Mgr Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais…
Les applaudissements ont crépité spontanément, ce qui est inhabituel pour les liturgies parisiennes, dès la procession d’entrée, tandis que d’un doigt sur les lèvres Mgr Aupetit faisait signe de ne pas applaudir.
Mgr Aupetit a été accueilli par Mgr Georges Pontier, administrateur apostolique du diocèse de Paris en attendant la nomination d’un évêque à Paris.
Reprenant le titre d’une journaliste, Mgr Aupetit a témoigné de son amour du Christ : « Une journaliste a écrit : « L’archevêque de Paris s’est perdu par amour ». C’est vrai ! C’est vrai ! Mais elle a oublié la fin de la phrase ! [Applaudissements, l’archevêque fait « non » de la main comme pour empêcher les applaudissements qui continuent] La phrase complète, c’est : « L’archevêque de Paris s’est perdu par amour du Christ ! » Hier ! [Applaudissements, l’archevêque fait « non » de la main comme pour empêcher les applaudissements qui continuent] Hier, j’ai perdu ma vie par amour du Christ quand je suis entré au séminaire. Aujourd’hui, je perds ma vie par amour du Christ ! Demain, je perdrai encore ma vie par amour du Christ. Car je me souviens de cette parole du Seigneur : « Celui qui perd sa vie à cause de moi, celui-là la sauvegardera ». [Applaudissements, l’archevêque fait un signe de la main comme pour arrêter les applaudissements qui continuent]. »
L’archevêque venait de citer toutes les situations où, dans les Evangiles, le Christ a pris des « risques » pour rencontrer tel ou tel et sauver ceux qu’il rencontrait.
Plus loin, l’archevêque décline « l’alphabet divin » et conclut: « Devant le mystère du mal et de la haine, devant nos incompréhensions, la colère des injustices, il n’y a pas d’autre remède, pas d’autre remède, que d’aller jusqu’à la lettre « Z ». Prenant sans cesse pour référence le Christ lui-même, Mgr Aupetit explique: « La lettre « Z », je crois, consiste à aimer ses ennemis comme le fit Jésus. »
L’archevêque commentait l’évangile de la messe du vendredi 10 décembre 2021.
On peut écouter l’intégrale de l’homélie sur la chaîne YouTube de Kto, entre 22’13 et 34’24.
Voici notre transcription des paroles de Mgr Aupetit.
Homélie de Mgr Aupetit
Quelle lucidité du Seigneur sur la condition humaine toujours insatisfaite ! Jean-Baptiste est un ascète, et on le traite de possédé. Jésus mange et bois et c’est un glouton et un ivrogne. Mais quelle est donc l’explication de ce cœur partagé ? Quelle compréhension de cette frustration permanente de notre humanité ? Eh bien Jésus ne répond pas à cette question. Il se contente de parler de la sagesse de Dieu. Cette sagesse de Dieu qui va désigner Jean-Baptiste comme le plus grand des enfants des hommes. Et qui va le désigner, lui, Jésus, comme son Fils bien-aimé.
C’est vrai que nous essayons souvent de plaire aux hommes. En essayant de dépasser leurs contradictions. En particulier quand il s’agit de gagner leur suffrage comme on le voit en ce moment pour la future élection présidentielle. Eh bien ce n’est pas ce que fit Jésus. Jésus n’est pas un politique qui essayerait de naviguer habilement entre les membres de la famille des grands prêtres, les Saducéens, et puis les Pharisiens rigoureux et légalistes. S’il avait été politique, il s’en serait mieux sorti. Non ! Jésus est libre. L’amour rend libre.
L’amour rend libre, mais l’amour fait prendre des risques. Risque d’aller manger chez les pécheurs : chez Zachée, chez Matthieu et sa bande… Pourquoi ce risque ? Pour les sauver. Risque de se laisser laver les pieds par une femme de mauvaise vie, chez un notable. Pourquoi ? Pour la sauver. Risque de révéler son identité divine en pardonnant à un paralytique qui ne venait que pour être guéri. Pourquoi ? Pour le sauver. Risque de parler à une femme, seul à seule, une étrangère, une Samaritaine. Pourquoi ? Pour la sauver, elle et son peuple. Risque d’ouvrir le Ciel à un brigand crucifié à ses côtés. Pourquoi ? Pour le sauver.
C’est un scandale ! Ah oui c’est un scandale dites-vous. Mais oui, mais l’amour est un risque, un risque permanent.
Si nous restons barricadés dans les principes de précaution spirituelle la question sera de savoir si nous aimons vraiment, si nous aimons comme Jésus.
Une journaliste a écrit : « L’archevêque de Paris s’est perdu par amour ». C’est vrai ! C’est vrai ! Mais elle a oublié la fin de la phrase ! [Applaudissements, l’archevêque fait « non » de la main comme pour empêcher les applaudissements qui continuent] La phrase complète c’est : « L’archevêque de Paris s’est perdu par amour du Christ ! » Hier ! [Applaudissements, l’archevêque fait « non » de la main comme pour empêcher les applaudissements qui continuent] Hier, j’ai perdu ma vie par amour du Christ quand je suis entré au séminaire. Aujourd’hui, je perds ma vie par amour du Christ ! Demain, je perdrai encore ma vie par amour du Christ. Car je me souviens de cette parole du Seigneur : « Celui qui perd sa vie à cause de moi, celui-là la sauvegardera ». [Applaudissements, l’archevêque fait un signe de la main comme pour arrêter les applaudissements qui continuent]
L’amour, l’amour est ordonné au salut. Nous ne sommes là, nous tous qui sommes ordonnés, que pour manifester ce salut offert par Notre Seigneur Jésus Christ. Et nous devons prendre le risque d’aimer comme Jésus pour ouvrir tous nos frères au salut qu’il offre. Mais la seule question qui se pose c’est : Croyons-nous au salut ? Croyons-nous vraiment à la vie éternelle ? Sommes-nous persuadés que Dieu va venir, que Dieu va nous combler, que Dieu voit plus loin que nous ?
Les chrétiens, tous les chrétiens savent qu’ils ont un avenir, que leur vie ne finit pas dans le néant. La seule question : est-ce que j’ai la passion de l’éternité ? Quels sont mes rêves, mes horizons ? Serait-ce la réussite professionnelle, la carrière ? Un amour humain épanoui ? Une santé parfaite ? Oh tout cela, ce sont des bonnes choses en effet, mais nous le savons – il suffit de regarder le monde -, bien peu de gens y accèdent finalement. Et puis ceux qui y accèdent eh bien se trouvent confrontés ultimement à cette question de la mort qui nous fait poser nécessairement la question : à quoi bon ? A quoi bon ?
Mais ce goût d’inachevé nous ouvre à une espérance : le Christ a suivi notre chemin. Il est descendu, jusque dans le Royaume de la mort, et l’a vaincue. Ce messie attendu -mais décevant pour ceux qui l’attendaient seulement pour ce monde-ci -, a fait resplendir sa résurrection, nous a ouvert un avenir, nous fait entrer dans l’éternité. Avec lui s’est ouvert un passage et c’est cette espérance qui est la caractéristique des croyants. Mais cette espérance ne nous fait pas fuir le monde, au contraire. Loin de nous dégager du monde, elle nous stimule, elle nous encourage à construire ici-bas, un monde juste et fraternel. Car la vie sur terre est un « prologue », un temps donné pour apprendre l’ « alphabet divin ».
J’aime beaucoup ce mot d’ « alphabet divin » parce qu’il n’est pas de moi : il est de Mgr Favreau* qui m’a précédé dans le diocèse de Nanterre. Il disait que notre vie sur la terre consiste à « apprendre l’alphabet divin ». Et l’alphabet divin, c’est l’alphabet de l’amour. Eh oui, en réfléchissant à ce beau mot, de mon anté-prédécesseur à Nanterre**, je me dis au fond qu’il faut l’apprendre tout entier cet alphabet. Eh oui, parce que… commençons par la lettre A.
La lettre A, eh bien, je dirais c’est l’amour de soi. Mais cela va de soi ! Qui d’entre nous ne s’aime pas ? Sinon, s’il possède une pathologie comme la dépression… mais tout le monde s’aime [soi-même]. Première lettre, « A » : « Je m’aime ».
Deuxième : « B ». Ah, « B » c’est peut-être l’amour de nos parents quand nous sommes aimés par eux depuis la naissance. Spontanément, naturellement, cet amour nous vient.
« C » ! Ah, la lettre « C », c’est quand on élargit son amour sans doute à ceux qui vont plus loin, à nos amis par exemple. Vous voyez que dans cet alphabet, l’A,B,C est accessible à tous. Mais dans un alphabet, il faut aller jusqu’au bout : A, B, C, D… Z ! C’est quoi la lettre « Z » ? Il faudra, frères et sœur, aller jusqu’à la lettre « Z » et la lettre « Z », je crois, consiste à aimer ses ennemis comme le fit Jésus.
Devant le mystère du mal et de la haine, devant nos incompréhensions, la colère des injustices, il n’y a pas d’autre remède, pas d’autre remède, que d’aller jusqu’à la lettre « Z ». Et de demander à Dieu de toutes ses forces d’aimer comme Jésus, d’aimer ses ennemis. Sinon, c’est que nous ne le suivons pas.
Et ce qui permet de comprendre les mots de cet alphabet, c’est d’écrire une page d’Evangile , eh bien, c’est l’amour de Dieu qui nous permet de tout comprendre, de tout saisir et de le vivre.
Vous voyez, frères et sœurs, on se méprend souvent sur ce qu’est une vie réussie ou une vie ratée. Une vie réussie, c’est l’accomplissement de cet apprentissage de l’alphabet divin qui nous prépare à la vie, à la vie en abondance, celle pour laquelle j’ai donné personnellement ma vie au Christ et à son Eglise. Et que j’ai prise d’ailleurs comme devise épiscopale, que l’on trouve dans l’Evangile de saint Jean, dans la bouche de Jésus : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, la vie ne abondance », pas la vie étriquée, la vie ne abondance, celle où l’on a appris jusqu’au bout l’alphabet divin.
Nous attendons le retour du Christ et nous sommes dans le Temps de l’Avent, mais le retour du Christ achèvera toute chose dans l’amour.
Il y a deux mille ans, hélas, certains n’ont pas reconnu le Messie qu’ils attendaient. Nous, frères et sœurs et chers amis, ne fuyons pas sa présence, ne ratons pas son retour. Il vient au cœur du monde, au cœur du peuple de Dieu, au creuset de la foi des fidèles. Ceux-là qui manifestent par leur baptême le Royaume « déjà là », comme les personnes consacrées témoignent par leur vie du Royaume à venir. Et nous, prêtres, ministres ordonnés, diacres, évêques, nous ne sommes là qu’au service, au service pour faire advenir et transmettre les dons de Dieu qui permettent de le vivre.
Oui, je le crois, c’est dans le secret de tous les cœurs que Dieu vient au monde et c’est là que je l’ai découvert. Dans le cœur des plus faibles, des personnes vulnérables, des pauvres, j’ai reconnu la présence du Seigneur. Je le reconnais dans chacun de vous qui ouvrez vos cœurs à la présence de Dieu, ici, maintenant. Puissions-nous le vivre vraiment et nous aider les uns les autres à le vivre ensemble.
*Mgr François Favreau (15 nov. 1929-7 sept. 2021), évêque de Nanterre de 1983 à 2002.
**Le prédécesseur immédiat de Mgr Aupetit à Nanterre a été Mgr Gérard Daucourt, né en 1941 et qui a été évêque de Nanterre de 1991 à 2013.