Romilda Ferrauto et Elisebeth Beton Delègue © Vatican News

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Entretien avec Mme Beton-Delègue, ambassadrice de France près le Saint-Siège (1) 

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« Les rencontres font que l’on avance, que l’on se comprend mieux »

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« Les rencontres » : « c’est un fil » à travers toute la carrière de Mme Élisabeth Beton-Delègue, ambassadrice de France près le Saint-Siège depuis avril 2019. Les rencontres « font que l’on avance, que l’on se comprend mieux », affirme-t-elle : « Tout ceci c’est un peu banal, mais la diplomatie c’est aussi l’art de pratiquer les rencontres. Ces rencontres vous enrichissent autant qu’elles enrichissent les autres. »

Dans une longue interview accordée à une rédactrice en chef de la rédaction française de Zenit, Anita Bourdin, le 24 septembre 2021, Mme Beton-Delègue parle du soutien de la francophonie, de l’histoire des institutions françaises à Rome ainsi que de son travail de diplomate et de sa mission « spécifique » de l’ambassadrice près le Saint-Siège.

Voici la première partie de l’entretien avec Mme Beton-Delègue.

Comment définiriez-vous votre mission spécifique d’ambassadrice près le Saint-Siège par rapport à d’autres missions ?

C’est effectivement une mission tout à fait spécifique à la différence des postes dits bilatéraux puisque, ici, c’est avant tout une diplomatie d’influence que nous menons et non pas vis-à-vis d’un État, mais vis-à-vis d’une autorité spirituelle qui est l’Église universelle représentée par le Saint-Père. Donc il y a tout un pan des activités classiques qui n’existent pas : je n’ai rien à vendre, il n’y a pas de communauté française dans le périmètre de mon action, donc nous sommes vraiment, je le répète, dans une diplomatie d’influence et de contact, afin de mieux se connaître de part et d’autre. Sachant que cette ambassade est une ambassade qui oblige parce que c’est la plus ancienne représentation diplomatique de la France dans le monde. Pas dans ces lieux-là bien sûr, mais c’est avec le Saint-Siège – la papauté à l’époque – que nous avons démarré les relations diplomatiques, et je vous parle du quinzième siècle.

Quand vous avez remis vos lettres de créance au pape François en 2019, que souhaitiez-vous lui dire, que vous a-t-il dit ?

Tout d’abord, il faut savoir d’où je parle : je parle en tant que représentante de l’État français, de la France laïque et républicaine, donc en tout état de cause, surtout lors de la remise des lettres de créance – même si c’est un moment absolument unique de proximité immédiate avec le Saint-Père (je crois que c’est vraiment sa caractéristique) …

Nous avons évoqué des sujets que nous avons en commun : bien sûr toute la question de la transition écologique, qui évidemment renvoie à Laudato Si’. Le pape a été un précurseur d’une certaine façon pour théoriser et proposer des pistes : le texte va bien au-delà, je pense, du public des catholiques… Il y a des sujets relatifs à tout ce qui touche le maintien de la paix, puisque la France a, comme vous le savez, une diplomatie qui va au-delà de la défense de ses intérêts bilatéraux et qu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, nous sommes un acteur – ou nous étions peut-être étant donné les difficultés que rencontre aujourd’hui le multilatéralisme – donc dans les questions de crises régionales d’une part, les questions aussi de la régulation de la mondialisation, des questions de réduction des inégalités des droits de l’homme : ce sont des sujets que nous avons en partage, et qui sont tous aujourd’hui soumis à rude épreuve. C’était peut-être un peu moins vrai quand j’ai présenté mes lettres de créance en 2019, mais enfin on est déjà dans ce monde chaotique de désordre international avec des préoccupations qui sont importantes et la nécessité de travailler ensemble sur ce type de sujet. Quand je dis « ensemble », ce n’est pas uniquement la France, parce que la France c’est aussi l’Europe …

Voilà ce sont ces projets que l’on a abordés et qui reviennent d’ailleurs régulièrement lors des visites d’autorités françaises, que ce soient des membres du gouvernement, ou des parlementaires … C’est aussi très important que la représentation nationale française sente d’échanger, de communiquer, avec le Saint-Siège, de dialoguer avec lui.

Vous avez été en poste en Amérique latine… d’où vient le pape argentin… 

De l’Amérique latine, le Saint-Père a cette chaleur qui peut-être fait un peu défaut chez nous… Cela, c’est vraiment l’Amérique latine… Je pense peut-être – modestement – avoir un accès plus aisé aux modes de pensée du pape. Mais avec beaucoup d’humilité et de modestie. Mais ce qui m’a beaucoup plus servi dans mon parcours, c’est que c’est un parcours que j’ai fait à cent pour cent hors d’Europe : je n’ai jamais servi en Europe, c’est seulement ce poste-là qui m’amène en Europe. Mais j’ai servi en Afrique, j’ai servi au Moyen-Orient, en Éthiopie, en Amérique latine, et je crois avoir tiré de cette expérience de ce monde dit « polyédrique » comme le dit le Saint-Père et de cette mondialisation qui n’a pas les mêmes dimensions ni les mêmes impacts selon les pays, je crois que c’est plutôt cela qui m’a aidée.

Première femme ambassadrice de France près le Saint-Siège vous êtes aussi attentive à l’action des femmes dans la société, et vous venez de remettre les insignes d’officier de l’Ordre du mérite à Romilda Ferrauto…

Je crois que Romilda Ferrauto (consultante auprès de la Salle de presse du Saint-Siège et ancienne rédactrice en chef de la section francophone de Radio Vatican – réd.), comme elle l’a indiqué dans son discours, donc je la plagie, je dirais, c’est icône, au sens positif, au sens vrai de la parole, parce qu’elle a ouvert la voie, et parce qu’elle est un formidable vecteur justement de la francophonie, avec toute l’action de formation qu’elle a eu auprès des journalistes, avec le rôle qu’elle joue au dicastère de la communication, et avec cette capacité à avoir fait un parcours qui était tout sauf évident au Saint-Siège. À une époque où cela était extraordinaire et de l’avoir fait à fois avec pugnacité, mais aussi bienveillance, loyauté. Et je dois dire que la qualité aujourd’hui de toute la section francophone c’est aussi un peu le fruit de son travail et de son exemple. Voilà aussi un très beau vecteur de la francophonie !

On a un petit groupe de femmes journalistes, un groupe de femmes diplomates, ambassadrices près le Saint-Siège :  c’est très enrichissant. De même que les religieuses qui sont ici à Rome savent que non seulement je vais les visiter, mais qu’elles sont les bienvenues, qu’elles sont invitées, y compris avec les évêques durant les visites ad limina.

Le problème c’est plutôt la disponibilité parce que chacun, chacune a des emplois du temps très chargés, et des responsabilités très fortes que souvent on ignore, mais une supérieure générale de congrégation, je dirais que c’est, dans le langage du management, c’est une femme qui assume un leadership. Au même titre que quelqu’un qui tient une entreprise, c’est un capitaine, qui a des expériences de terrains totalement différents : il faut soutenir tout cela, trouver la cohérence, partager. Il y a là aussi beaucoup de gisements de créativité, de transversalité, de synodalité, comme dirait le pape François.

(à suivre)

 

Propos recueillis par Anita Bourdin

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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