Au terme de l’enquête sur les investissements financiers du Saint-Siège à Londres, dix personnes – dont le cardinal Angelo Becciu – sont inculpées dans un procès qui s’ouvrira le 27 juillet 2021. Vatican News donne une synthèse du rapport du promoteur de Justice du petit Etat, qui pointe du doigt des détournements de fonds, abus de pouvoir, fraudes, blanchiments, au sommet de la hiérarchie des finances vaticanes.
Tout aurait commencé par un investissement de la Secrétairerie d’Etat dans le fonds « Athena Capital Global Opportunities » de l’homme d’affaires italien Raffaele Mincione, entre juin 2013 et février 2014. Mincione est présenté au Vatican par Enrico Crasso, gérant du patrimoine de la Secrétairerie d’Etat, dénué d’expérience dans les investissements complexes. Le substitut est alors Mgr Angelo Becciu.
La Secrétairerie d’Etat emprunte au Credit Suisse 200 millions de dollars (168 millions d’euros) pour les investir dans le fonds de Mincione. Celui-ci destine une grande partie de la liquidité du Saint-Siège à des usages personnels dans des opérations « imprudemment et excessivement spéculatives ». Il l’emploie en particulier pour rembourser ses dettes avec la société ENASARCO, surestimant la valeur de l’immeuble de Londres qu’il vend au Saint-Siège à un prix « disproportionné » – alors que la Gendarmerie vaticane déconseille de se fier à Mincione.
Après quelques années, il s’avère clairement que l’opération est préjudiciable au Saint-Siège. Il faut « sauver ce qui peut encore l’être » et entrer en possession de l’immeuble. Les relations avec l’homme d’affaires Mincione se gâtent, notamment parce qu’il cesse de payer des dessous-de-table à Crasso et à un employé du Bureau administratif de la Secrétairerie d’Etat, Fabrizio Tirabassi, inculpé également. Ce dernier est aussi soupçonné d’avoir livré des informations sur la vie privée des administrateurs du Vatican.
C’est alors que le financier italien Gianluigi Torzi entre en scène, mettant sur pied une opération dans laquelle la Secrétairerie d’Etat débourse 40 millions de livres sterling (46 millions d’euros) pour acquérir l’immeuble. Mais Torzi, qui est en réalité de connivence avec Mincione, garde le contrôle décisionnaire sur l’immobilier grâce à des complices au sein du Saint-Siège et grâce à la collaboration de l’avocat italien Nicola Squillace.
A son arrivée en octobre 2018, le nouveau Substitut de la Secrétairerie d’Etat Mgr Edgar Peña Parra est informé d’une partie de cette nouvelle opération. Mais ni lui, ni le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin n’étaient au courant des effets juridiques du contrat qui est signé « rapidement » le 22 novembre 2018. Un mois plus tard, Mgr Peña Parra apprend son contenu réel : de faux documents lui avaient été présentés.
Le représentant du Saint-Siège ayant signé le contrat, Mgr Alberto Perlasca, est éloigné et remplacé par Mgr Mauro Carlino – cité à comparaître pour extorsion – ancien secrétaire du cardinal Becciu. Suivent alors de longues tractations pour sortir de cette « opération absurde » qui laissait à Torzi les pleins-pouvoirs, y compris dans les finances vaticanes.
En mai 2019, un accord est trouvé, restituant l’immeuble au Saint-Siège en échange de 15 millions d’euros. Ce nouveau paiement est justifié par un faux de Tirabassi, altérant le contrat officiel de 2018 en ajoutant une reconnaissance de dette de 3% en faveur de Torzi.
Au sein de l’Autorité d’information financière du Vatican (AIF), son président René Brülhart et son directeur Tommaso Di Ruzza sont accusés d’avoir « dissimulé les anomalies de l’opération de Londres », en donnant un « semblant de crédibilité » à « un paiement que tous savaient indu », par de fausses factures.
La figure du cardinal Becciu n’intervient que dans un deuxième temps lors de l’enquête : en mai 2020, comme préfet de la Congrégation pour les causes des saints, il promeut deux offres de rachats de l’immeuble à plus de 340 millions d’euros par l’étude Fenton Whelan, et par la BP Development Real Estate Corporation. L’une de ces offres mêle une société obscure créée par un ex-parlementaire italien, Giancarlo Innocenzi Botti, et le diplomate Giovanni Castellaneta.
Le cardinal Becciu aurait également tenté de convaincre Mgr Perlasca de rétracter ses déclarations aux magistrats, pour lui éviter la prison. Des initiatives du prélat qualifiées « d’interférences » dans le rapport. Les enquêteurs pointent du doigt l’abus de pouvoir dont il a fait preuve au début de l’affaire, autorisant l’utilisation de l’argent du Denier de Saint-Pierre pour les opérations spéculatives de Mincione.
Le cardinal est également accusé d’avoir fait financer par le Vatican et par la Conférence épiscopale italienne une coopérative de son frère Antonino. Des fonds qui n’ont pas été utilisés à des fins caritatives comme convenu, mais qui ont servi à des achats immobiliers pour un neveu du cardinal.
Enfin, le rôle de la gestionnaire italienne Cecilia Marogna est mis en lumière après une dénonciation de la Police slovène sur des mouvements suspects dans les comptes de la société Logsic Humanitarne Dejavosti lui appartenant : des versements de la Secrétairerie d’Etat à hauteur de 575.000 euros auraient été utilisés en articles de mode et hôtels de luxe. Dans une interview à Rai Report, Cecilia Marogna a affirmé avoir reçu cette somme pour des activités de renseignement confiées par le substitut Becciu. Et ce dernier affirme que les versements constituaient une rançon pour la libération d’une religieuse prise en otage.