S. Dominique par Fra Angelico (v. 1437), retable, Pérouse, DP

S. Dominique par Fra Angelico (v. 1437), retable, Pérouse, DP

VIIIe centenaire: «Ce que saint Dominique n’est pas…»

Ni Inquisiteur, ni misogyne…

Share this Entry

« Ce que saint Dominique n’est pas »

Fête de saint Dominique, le dimanche 8 août 2021, VIIIe centenaire de sa naissance au Ciel (Bologne, le 6 août 1221)

Fr. Manuel Rivero O.P.

En ce mois d’août 2021, l’Ordre des prêcheurs et l’Église universelle fêtent le VIIIe centenaire de la naissance au Ciel de saint Dominique, entré dans la joie de son Seigneur le 6 août 1221.

À cette occasion, le pape François a envoyé le 24 mai 2021 une lettre au Maître de l’Ordre des prêcheurs, le frère Gérard Francisco Timoner O.P., en reconnaissance pour la mission accomplie par la Famille dominicaine[1].

Qui est saint Dominique ? Nombreux sont ceux qui connaissent saint François d’Assise avec son cantique à la création et ses stigmates. Les Exercices spirituels ont fait connaître saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus.  Devenue populaire pour sa voie d’enfance pour parvenir à la sainteté, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face est invoquée par les catholiques qui se souviennent des grâces promises par la carmélite de Lisieux, symbolisées par des pluies de pétales de roses.

Il n’en va pas de même pour saint Dominique, humble et effacé. Il arrive souvent que nous comprenions mieux une chose par l’évocation de son contraire. À l’exemple de la théologie négative qui met en lumière la grandeur du mystère de Dieu en décrivant ce que Dieu n’est pas, j’entreprends ici cette voie négative en soulignant ce que saint Dominique n’a pas été afin de mettre en lumière son charisme de prédicateur pour le salut des âmes.

Saint Dominique n’est pas un converti à la manière de saint Augustin (+430), attiré par des philosophies païennes ou de saint Ignace de Loyola (+1556), soldat peu porté aux dévotions. Saint Dominique est né vers 1170 dans une famille chrétienne. Façonné spirituellement par la miséricorde de sa mère, la bienheureuse Jeanne d’Aza, et par le courage de son père, Félix de Guzmán, Dominique a grandi dans la prière. C’est auprès de son oncle maternel, Gonzalo de Aza, archiprêtre à Gumiel de Izán, qu’il a appris à lire et à écrire à partir des Psaumes de la Bible. Avant de mourir entouré de ses frères, Dominique évoquera sa virginité, don de l’Esprit Saint.

Saint Dominique n’est pas un dilettante fantaisiste, guidé par les vents de la curiosité. Il prend au sérieux l’étude, source de connaissance, nourriture de l’âme et condition sine qua non pour bien servir son prochain.

Saint Dominique n’est pas un mystique « hors sol ». Habité par la miséricorde, il frémit devant la souffrance des hommes. Lors de ses études à Palencia, il vendra ses parchemins pour nourrir les victimes d’une famine. « Nous ne pouvons pas prier sur des peaux mortes alors que les hommes meurent de faim », s’exclamera-t-il.

Saint Dominique n’est pas un ermite qui fuit la rencontre des hommes. Chanoine à Osma, sous-prieur du chapitre, Dominique trouve sa joie dans la vie communautaire, la liturgie et l’annonce de l’Évangile.

Saint Dominique n’est pas un instable, vagabond irresponsable ; mais il a choisi la prédication itinérante à la manière des apôtres. Ses contemporains relèvent son équilibre et son égalité d’humeur.

Saint Dominique n’est pas un marginal, mal à l’aise avec l’institution. Il n’a pas de conflits avec son évêque ni avec l’Église. Deux grands évêques seront ses amis : Diègue, évêque d’Osma, et Foulque, ancien moine cistercien au Thoronet devenu évêque de Toulouse.  Tout au contraire, disciple de son évêque Diègue d’Acébès, il l’accompagne au Danemark dans les missions confiées par le roi de Castille. C’est au cours de ses voyages à travers l’Europe, que saint Dominique découvrira l’hérésie cathare à Toulouse. Disciple de son évêque, il prêchera à la manière des apôtres l’Évangile de Jésus, doux et humble de cœur, à la manière de l’époque, c’est-à-dire dans des débats contradictoires où saint Dominique apporte des arguments bibliques et philosophiques. L’étymologie grecque du mot cathare désigne la pureté. Les cathares se voulaient plus purs que les catholiques dans une vision dualiste ; il y avait, d’une part, le Dieu bon de l’esprit, et d’autre part, la matière et la sexualité qu’ils rejetaient comme mauvaises. Au nom de l’Incarnation du Fils de Dieu, né d’une femme, Marie, saint Dominique exaltait la dignité du corps humain ainsi que le mariage. Si pour les cathares, le ventre de la femme était le laboratoire de la reproduction du mal, pour saint Dominique, le sein de la femme représentait le sanctuaire de la vie et la source de grâce.

Saint Dominique n’est pas un inquisiteur. L’Inquisition date de 1231, dix ans après sa mort.

Saint Dominique n’est pas misogyne. Avant de fonder l’ordre des frères prêcheurs, il regroupe dès 1207 dans le sud de la France, à Prouilhe, près de Carcassonne, des femmes menacées par l’hérésie cathare qui deviendront les premières moniales dominicaines. La prédication des frères s’enracine ainsi dans la prière contemplative des sœurs. Loin d’estimer la présence des moniales comme un poids chronophage qui l’empêcherait d’accomplir sa mission face aux défis urgents, saint Dominique trouvera toujours une force spirituelle dans la prière des moniales, qui bénéficieront toujours de son affection et de son attention fraternelle. Il se plaisait à leur apporter de petits cadeaux comme des cuillers ou à partager un verre de vin pour fêter la beauté de la vocation religieuse.

Actif mais non activiste ou agité, saint Dominique se nourrit de la Parole de Dieu. Fra Angelico le montre en contemplation, la Bible sur ses genoux. Le patron des artistes choisit aussi de le représenter en prière au pied de la croix. « C’est dans le livre de la croix que Dominique apprit le chemin de la vie », chante une belle antienne dominicaine. Il consacrait le jour au salut du prochain par la prédication et la nuit à Dieu dans la prière à l’église.

Saint Dominique n’est pas non plus clérical. Des laïcs ont demandé à faire partie de la première communauté de Prouilhe. Un couple, Ermengarde-Godoline et de Sanche Gasc ont fait profession dans les mains de Dominique le 8 août 1207. Ils ont promis de se donner à la sainte prédication en communion avec les frères et les sœurs[2]. Aujourd’hui les laïcs dominicains sont plus de 150.000 dans le monde. Ils partagent le charisme dominicain de la prédication.

Saint Dominique n’est pas narcissique. Il ne se met pas en avant. La communion fraternelle est son idéal. Sa prédication naît dans le terreau de la vie communautaire. Il cherche la vérité dans la fraternité. Le gouvernement de l’Ordre se fera de manière démocratique : « Ce qui concerne tout le monde doit être décidé par tout le monde » (Code de Justinien, Droit romain). Il ne s’agit pas d’une vision politique mais théologale par les vertus de la foi, de l’espérance et de la charité. Chaque membre de la Famille dominicaine, habité par la grâce de l’Esprit Saint, participe aux décisions et aux missions.

Saint Dominique n’a pas laissé des prédications écrites qui pourraient devenir des modèles. Il n’a pas voulu non plus un « moule » spirituel dans lequel il faudrait rentrer pour devenir dominicain. Saint Dominique a laissé un esprit et une vision dynamique de l’histoire. Les chapitres généraux actualisent les Constitutions de l’Ordre pour répondre aux nouveaux besoins. Ce n’est pas la lettre écrite qui demeure mais l’Esprit Saint, la loi nouvelle du chrétien. C’est ainsi que l’Ordre des prêcheurs fait du neuf et de l’ancien, en prêtant une attention particulière à la jeunesse, à la base et aux nouvelles fondations. Les chapitres généraux comprendront de manière alternée des définiteurs, c’est-à-dire des frères de la base, et des prieurs provinciaux élus. L’expérience prouve que les chapitres des définiteurs sont ceux qui apportent le plus d’idées nouvelles et audacieuses pour la mission.

Saint Dominique n’est pas moralisateur. Il ne donne pas de sermons culpabilisants et ennuyeux. Invoqué comme prédicateur de la grâce. Miroir de la gloire de Dieu, il est tourné vers le Christ, regard qui se fait miroir. Regard sur le Christ en croix qui rayonne de la gloire de Dieu qui brille sur le visage du Christ : « Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur qui est Esprit » (2 Cor 3,18), écrit saint Paul.

Saint Dominique prêche par l’exemple et par la parole. Habité par l’amour de Dieu, il reflète à la manière d’un miroir la lumière et la beauté du Christ. La prédication de saint Dominique ressemble à un miroir qui manifeste la lumière du Christ ressuscité. Ceux qui écoutent son annonce de l’Évangile découvrent dans le Christ Jésus le sens de leur vie, la profondeur de leur mystère et leur vocation à la sainteté.

Sur les routes du Languedoc, avec son compagnon de voyage, le bienheureux frère Romée de Livia, saint Dominique priait mille Ave Maria par jour, en méditant l’Évangile selon saint Matthieu et les épîtres de saint Paul, qu’il portait avec lui au point de les connaître par cœur et par le cœur.

Éveillé par la Parole de Dieu, saint Dominique réveille les âmes engourdies, aveuglées et anesthésiées : « Éveille-toi, toi qui dors. Lève-toi d’entre les morts et sur toi luira le Christ » (Ep 5,14). L’âme ainsi illuminée devient belle. Les ténèbres s’estompent ; le Christ, « Soleil levant qui vient nous visiter » (Benedictus, Lc 1, 78-79), l’illumine. Il encourage et réjouit les pécheurs : « Il y a quelque chose de plus beau qu’un cœur pur, c’est un cœur purifié ».

Saint Dominique est représenté dans l’art portant le lys de la pureté de l’âme. Il rayonne de la lumière du Ressuscité. Si le péché rend opaque, la sainteté fait resplendir la gloire de Dieu.

Saint Dominique n’était pas un écrivain prolifique. Il arrive dans certaines Congrégations religieuses que le grand nombre d’écrits des fondateurs fatiguent les membres obligés de les étudier et de les commenter. Il n’en va pas de même pour saint Dominique. Il n’a laissé qu’une lettre aux moniales de Madrid et quelques phrases lumineuses qui dévoilent son âme. Chaque frère et chaque sœur représentent une lettre de saint Dominique. Saint Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, sur vos cœurs » (2 Cor 3, 3). Le père Étienne Vayssière parlait de la prédestination des frères et des sœurs dominicains en saint Dominique. Les membres de la Famille dominicaine sont des lettres écrites dans les cœurs avec l’Esprit Saint à la manière du charisme de saint Dominique. « La spiritualité de notre père saint Dominique est un jardin, large, joyeux et parfumé », enseignait sainte Catherine de Sienne.

Saint Dominique n’est pas timoré. Aux frères qui veulent rester sur place parce que peu nombreux, saint Dominique déclare : « Le grain entassé pourrit ; il fructifie lorsqu’il est dispersé ». Il les disperse dans plusieurs villes universitaires d’Europe avec la mission d’« étudier, prêcher et fonder un couvent ». C’était le 15 août 1217 à Toulouse.

Saint Dominique n’est pas narcissique ni paternaliste. Un maître réussit quand son disciple devient autonome et dépasse l’œuvre de son formateur. Saint Dominique renvoie toujours à la communauté et non à lui-même. Je me souviens de ce qu’un frère dominicain avait dit à l’occasion du départ vers le Seigneur de notre père maître des novices, le frère Jean-René Bouchet O.P. (+1987): « Il ne nous laisse pas orphelins car il nous a toujours renvoyés à la communauté et non à lui ».

Saint Dominique n’a pas développé le culte de la personnalité. Nous comprenons le comportement des frères qui se sont souciés fort peu de la qualité de sa sépulture à Bologne. Sur son lit de mort, saint Dominique a rappelé aux frères qui pleuraient à l’idée de perdre leur père spirituel : « Je vous serai plus utile après ma mort et je vous aiderai plus efficacement que pendant ma vie. ». Le Catéchisme de l’Église catholique a retenu cette phrase (n°956) qui fait penser à une déclaration semblable de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre. »

Ceux qui croient en Jésus ressuscité doivent se garder de dire deux choses : « c’est trop tard », « c’est fini », car il n’est jamais trop tard et rien n’est jamais fini.

À l’office des Complies, la Famille dominicaine chante l’antienne « O lumen Ecclesiae », « Lumière de l’Église », « predicator gratiae, nos iunge beatis », « prédicateur de la grâce fais-nous rejoindre les bienheureux ».

Oui, saint Dominique intercède pour nous : « Prédicateur de la grâce, fais-nous rejoindre les bienheureux ».

Saint-Denis (La Réunion), le 6 août 2021.

 

Share this Entry

Fr. Manuel Rivero, O.P.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel