Rencontre avec les Roms à Lunik IX, Kosice, Slovaquie © Vatican Media

Rencontre avec les Roms à Lunik IX, Kosice, Slovaquie © Vatican Media

Roms de Slovaquie : le pape dans le ghetto Lunik IX

« Sentez-vous toujours chez vous dans l’Eglise »

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« Sentez-vous toujours chez vous dans l’Eglise et n’ayez pas peur d’y habiter », a lancé le pape François aux Roms du ghetto Lunik IX de Kosice, en Slovaquie. Il a invité à « passer des préjugés au dialogue, des fermetures à l’intégration ».

Au troisième jour de son voyage apostolique dans le pays ce 14 septembre 2021, le pape a passé une demi-heure dans le quartier de cette ville de l’Est du pays, où réside une large communauté rom d’environ 4300 personnes. Un quartier ghettoïsé, connu pour les conditions misérables de ses infrastructures de base telles que l’eau, le gaz, le chauffage…

Depuis un centre inauguré par les franciscains en 2012, le pape a fustigé particulièrement les jugements : « Ne jugez pas, nous dit le Christ. Combien de fois, au contraire, non seulement nous parlons sans savoir ou par ouï-dire, mais nous nous estimons le droit de nous faire les juges rigoureux des autres. Indulgents envers nous-mêmes, inflexibles envers les autres. »

Il a encouragé la mission des religieux au service de l’intégration des Roms, notamment par l’éducation et l’aide à l’emploi : « Là où l’on prend soin de la personne, là où il y a un travail pastoral, là où il y a patience et réalisme, les fruits arrivent. Pas tout de suite, avec le temps, mais ils arrivent ». Le centre dirigé par le père Peter Besenyei comprend un gymnase, un espace d’accueil des groupes, et une église.

Après le témoignage d’un Rom d’une soixantaine d’années et d’une jeune famille, le pape a invité « à dépasser les peurs, à dépasser les blessures du passé, avec confiance, pas à pas » et à faire des « choix courageux » pour que les enfants mènent « une vie intègre et libre ».

« N’ayez pas peur de sortir à la rencontre de ceux qui sont marginalisés, a-t-il poursuivi. Vous vous apercevrez que vous sortez à la rencontre de Jésus. Il vous attend là où il y a de la fragilité et non pas du confort; là où il y a du service, et non pas du pouvoir; là où il faut s’incarner et non pas se complaire. C’est là, qu’il est. »

« Mettre les personnes dans un ghetto ne résout rien, a aussi déclaré le pape, déplorant les « stéréotypes discriminatoires » et les « paroles et gestes diffamatoires » dont sont victimes les Roms : « Avec cela, nous sommes tous devenus plus pauvres, pauvres en humanité. »

En souvenir de cette visite, les franciscains et les volontaires ont offert au pape une représentation du Christ Ressuscité, auquel est dédié l’église du lieu.

Salutations du pape François

Chers frères et soeurs, bon après-midi !

Je vous remercie pour votre accueil et pour vos affectueuses paroles. Ján a rappelé ce que vous disait saint Paul VI : « Vous, dans l’Eglise, vous n’êtes pas en marge, … Vous êtes dans le coeur de l’Eglise » (Homélie, 26 septembre 1965). Personne dans l’Eglise ne doit se sentir comme n’étant pas à sa place ou mis de côté. Ce n’est pas seulement une manière de dire, c’est la façon d’être de l’Eglise. Parce qu’être Église, c’est vivre en tant que convoqués par Dieu, c’est se sentir responsable dans la vie, faire partie de la même équipe. Oui, parce que Dieu nous désire ainsi : chacun différent mais tous unis autour de lui. Le Seigneur nous voit ensemble.

Et il nous voit en fils : il a un regard de Père, regard de prédilection pour chaque enfant. Si j’accueille ce regard sur moi, j’apprends à bien voir les autres : je découvre qu’il y a auprès de moi d’autres fils de Dieu et je les reconnais comme frères. Telle est l’Eglise, une famille de frères et soeurs ayant un même Père qui nous a donné Jésus comme frère, afin que nous comprenions combien il aime la fraternité. Et il veut que l’humanité entière devienne une famille universelle. Vous nourrissez un grand amour et un grand respect pour votre famille, et vous regardez l’Eglise à partir de cette expérience. Oui, l’Eglise est une maison, elle est votre maison. C’est pourquoi je voudrais vous dire de tout coeur que vous êtes les bienvenus. Sentez-vous toujours chez vous dans l’Eglise et n’ayez pas peur d’y habiter. Que personne ne vous laisse, vous ou quelqu’un d’autre, en dehors de l’Eglise !

Ján, vous m’avez salué avec votre femme Béata : ensemble, vous avez fait passer le rêve de la famille avant vos grandes diversités d’origine, d’us et coutumes. Plus que beaucoup de paroles, c’est votre mariage qui témoigne de la manière combien la réalité de vivre ensemble peut faire tomber beaucoup de stéréotypes qui autrement sembleraient insurmontables. Il n’est pas facile d’aller au-delà des préjugés, même chez les chrétiens. Il n’est pas facile d’apprécier les autres : souvent on voit en eux des obstacles ou des adversaires et on porte des jugements sans connaître leur visage ni leur histoire.

Mais écoutons ce que dit Jésus dans l’Evangile : « Ne jugez pas » (Mt 7, 1). L’Evangile ne doit pas être édulcoré, il ne doit pas être dilué. Ne jugez pas, nous dit le Christ. Combien de fois, au contraire, non seulement nous parlons sans savoir ou par ouï-dire, mais nous nous estimons le droit quand nous nous faisons les juges rigoureux des autres. Indulgents envers nous-mêmes, inflexibles envers les autres. Combien de fois les jugements ne sont en réalité que des préjugés, combien de fois ne cataloguons-nous pas ! C’est défigurer par des paroles la beauté des enfants de Dieu, qui sont nos frères. On ne peut pas réduire la réalité de l’autre à nos modèles préfabriqués, on ne peut pas schématiser les personnes. Pour les connaître vraiment, il faut d’abord les reconnaître : reconnaître que chacun porte en soi la beauté irrépressible de fils de Dieu, dans lequel le Créateur se reflète.

Chers frères et soeurs, trop souvent, vous avez été objet de préjugés et de jugements impitoyables, de stéréotypes discriminatoires, de paroles et de gestes diffamatoires. Avec cela, nous sommes tous devenus plus pauvres, pauvres en humanité. Ce qu’il nous faut pour retrouver la dignité, c’est passer des préjugés au dialogue, des fermetures à l’intégration. Mais comment faire ? Nikola et René, vous nous avez aidés : votre histoire d’amour est née ici et a mûri grâce à la proximité et à l’encouragement que vous avez reçus. Vous vous êtes sentis responsabilisés et vous avez voulu un travail ; vous vous êtes sentis aimés et vous avez grandi avec le désir de donner quelque chose de plus à vos enfants.

Ainsi, vous nous avez donné un message précieux : là où l’on prend soin de la personne, là où il y a un travail pastoral, là où il y a patience et réalisme, les fruits arrivent. Pas tout de suite, avec le temps, mais ils arrivent. Les jugements et les préjugés ne font qu’augmenter les distances. Les oppositions et les paroles fortes n’aident pas. Mettre les personnes dans un ghetto ne résout rien. Quand on alimente la fermeture, tôt ou tard la colère s’enflamme. La voie vers une coexistence pacifique c’est l’intégration. Il s’agit d’un processus organique, lent et vital, qui commence par la connaissance réciproque, avance avec patience et regarde vers l’avenir. Et à qui appartient l’avenir ? Aux enfants. Ce sont eux qui nous guident : leurs grands rêves ne peuvent pas se briser contre nos barrières. Ils veulent grandir avec les autres, sans obstacles ni exclusions. Ils méritent une vie intègre et libre. Ce sont eux qui motivent des choix à long terme, ne recherchant pas le consensus immédiat, mais regardent le futur de chacun. Des choix courageux doivent être faits pour les enfants : pour leur dignité, pour leur éducation, pour qu’ils grandissent bien enracinés dans leurs origines, mais en même temps sans exclure aucune possibilité.

Je remercie ceux qui poursuivent ce travail d’intégration qui, outre les nombreux efforts requis, reçoivent aussi parfois incompréhension et ingratitude, peut-être même jusque dans l’Eglise. Chers prêtres, religieux et laïcs, chers amis qui consacrez votre temps à offrir un développement intégral à vos frères et soeurs, merci ! Merci pour tout le travail fait avec ceux qui sont marginalisés. Je pense aussi aux réfugiés et aux détenus. À eux en particulier, et à tout le monde carcéral, j’exprime ma proximité. Merci, abbé Peter, de nous avoir parlé des centres pastoraux où vous ne faites pas de l’assistanat social, mais de l’accompagnement personnel. Allez de l’avant sur cette voie qui ne donne pas l’illusion de pouvoir donner tout et tout de suite, mais qui est prophétique parce qu’elle inclut les derniers, construit la fraternité et sème la paix. N’ayez pas peur de sortir à la rencontre de ceux qui sont marginalisés. Vous vous apercevrez que vous sortez à la rencontre de Jésus. Il vous attend là où il y a de la fragilité et non pas du confort; là où il y a du service, et non pas du pouvoir; là où il faut s’incarner et non pas se complaire. C’est là, qu’il est.

Et je vous invite tous à dépasser les peurs, à dépasser les blessures du passé, avec confiance, pas à pas : dans le travail honnête, dans la dignité de gagner le pain quotidien, dans l’alimentation de la confiance réciproque. Et dans la prière les uns pour les autres, parce que c’est ce qui nous oriente et nous donne force. Je vous encourage, je vous bénis et je vous apporte l’étreinte de toute l’Eglise. Merci. Palikerav.

© Librairie éditrice du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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