« Qu’on puisse un jour invoquer comme saint ce grand homme d’Eglise » : tel était le souhait du cardinal José Saraiva Martins, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, quand il a présidé l’ouverture de l’enquête diocésaine, le 22 novembre 2003, sur la vie, les vertus et l’œuvre d’Albino Luciani, le pape qui n’a régné que 33 jours, rapporte Stefania Falasca.
Le quotidien catholique « Avvenire » du 26 août 2021 publie un article de la journaliste vaticaniste italienne qui est vice-postulatrice de la cause de canonisation du pape Jean-Paul Ier. Elle fait le récit de la procédure lancée il y a presque 20 ans et dont le dossier final devrait bientôt aboutir sur le bureau du pape François.
HG
Voici notre traduction de l’article de Stefania Falasca
Le pape Luciani et le miracle
La Consultation médicale et du Congrès des théologiens a donné un feu vert unanime à la reconnaissance d’un miracle obtenu par l’intercession de Jean-Paul Ier. Le dernier avis revient à la session des cardinaux et des évêques qui se réunira en octobre. Le miracle concerne une petite fille qui était affectée d’une forme grave d’encéphalopathie, il y a dix ans.
Pour Jean-Paul Ier, le moment de la béatification approche. Le procès super miro (sur le miracle) touche à sa fin. Le pape Luciani est vénérable depuis 2017. Ouverte en novembre 2003, vingt-cinq ans après sa mort, la cause de canonisation s’est conclue en novembre 2017 avec le décret du pape François proclamant les vertus de Jean-Paul Ier.
La session inaugurale de l’enquête diocésaine avait eu lieu de manière solennelle en la cathédrale de Belluno, diocèse natal d’Albino Luciani, en présence du cardinal José Saraiva Martins, alors préfet de la Congrégation pour les causes des saints. Celui-ci avait souligné combien cette événement offrait la possibilité de connaître et approfondir la figure et l’œuvre de Luciani, « afin qu’on puisse un jour invoquer comme saint ce grand homme d’Eglise, de l’Eglise locale de Belluno jusqu’à l’Eglise universelle, en tant qu’évêque de Rome ».
Grâce à la cause, il a été en effet possible d’effectuer pour la première fois sur les sources un travail important du point de vue historique et historiographique et de rendre ainsi l’hommage dû à sa mémoire.
L’enquête diocésaine initiée le 22 novembre 2003, le procès diocésain s’est déroulé sur 203 sessions au cours desquelles – dans les sièges épiscopaux de Belluno, Vittorio Veneto, Venise et Rome – furent écoutés 167 témoins, tous de visu à l’exception d’un seul. Les travaux se sont terminés trois ans plus tard, le 10 novembre 2006 et les actes du procès diocésain, avec la documentation d’archives les concernant, furent transmis à la Congrégation pour les causes des saints.
Le 9 novembre 2007, après avoir examiné les actes en vue de leur validation, le Congrès ordinaire de la Congrégation releva diverses lacunes de la documentation, en particulier dans celle conservée aux Archives historiques du patriarcat de Venise et aux Archives de la Conférence épiscopale du Triveneto. La Congrégation demanda un supplément d’enquête et, le 13 juin 2008, un tribunal fut institué par l’évêque de Belluno-Feltre, Mgr Giuseppe Andrich, pour l’enquête diocésaine supplétive. Ce n’est qu’après l’obtention de ces documents d’archives, le 13 juin 2008, que fut reconnue par décret la validité formelle des actes de l’enquête diocésaine, principale et supplétive et que fut lancée la phase romaine du procès. Celle-ci prévoit avant tout la recherche nécessaire en vue de l’acquisition complète des documents sur le serviteur de Dieu, l’étude de nature historique et scientifique, l’examen de toutes les sources documentaires et des témoignages devant démontrer l’héroïcité de la vie et des vertus, et la réputation de sainteté du candidat aux honneurs des autels.
Ayant effectué cette recherche pour le compte du diocèse, j’ai ensuite été chargée de la rédaction de la positio pour laquelle, à partir de 2012, j’ai été assistée par un prêtre natif de Canale d’Agordo, Davide Fiocco, théologien et enseignant en patrologie. Le père Vincenzo Criscuolo, rapporteur général de la Congrégation pour les causes des saints, poursuivit le travail entrepris en tant que rapporteur, demandant les approfondissements appropriés et les acquisitions supplémentaires nécessaires à la fois pour la partie documentaire et pour les témoignages.
L’ouverture tardive de la cause avait compromis l’acquisition de témoignages oculaires précieux, et avait également comporté une certaine dispersion du matériel documentaire qui nécessitait une recherche attentive. Entre 2008 et 2015, les dépositions hors-procès de 21 nouveaux témoins furent ajoutées aux actes, se référant particulièrement à la période du pontificat et à la mort de Jean-Paul Ier. Parmi celles-ci, le témoignage de Benoît XVI revêt une importance tout à fait exceptionnelle : c’est la première fois en effet qu’un pape donne un témoignage oculaire sur un autre pape. Outre la rédaction des actes rituels, à la lumière des nouvelles acquisitions documentaires, sur la base d’une enquête archivistique omnino plena qui a concerné plus de soixante-dix archives de trente lieux différents, avant tout les archives institutionnelles conservées dans les sièges où Luciani a vécu, de Belluno au Vatican, des efforts considérables ont également été déployés pour repérer et transcrire de manière critique des textes jusqu’alors inédits et pour inventorier toutes les publications signées d’Albino Luciano ou qui lui sont attribuées.
Le 16 octobre 2015, l’évêque de Belluno-Feltre nomma comme nouveau postulateur de la cause le cardinal Beniamino Stella, originaire du diocèse de Vittorio Veneto, qui avait été à l’époque orienté par Albino Luciani lui-même vers l’Académie ecclésiastique pontificale. Le 17 octobre 2016, avec la remise à la Congrégation de la positio, composée de cinq volumes représentant un ensemble de plus de trois mille six cent pages, se concluait le travail scientifique et rédactionnel de huit années et c’est alors que commença l’examen du jugement final par les organes de jugement de la Congrégation qui, selon la pratique, sont appelés à s’exprimer par vote lors de deux sessions d’examens : celle du Congrès des consulteurs théologiens et celle, ordinaire, des cardinaux et évêques. Le Congrès des théologiens a exprimé son avis positif unanime le 1er juin 2017 et la Session ordinaire des cardinaux et évêques a donné la même réponse le 3 novembre 2017 ; le 8 novembre, le pape François a rendu public le décret sur les vertus.
La même année, fin novembre, s’était également conclue l’enquête diocésaine instruite en 2016 dans le diocèse argentin de Buenos Aires, pour un cas de présumée guérison extraordinaire produite par l’intercession du pape Luciani en 2011, en faveur d’une petite fille affectée d’une forme grave d’encéphalopathie. Parvenu à la phase romaine, le cas a été porté à la discussion de la Consultation médicale le 31 octobre 2019, qui a établi à l’unanimité qu’il s’agissait d’une guérison scientifiquement inexplicable. Le 6 mai 2021, le Congrès des théologiens a exprimé positivement son jugement. Le dernier avis, celui de la Session des cardinaux et des théologiens, avec lequel se conclura la procédure judiciaire du procès super miro, est prévu pour octobre prochain. Une fois le miracle reconnu et sanctionné par décret papal, il ne restera plus qu’à fixer la date de la béatification.
Rappelons que le pontificat du pape Jean-Paul Ier a duré 33 jours.
Albino Luciani est né le 17 octobre 1912. Ordonné prêtre le 7 juillet 1935, il fut nommé évêque de Vittorio Veneto le 15 décembre 1958 et reçut l’ordination épiscopale le 27 décembre suivant.
Devenu patriarche de Venise le 15 décembre 1969 et créé cardinal en 1973, il fut élu pape le 26 août 1978. Il mourut 33 jours plus tard, le 28 septembre.