Mgr Francesco Follo, 24 mars 2021, capture @ UNESCO

Mgr Francesco Follo, 24 mars 2021, capture @ UNESCO

« Ouvrir le cœur, pas seulement les oreilles », par Mgr Follo

Commentaire des lectures de dimanche prochain, 5 sept. 2021

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« Ouvrir le cœur, pas seulement les oreilles »: par cette formule lapidaire Mgr Francesco Follo résume le sens des lectures de la messe de dimanche prochain, 5 septembre 2021.

L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), exprime « le souhait que le Christ dise aussi à chacun de nous : « Effatà », qui signifie « Ouvre-toi ». Et comme pour le sourd muet, nos oreilles s’ouvriront. La guérison était pour lui, et ce sera pour nous aussi, une « ouverture » à Dieu, aux autres et au monde. »

Come lecture patristique, Mgr Follo propose un passage de saint Irénée de Lyon.

AB

 

Ouvrir le cœur, pas seulement les oreilles 

1 – Effatà : ouvre-toi.

Le passage de l’Évangile d’aujourd’hui parle d’un sourd-muet miraculé par Jésus, qui le guérit en disant « effatà », qui signifie : « ouvre-toi ». Voyons le contexte dans lequel ce mot est placé : Jésus traverse la région appelée « Décapole[1] », entre la côte de Tyr et Sidon et la Galilée ; donc une zone non-juive. On lui amène un homme sourd-muet pour le guérir. Le Christ le prend à part, lui touche les oreilles et la langue puis, regardant vers le ciel, avec un profond soupir il dit : « Effatà », ce qui signifie précisément : « Ouvre-toi ». Et aussitôt cet homme commence à entendre et à parler clairement (cf. Mc 7,35).

Voici donc le sens historique, littéral de ce mot : ce sourd-muet, grâce à l’intervention de Jésus, « s’ouvre » ; avant, il était fermé, isolé, il lui était très difficile de communiquer ; la guérison est pour lui une « ouverture » aux autres et au monde, une ouverture qui, à partir des organes auditifs et de la parole, engage toute sa personne et sa vie : enfin il peut communiquer et donc se rapporter d’une nouvelle manière. Ce fait nous rappelle que le Messie n’est pas uniquement venu pour guérir les maladies et les défauts physiques. Il est la Parole incarnée qui ne veut pas seulement guérir le peuple d’Israël qui – comme les Prophètes l’affirment – était un peuple dur d’oreille quand il s’agissait de la Parole de Dieu et de ce fait, dans l’incapacité de donner une vraie réponse.

Le Christ veut également guérir et parler à l’humanité entière ; le fait que le miracle du sourd-muet se déroule dans le territoire de la Décapole indique que le Christ est la Parole pour toute l’humanité et que le fait de ne pas écouter Dieu était (et est toujours) un péché dont l’humanité entière doit être sauvée. En outre, il faut garder à l’esprit que ce récit indique également que le salut apporté par Jésus est non seulement pour tout homme (universalité géographique) mais aussi pour tout l’homme, pour l’homme dans son intégrité (universalité anthropologique).

Jésus de Nazareth est le Rédempteur de toutes les « parties » du monde et de chaque « partie » dont l’homme est constitué, ainsi que de la partie qui, en nous, est encore païenne. Il est présent dans la Décapole que chacun abrite dans son cœur.

Il est vrai que Jésus œuvre au-delà du peuple d’Israël, accomplissant une action qui ouvre la révélation à toute l’humanité. Mais il est aussi vrai qu’il agit dans une terre païenne et on peut clairement dire qu’Il est présent partout, et qu’Il est également présent là où nous le croyons absent : Il est présent dans toutes les « terres païennes », dans toutes les situations entachées par le péché.

Jésus de Nazareth, Rédempteur de tout homme et de tout l’homme, prie afin de sauver. Avant d’accomplir le miracle du sourd-muet, le Fils de Dieu lève les yeux au ciel – le même geste qu’il avait accompli au moment de la multiplication des pains et des poissons (Mc 6,41) : le Fils de Dieu prie. Parfois, Jésus faisait des miracles par l’autorité de sa parole, on pourrait dire en son nom. De cette façon il montrait qu’il n’était pas seulement un prophète de Dieu mais qu’Il était également Dieu Lui-même. D’autres fois en revanche, comme c’est le cas dans la parabole du sourd-muet, Jésus a recours à la prière, pour nous apprendre que le salut est un don pur de la grâce de Dieu : un don qu’il faut demander et non pas prétendre avoir.

En tout cas, les miracles du Christ non sont jamais autoréférentiels ; ils sont des « signes » qui annoncent et inaugurent son royaume de vérité et d’amour. Ces signes contiennent ce que le Seigneur Jésus voudrait accomplir dans chacun de ses frères et sœurs. Ce que Jésus fit un jour pour une personne du point de vue physique indique ce qu’il veut faire tous les jours et pour chaque personne sur le plan spirituel. Le Christ touche le corps pour guérir l’esprit. L’homme guérit par le Christ était sourd-muet ; il ne pouvait pas communier avec les autres, écouter leur voix et exprimer ses sentiments et besoins. Si la surdi-mutité est caractérisée par l’incapacité à communiquer correctement avec le prochain, à avoir des relations claires et simples, bonnes et belles, alors on doit reconnaître que nous sommes tous –plus ou moins–des sourds-muets. C’est pour cela que Jésus adresse à tous son cri : « Effata, ouvre-toi !».

En fait, nous tous faisons l’expérience du fait que la fermeture de l’homme, son isolement, ne dépendent pas seulement des organes des sens. Il y a une fermeture intérieure, qui concerne le noyau profond de la personne, ce que la Bible appelle le « cœur ». C’est ce que Jésus est venu « ouvrir », libérer, pour nous permettre de vivre pleinement la relation avec Dieu et avec les autres. C’est pourquoi – à mon avis – ce petit mot « effatà – ouvrre-toi » résume en soi toute la mission du Christ. Il s’est fait homme pour que l’homme, rendu intérieur sourd et muet par le péché, devienne capable d’écouter la voix de Dieu, la voix de l’Amour qui parle à son cœur, et ainsi apprenne à parler à son tour le langage de l’amour, à communiquer avec Dieu et avec les autres.

De notre part il ne nous reste qu’à se laisser amener auprès du Seigneur et Lui demander de nous ouvrir les oreilles chaque jour afin que l’on puisse accueillir Sa Parole de vie, même quand elle nous semble déplaisante, même quand le bruit des créatures autour de nous et celui des passions en nous, nous assourdissent et nous empêchent d’entendre Sa voix.

2 – Le cœur guéri parle langue de l’amour

La première voix que ce miraculé a pu entendre est celle de Jésus. La première parole donnée à ce sourd a été : « Effata, ouvre-toi ! ». Et ainsi il put entendre la Parole de Dieu et l’accueillir car l’ouverture des oreilles implique la dilatation du cœur dans la joie ; joie non seulement d’être appelés mais surtout d’être réellement « fils ».

Quand dans le baptême nous devînmes fils dans le Fils, à nous aussi fut répétée la parole « Effata », c’est-à-dire « ouvre-toi », et de cette façon nous fûmes ouverts à la Parole de Dieu, au dialogue avec notre Dieu et Père.

Ecouter le Fils, Verbe de Dieu, nous fait comme Lui : fils. « L’amour fait ceci : il rend l’amant semblable à l’aimé » (Saint Alphonse de Liguori, L´art d’aimer Jésus-Christ). Si nous persévérons dans cette écoute, nous pouvons toujours parler avec amour. Si nous écoutons le Christ, nous serons de plus en plus capables de parler comme le Christ, de dire : Jésus. Si nous sommes ouverts au dialogue avec le Père, en restant ouverts à sa Parole, nous serons de plus en plus capables, par grâce, d’entendre ses consolations, les suggestions et les commandements amoureux de Dieu et de Lui répondre avec la prière et la vie.

Le cœur guéri écoute Dieu pour Le prier et communiquer son amour à l’humanité ; par Jésus nous apprenons que notre vie chrétienne dépend de la prière et de la charité. Il ne s’agit pas de parler du rapport entre contemplation et action. Je voudrais tout simplement rappeler qu’il ne faut pas se perdre dans l’activisme pur. Il faut aussi que, dans notre activité, nous nous laissions pénétrer par la lumière de la Parole de Dieu. De cette façon on apprend la vraie charité, le vrai service rendu à l’autre, qui n’a pas besoin de beaucoup de choses – il a sans doute besoin des choses nécessaires – mais il a surtout besoin de l’affection de notre cœur, de la lumière de Dieu. L’Eglise unit toujours le ministère de la vérité, en annonçant la Parole, avec le ministère de la charité.

Tous les Saints ont expérimenté une profonde unité de vie entre prière et action, entre l’amour total à Dieu et l’amour généreux pour les frères. Tous les Saints nous montrent qu’il est possible de prier partout, même dans un camp de concentration, comme a fait Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith Stein) et qu’il est aussi possible de faire le bien comme le fit Saint Maximilien Kolbe qui se porta volontaire pour mourir à la place d’un autre : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

Une façon plus normale, ce qui ne fait pas qu’elle n’en soit moins vraie, une façon, dirais-je de sainteté ordinaire, pour vivre cette union entre prière et action, est celle des vierges consacrées qui vivent dans le monde.

Pour elles, comme pour tous ceux qui sont consacrées, la vie de prière consiste à être habituellement et consciemment en présence de Dieu, de vivre en relation avec Dieu, à qui elles se sont données sans réserve.

Leur prière[2] coïncide avec leur vie, et leur vie est leur prière, vécue comme sacrifice quotidien de louange. Si les « grands » saints ont montré que l’on peut être prière et maison de prière dans le drame d’un camp de concentration ou d’une maladie grave, les Vierges consacrées montrent dans leur humilité que l’on peut être prière et temple de la prière dans la « banalité » du quotidien. Leur vie est semblable à une prière : on peut y reconnaître les cinq caractéristiques qu’une prière bien accomplie doit avoir : être sûre, droite, ordonnée, pieuse et humble[3]. Il s’agit des caractéristiques individuées par Saint Thomas d’Aquin, qui définissait la prière : « expression du désir que l’homme a de Dieu ».

Dans une attitude chaste et amoureuse, les vierges consacrées sont en constante écoute de la Parole de Dieu et parlent la Parole pure et chaste de Dieu. Cette parole pure est Parole de Vie qui parle aussi à notre vie intérieure de pécheurs ; elle introduit en nous la vie et la garde en nous. Ensuite, à travers nous, cette Parole de Vie est donnée au monde entier. Si l’on écoute cette Parole avec un cœur pur, elle passe à travers toute la souillure de notre langage humain, et arrive au prochain qui de cette façon est atteint par la Parole et transmet la vie en plénitude.

 

Lecture patristique

Saint Irénée (+ 200)

Contre les hérésies 4, 12, 1-2 (SC 100, 508-514)

La tradition des anciens, que les Juifs affectaient d’observer en vertu de la Loi, était contraire à la Loi de Moïse. Voilà pourquoi Isaïe dit: Tes marchands mêlent ton vin avec de l’eau (Is 1,22), montrant par-là que les anciens mêlaient à l’austère commandement de Dieu une tradition diluée, c’est-à-dire qu’ils ont instauré une loi altérée et contraire à la Loi. Le Seigneur l’a montré clairement quand il a dit: Pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition (Mt 15,3)? Ils ne se sont pas contentés de violer la Loi de Dieu par leur transgression, en mêlant le vin avec de l’eau, mais ils lui ont aussi opposé leur propre loi, qu’on appelle aujourd’hui encore la loi pharisaïque. Ils y omettent certaines choses, en ajoutent d’autres, et en interprètent d’autres à leur guise, toutes pratiques auxquelles se livrent notamment leurs docteurs.

 

Résolus à défendre ces traditions, ils ne se sont pas soumis à la Loi de Dieu qui les préparait à la venue du Christ. Ils ont même reproché au Christ de faire des guérisons le jour du sabbat. Cela, avons-nous dit, même la Loi ne l’interdisait pas, puisqu’elle guérissait d’une certaine façon en faisant circoncire l’homme le jour du sabbat. Cependant ils ne se reprochaient pas à eux-mêmes de transgresser le commandement de Dieu par leur tradition et leur loi pharisaïque, alors qu’il leur manquait l’essentiel de la Loi, à savoir l’amour de l’homme pour Dieu.

 

Cet amour est, en effet, le premier et le plus grand commandement, et l’amour du prochain est le second. Le Seigneur l’a enseigné quand il a dit que toute la Loi et les Prophètes dépendent de ces commandements (cf. Mt 22,36-40). Et lui-même n’est pas venu donner de commandement plus grand que celui-là. Mais il a renouvelé ce même commandement, en ordonnant à ses disciples d’aimer Dieu de tout leur coeur et leur prochain comme eux-mêmes. <>

 

Paul dit aussi: La charité est la Loi dans sa plénitude (Rm 13,10) et, quand tout le reste disparaît, la foi, l’espérance et la charité demeurent, mais la plus grande de toutes, c’est la charité (1Co 13,13). Ni la connaissance, ni la compréhension des mystères, ni la foi, ni la prophétie (cf. 1Co 13,2) ne servent à rien sans la charité envers Dieu. Si la charité fait défaut, tout est vain et inutile. C’est la charité qui rend l’homme parfait, et celui qui aime Dieu est parfait dans le monde présent et dans le monde à venir. Car nous ne cesserons jamais d’aimer Dieu, mais plus nous le contemplerons, plus nous l’aimerons.

 

[1] Décapole (du grec : δέκα (dix) πόλεις (villes)) était la dénomination utilisée pour un territoire composé par un groupe de dix villes situées près de la frontière orientale de l’Empire Romain, entre les actuels états de Jordanie, de Syrie et d’Israël. Elles ne constituaient pas un corps politique unitaire, mais à l’époque de la vie terrestre de Jésus, elles  étaient communément groupées sous la dénomination de Décapole à cause de leurs affinités linguistiques, culturelles et politiques. Elles étaient toutes des centres de culture grecque et romaine, donc païens.

[2] « Il est nécessaire de garder à l’esprit que la prière est une attitude intérieure, avant d’être une série de pratiques et de formules, une façon d’être face à Dieu avant d’accomplir des actes de culte ou de prononcer des paroles. La prière a son centre et plonge ses racines dans le plus profond de la personne » (Benoît XVI).

[3] 1. Sûre, parce qu’elles ont fait expérience de ce que Dieu dit dans le Psaume 91,15 : « Il m’appellera et je lui donnerai une réponse ».

2 Droite. Chaque prière doit être droite. Déjà Saint Jean Damascène enseignait que la prière est une « requête à Dieu de choses qui sont un bien pour nous ». C’est pour ceci que plusieurs fois la prière ne vient pas être exaucée : parce qu’on demande des choses qui ne sont pas un bien pour nous. Comme Saint Jean dit : « vous demandez, mais vous ne recevez rien» (Jc 4,3). Si de surcroît on demande au Seigneur les choses que lui-même nous a appris à demander, notre prière sera très droite. A ce propos, Saint Augustin disait : « S’il on veut prier de façon droite et convenable, qu’elle que soit la parole qu’on puisse utiliser, on ne doit demander que ce qui contenu dans la Prière du Seigneur.

3 Ordonnée. La prière doit être ordonnée, comme le désir doit être ordonné. En effet la prière est interprète du désir. Donc l’ordre juste veut que, tant dans le désir que dans la prière, on préfère les biens spirituels aux biens matériels et les biens du ciel à ceux de la terre. En effet, le Seigneur nous a prévenus : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné de surcroît» (Mt 6,33).

4 Pieuse. La prière doit être aussi pieuse, parce que l’abondance de la dévotion rend le sacrifice de l’oraison recevable et apprécié par Dieu, d’après ce qui nous dit le Psaume : « Toute ma vie je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom. Comme par un festin je serai rassasié ; la joie sur les lèvres, je dirai ta louange » (Ps 63, 5-6). En outre, la dévotion jaillit de la charité, c’est-à-dire de l’amour de Dieu et des autres.

5 Humble. La prière doit être humble parce que Dieu « se tournera vers la prière du nécessiteux, il n’aura pas méprisé sa prière» (Ps 102, 18). On peut aussi faire référence à la parabole du publicain et du pharisien (Lc 18, 10-14) et à la prière de Judith : « Mais tu es le Dieu des humbles, secours des opprimés» (Jdth 9,11).

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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