Une foi qui, “avec le style de Dieu, humblement et sans clameurs, soulage la douleur du monde et irrigue de salut les sillons de l’histoire” et soit « riche de compassion »: c’est l’invitation du pape François au peuple slovaque, quelques heures avant de quitter le pays, ce 15 septembre 2021. Il a insisté sur “l’impatience avec laquelle Dieu veut atteindre tous les hommes pour les sauver par son amour”.
A la conclusion de son 34e voyage apostolique – Hongrie et Slovaquie – le pape s’est rendu au sanctuaire marial de Sastin, l’un des plus importants du pays, dédié à Notre Dame des Sept Douleurs, à quelque 70 kilomètres de la capitale Bratislava.
Le sanctuaire est né au XVIe siècle, depuis qu’on installa dans une chapelle de campagne une statue de la Vierge Marie en bois de poirier de la région, la représentant avec le Christ mort dans ses bras. Voulu par une noble qui demandait l’intercession de Marie pour son époux violent, devenu rapidement un lieu de prières et de guérisons, le sanctuaire fut confié aux pères paulins et s’agrandit au fil des siècles. Pie XI proclama Notre Dame des Douleurs patronne de la Slovaquie en 1927. Mère Teresa est venue y prier en 1987, et Jean-Paul II en 1995.
Sur l’immense esplanade champêtre du sanctuaire, quelque 60.000 personnes – selon les autorités locales – ont convergé, certains arrivés à 4h du matin, d’autres ayant dormi dans leur voiture. Arrivé un peu après 9h30, le pape a fait un long bain de foule en papamobile, puis s’est recueilli dans le sanctuaire.
Dans son homélie depuis le podium géant, au pied duquel un carré était réservé aux personnes handicapées, le pape a médité sur la figure de la Vierge Marie, qui “n’est pas restée immobile à se contempler elle-même entre les quatre murs de sa maison” mais “a senti l’exigence d’ouvrir la porte et de sortir”. Marie ne reste pas dans “la sécurité d’une religiosité paisible”, a-t-il ajouté.
Au terme de quatre jours de visite dans le pays – Bratislava, Kosice, Presov – le pape a salué la foi du peuple slovaque : “une foi qui se met en marche, toujours animée par une dévotion simple et sincère, toujours en pèlerinage à la recherche du Seigneur. Et, en marchant, vous surmontez la tentation d’une foi statique qui se contente de quelques rites ou de vieilles traditions”.
« N’oublions pas ceci, a exhorté le pape : on ne peut pas réduire la foi au sucre qui adoucit la vie… Devant Jésus, on ne peut rester tiède et “jouer sur les deux tableaux”. L’accueillir signifie accepter qu’il dévoile mes contradictions, mes idoles, les suggestions du mal ; et qu’il devienne pour moi la résurrection, celui qui toujours me relève, qui me prend par la main et me fait recommencer. »
Tout comme la Vierge des Douleurs « ne s’enfuit pas » de la croix, « n’utilise pas d’artifices humains ni d’anesthésiants spirituels pour échapper à la souffrance », ainsi le pape a encouragé les chrétiens de Slovaquie à « rester sous la croix », à être des “signes de contradiction” dans le monde et à défendre la vie « là où règnent des logiques de mort ».
C’était le dernier grand rendez-vous du pape, avant son retour à Rome prévu dans l’après-midi.
Homélie du pape François
Dans le Temple de Jérusalem, les bras de Marie se tendent vers ceux du vieux Siméon qui peut accueillir Jésus et le reconnaître comme le Messie envoyé pour le salut d’Israël. Dans cette scène, nous contemplons Marie : elle est la Mère qui nous donne son Fils Jésus. C’est pourquoi nous l’aimons et la vénérons. Et dans ce Sanctuaire national de Šaštin, le peuple slovaque accourt avec foi et dévotion parce qu’il sait que c’est elle qui nous donne Jésus. Dans le “logo” de ce Voyage Apostolique, on voit une route dessinée à l’intérieur d’un cœur surmonté de la Croix : Marie est la route qui nous introduit dans le Cœur du Christ qui a donné sa vie par amour pour nous.
A la lumière de l’Evangile que nous avons écouté, nous pouvons regarder Marie comme un modèle de foi. Et nous reconnaissons trois caractéristiques de la foi : la route, la prophétie, et la compassion.
Avant tout, la foi de Marie est une foi qui se met en route. La jeune fille de Nazareth, à peine reçue l’annonce de l’Ange, « se mit en route vers la région montagneuse » (Lc 1, 39), pour aller visiter et aider Elisabeth, sa cousine. Elle n’a pas considéré comme un privilège le fait d’avoir été appelée à devenir la Mère du Sauveur. Elle n’a pas perdu la joie simple de son humilité par le fait d’avoir reçu la visite de l’Ange. Elle n’est pas restée immobile à se contempler elle-même entre les quatre murs de sa maison. Au contraire, elle a vécu ce don reçu comme une mission à accomplir ; elle a senti l’exigence d’ouvrir la porte et de sortir de la maison ; elle a donné vie et corps à l’impatience avec laquelle Dieu veut atteindre tous les hommes pour les sauver par son amour. C’est pourquoi Marie se met en route : au confort des habitudes, elle préfère les incertitudes du voyage, à la tranquillité de la maison, la fatigue de la route, à la sécurité d’une religiosité paisible le risque d’une foi qui se met en jeu en se faisant don d’amour pour l’autre.
L’Evangile d’aujourd’hui nous fait aussi voir Marie en route : vers Jérusalem où, avec son époux Joseph, elle présente Jésus dans le Temple. Et toute sa vie sera une marche à la suite de son Fils, comme première disciple, jusqu’au Calvaire, au pied de la Croix. Marie marche toujours.
La Vierge est ainsi un modèle de la foi de ce peuple slovaque : une foi qui se met en marche, toujours animée par une dévotion simple et sincère, toujours en pèlerinage à la recherche du Seigneur. Et, en marchant, vous surmontez la tentation d’une foi statique qui se contente de quelques rites ou de vieilles traditions. Au contraire, vous sortez de vous-mêmes, vous portez dans vos sacs les joies et peines, et vous faites de la vie un pèlerinage d’amour vers Dieu et vers les frères. Merci pour ce témoignage ! Et s’il vous plaît, restez toujours en marche ! Ne vous arrêtez pas ! Et je voudrais encore ajouter une chose. J’ai dit : « ne vous arrêtez pas », mais quand l’Eglise s’arrête, elle tombe malade, quand les évêques s’arrêtent, ils rendent malade l’Eglise ; quand les prêtres s’arrêtent, ils rendent malade le peuple de Dieu.
La foi de Marie est une foi prophétique. Par sa vie, la jeune fille de Nazareth est une prophétie de l’œuvre de Dieu dans l’histoire, de son action miséricordieuse qui renverse les logiques du monde en élevant les humbles et en abaissant les superbes (cf. Lc 1, 52). Elle, représentante de tous les “pauvres de Jahweh” qui crient vers Dieu et attendent la venue du Messie, Marie est la Fille de Sion annoncée par les prophètes d’Israël (cf. So 3, 14-18). La Vierge concevra le Dieu avec nous, l’Emmanuel (cf. Is 7, 14). En tant que Vierge Immaculée, Marie est l’icône de notre vocation : comme elle, nous sommes appelés à être saints et immaculés dans l’amour (cf. Ep 1, 4), en devenant image du Christ.
La prophétie d’Israël culmine en Marie parce qu’elle porte dans ses entrailles la Parole de Dieu faite chair, Jésus qui réalise pleinement et définitivement le dessein de Dieu. Siméon dit à la Mère le concernant : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction » (Lc 2, 34).
N’oublions pas ceci : on ne peut pas réduire la foi au sucre qui adoucit la vie. On ne le peut pas. Jésus est un signe de contradiction. Il est venu apporter la lumière là où il y a les ténèbres, en faisant sortir les ténèbres à découvert et les contraignant à se rendre. C’est pourquoi les ténèbres luttent toujours contre lui. Celui qui accueille le Christ et s’ouvre à lui ressuscite ; celui qui le refuse s’enferme dans l’obscurité et se détruit lui-même. Jésus a dit à ses disciples qu’il n’était pas venu apporter la paix, mais un glaive (cf. Mt 10,34) : en effet, sa Parole, comme un glaive à deux tranchants, entre dans notre vie et sépare la lumière des ténèbres en nous demandant de choisir. Il nous dit : « Choisis ». Devant Jésus, on ne peut rester tiède et “jouer sur les deux tableaux”. Non ce n’est pas possible. L’accueillir signifie accepter qu’il dévoile mes contradictions, mes idoles, les suggestions du mal ; et qu’il devienne pour moi la résurrection, celui qui toujours me relève, qui me prend par la main et me fait recommencer. Il me relève toujours.
C’est vraiment de ces prophètes qu’a besoin la Slovaquie encore aujourd’hui. Vous évêques : prophètes qui marchez sur cette voie. Il ne s’agit pas d’être hostiles au monde, mais d’être des “signes de contradiction” dans le monde. Des chrétiens qui sachent montrer, par leur vie, la beauté de l’Evangile ; qui soient des tisseurs de dialogue là où les positions se durcissent ; qui fassent resplendir la vie fraternelle là où, souvent dans la société, on se divise et on est hostile ; des chrétiens qui répandent le bon parfum de l’accueil et de la solidarité, là où prévalent souvent les égoïsmes personnels, les égoïsmes collectifs ; qui protègent et préservent la vie là où règnent des logiques de mort.
Marie, Mère du chemin, se met en route; Marie, Mère de la prophétie ; enfin, Marie est la Mère de la compassion. Sa foi est compatissante. Celle qui s’est définie “la servante du Seigneur” (cf. Lc 1, 38) et qui, avec une sollicitude maternelle, s’est préoccupée de ne pas faire manquer de vin aux noces de Cana (cf. Jn 2, 1-12), a partagé avec son Fils la mission du salut jusqu’au pied de la Croix. A ce moment-là, dans la douleur déchirante vécue au Calvaire, elle a compris la prophétie de Siméon : « Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive » (Lc 2, 35). La souffrance du Fils mourant qui prenait sur lui les péchés et les souffrances de l’humanité l’a transpercée elle aussi. Jésus déchiré dans sa chair, Homme des douleurs défiguré par le mal (cf. Is 53, 3) ; Marie, déchirée dans son âme, Mère compatissante qui recueille nos larmes et nous console en même temps, en nous montrant dans le Christ la victoire définitive.
Et la Vierge des Douleurs, sous la croix, reste simplement. Elle est sous la croix. Elle ne s’enfuit pas, ne tente pas de se sauver elle-même, elle n’utilise pas d’artifices humains ni d’anesthésiants spirituels pour échapper à la souffrance. C’est l’épreuve de la compassion : rester sous la croix. Rester le visage baigné de larmes, mais avec la foi de celle qui sait qu’en son Fils, Dieu transforme la douleur et triomphe de la mort.
Et nous aussi, en regardant la Vierge, Mère des Douleurs, nous nous ouvrons à une foi qui se fait compassion, qui devient partage de la vie avec ceux qui sont blessés, avec ceux qui souffrent et ceux qui sont obligés de porter de lourdes croix sur leurs épaules. Une foi qui ne demeure pas abstraite, mais qui nous fait entrer dans la chair et nous rend solidaire avec ceux qui sont dans le besoin. Cette foi, avec le style de Dieu, humblement et sans clameurs, allège la douleur du monde et irrigue de salut les sillons de l’histoire.
Chers frères et sœurs, que le Seigneur vous garde toujours dans l’émerveillement, vous conserve la gratitude pour le don de la foi ! Et que la Vierge Marie très sainte vous obtienne la grâce que votre foi demeure toujours en marche, qu’elle ait le souffle de la prophétie et qu’elle soit une foi riche de compassion.
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