Pour empêcher que les migrants ne soient « instrumentalisés à l’intérieur des conflits géopolitiques », il faut « des lieux où l’on met au centre » leurs visages, leurs histoires, leurs chants, leurs prières et leur art. C’est ce qu’a affirmé une fois encore le pape François en accueillant une délégation du « Festival interculturel » de Giàvera del Montello (Italie du Nord), le 27 novembre 2021.
Le pape François a reçu en audience les participants et les organisateurs de ce « Festival « dans la Salle Clémentine du palais pontifical du Vatican.
Il s’est félicité que cette initiative soit le fruit « d’une expérience de coexistence » et non « d’un projet idéologique ».
Le pape a encouragé ses hôtes à « faire circuler » leurs expériences « dans le tissu social, pour contribuer à diffuser une culture de l’accueil » et à les mettre « à la disposition de la bonne politique » afin d’aider ceux qui ont des responsabilités de gouvernement à tous les niveaux. Il les a également invités à s’interroger sur l’impact impact de leurs activités « sur le plan des choix politiques » et sur la capacité à dialoguer « avec les institutions et avec la société civile ».
Lancé en 1996 à Giàvera, commune italienne de la province de Trévise, dans la région de la Vénétie, ce festival annuel rassemble aujourd’hui plus de 40 associations et organismes au service des migrants.
Voici notre traduction du discours prononcé par le pape François en italien.
Discours du pape François
Chers frères et sœurs,
Je vous remercie de m’avoir fait connaître l’expérience de votre Festival, entre autres à travers les paroles de Don Bruno que je remercie de tout cœur, mais surtout par votre présence, avec vos visages. Soyez les bienvenus !
J’ai été frappé en lisant la liste des associations et des groupes de migrants qui participent à cette initiative et qui la font vivre : on voit que cette maison, dont parlait Don Bruno, votre maison d’accueil, est une maison avec de nombreuses fenêtres ouvertes sur le monde ! Et c’est ainsi que le Festival Giàvera est devenu un carrefour, un lieu de rencontre, de dialogue, de connaissance mutuelle. Et également un lieu où partager l’espérance, le rêve d’un monde plus fraternel.
Il est beau et très significatif que votre Festival soit né et renaisse toujours à partir d’une expérience de cohabitation. Il n’est pas né autour d’une table, sur la base d’un projet idéologique, mais à partir de journées, de mois, d’années de partage avec les migrants. Avec leurs histoires, avec leurs problèmes, et surtout avec le bagage de leur humanité, de leurs traditions, de leur culture, de leur foi…
Et puis – cela, oui – votre initiative est née de votre volonté de faire connaître l’expérience vécue, de la faire circuler dans le tissu social, pour contribuer à diffuser une culture de l’accueil. Une culture de l’accueil contre la culture du rejet. C’est si nécessaire ! Parce que la réalité des migrations à notre époque revêt des caractéristiques qui peuvent parfois effrayer. Objectivement, ce phénomène est très complexe et, malheureusement, il y a des groupes criminels qui en profitent ; les migrants risquent d’être instrumentalisés à l’intérieur des conflits géopolitiques. Ils cessent alors d’être des personnes et deviennent des numéros. C’est pourquoi il est plus que jamais nécessaire d’avoir des lieux où l’on met au centre les visages, les histoires, les chants, les prières et l’art des migrants.
Ce matin, j’ai reçu le premier ministre de l’Albanie. Il m’a dit que la première Constitution en Albanie – cela remonte à cent ans en arrière, il y a cent ans ? – il disait que tu devais ouvrir à celui qui frappait à ta porte, parce que c’était Dieu. Et c’est de là que vient l’humanité des Albanais lorsqu’ils reçoivent les migrants. Cette idée m’a touché : celui qui frappe à ta porte, c’est Dieu. Ouvre-lui et laisse-lui ta place.
Cette manière de vivre la réalité des migrations ne veut pas dire cacher ou ignorer les difficultés et les problèmes. Qui mieux que vous les connaît et peut en témoigner ? Il est donc important que vos expériences soit également mises à la disposition de la bonne politique, pour aider ceux qui ont des responsabilités de gouvernement au niveau local, national ou international à faire des choix qui sachent toujours unir un sain réalisme au respect de la dignité des personnes. J’ai vu l’un des tableaux que vous avez apportés, sur les tortures que subissent les migrants lorsqu’ils sont pris par les trafiquants. Et cela se passe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas fermer les yeux ! La dignité des personnes. C’est pourquoi votre Festival, comme d’autres initiatives analogues en Italie et dans différents pays, ne doit pas se réduire à une manifestation folklorique ou à un rassemblement d’idéalistes. Non ! Je le dis aussi pour susciter une réflexion et une vérification pour vous-mêmes. Nous pouvons nous interroger, après trente ans : notre expérience a-t-elle réussi, et dans quelle mesure, à avoir un impact sur le plan des choix politiques, en dialoguant avec les institutions et avec la société civile ? Il me semble important de se poser cette question.
Chers amis, avec vous, je remercie surtout le Seigneur pour le chemin qu’il vous a donné de réaliser pendant ces années à travers l’expérience du Festival. Je vous souhaite de continuer avec un esprit toujours renouvelé. Je vous propose de prendre pour modèle Abraham, que Dieu a appelé à partir et qui est resté un migrant toute sa vie. Abraham est un « père » que nous partageons, en tant que chrétiens, avec les juifs et les musulmans, mais c’est une figure dans laquelle peuvent se reconnaître tous les hommes et les femmes qui conçoivent la vie comme un voyage à la recherche de la Terre promise, terre de liberté et de paix où vivre ensemble, en frères.
Merci pour votre visite. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous protège ! Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat