« Je pratique une architecture aux pieds nus. Je l’ai appelée ainsi parce que, dans mon pays, les pauvres n’ont pas de chaussures. Ils travaillent, ils marchent, ils vivent pieds nus : j’ai compris que, si je voulais faire quelque chose d’utile pour eux, je devrais moi aussi enlever mes chaussures et adopter leur point de vue », explique Yasmeen Lari sur la page en ligne, en italien, du « Parmis des gentils », du Conseil pontifical de la culture. Un témoignage recueilli par Ylenia Romanazzi.
Yasmeen Lari est née à Dera Ghazi Khan, au Pakistan, en 1941 : après son adolescence passée à Lahore sous domination britannique, elle décide de faire des études d’architecture et de partir en Angleterre: « Quand j’ai commencé ma carrière, il n’y avait pas de femmes à des postes importants, non seulement au Pakistan ou dans l’architecture, mais en général ».
A l’âge de 23 ans, elle rentre dans sa ville natale et décide d’ouvrir son cabinet : Lari Associates. En 1980, elle fonde la Heritage Foundation of Pakistan, dans le but de protéger le patrimoine urbain du pays.
Plus tard, la réalisation du Pakistan State Oil House et du Finance Trade Center de Karachi font de Yasmeen une « starchitecte » ; dans le sillage des grands travaux, l’agenda de Yasmeen ne manquait pas de projets proches des plus pauvres : la construction de l’Anguri Bagh à Lahore, premier cas de logement social au Pakistan, est mémorable.
En 2005, un violent tremblement de terre frappe le Pakistan, provoquant la mort de 80 000 personnes et laissant 40 000 familles sans toit ; Yasmeen décide d’intervenir : « Je n’avais jamais travaillé avec des réfugiés, des personnes déplacées ou désespérées, qui avaient tout perdu. Ce fut une expérience sans précédent, mais aussi l’une des plus extraordinaires ».
Après le tremblement de terre de 2005, la Heritage Foundation s’est employée à apporter son aide dans d’autres tremblements de terre et dans des conflits internes au pays, donnant en même temps naissance à un véritable mouvement : « barefoot social architecture », l’architecture sociale aux pieds nus.
Le mérite de ce mouvement, dirigé par Lari, est d’avoir créé des programmes de formation pour des couches moins aisées de la population, tout en donnant les moyens de faire face à une production à petite échelle : chaque village s’est ainsi spécialisé dans la production de divers objets tels que le savon et les vases en céramique, donnant ainsi naissance à une classe d’ « entrepreneurs aux pieds nus ».
Le mérite de cette grande dame ne consiste pas seulement à avoir introduit une voix toute féminine dans le monde de l’architecture, mais d’avoir également fait de son métier une « construction de l’homme ». Que dire ? Chapeau, Mademoiselle Lari !
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat