Cardinal Nzapalainga

Cardinal Nzapalainga

« Tant qu’ils n’ont pas tiré sur le véhicule, j’avance », entretien avec le cardinal Nzapalainga

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« Même si tu es pauvre, tu peux rêver et grandir »

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« J’ai parfois avancé en voiture au milieu de rafales de balles, avec une seule conviction : ‘Tant qu’ils n’ont pas tiré sur le véhicule, j’avance.’ Je peux rencontrer la mort, mais j’y vais au nom du Seigneur », affirme le cardinal Dieudonné Nzapalainga dans cet entretien à Zenit.

« Mon rôle, écrit le cardinal centrafricain à l’occasion de la sortie d’un livre-autobiographique, c’est d’aller à la rencontre de ceux dont on pense qu’ils sont ‘tout-puissants’, à la rencontre des violents, et de parler à leur coeur. Il faut que je désarme leur coeur, leurs mains. »

Le cardinal évoque aussi ses origines simples, assurant que « même si tu es pauvre, tu peux rêver et grandir » : « J’ai écrit ce livre pour dire que les pauvres ne sont pas condamnés ni exclus. Le cri des pauvres ne reste pas en l’air, le Seigneur entend. Je demande à tous ceux qui sont en marge de ne pas baisser les bras, de continuer à croire… Je veux dire à ceux qui sont rejetés, abandonnés : accroche-toi, c’est possible, Dieu peut te remettre sur tes deux pieds. »

Zenit – Vous vous désignez comme le « fils d’un pauvre »… qu’est-ce que cela signifie ?

Cardinal Dieudonné Nzapalainga – Ce qui compte ce n’est pas le titre, c’est ce qu’on a dans le coeur. Je suis le fils d’un pauvre, je viens d’un pays pauvre, et venant d’un tel pays, ça ne sert à rien de singer un « grand monsieur ». Il faut rester à sa place. Je viens de chez les plus pauvres, je fais partie de ces pauvres et je suis leur porte-parole. C’est un combat perpétuel avec soi-même, on peut être très vite grisé par les honneurs… mais je n’ai pas de garde du corps, pas de chauffeur, quand il y a une roue à changer je le fais… Je revendique cette simplicité pour que les pauvres aient accès à moi.

Quelle est la mission d’un cardinal de l’Afrique auprès de l’Eglise et du pape ?

Il y a une masse qui est au bord de la route, vais-je fermer les yeux ? Vais-je fermer la bouche ? Vais-je fermer les oreilles ? Non, je parle au nom de ceux-là, afin que le regard s’oriente vers eux, vers cette Afrique-là. Je suis là pour dire « le Seigneur appelle aussi ces pauvres-là à sa table » : c’est le sens que je donne à ma place de cardinal. En tant que conseiller du pape, je me dois de faire remonter l’information, mais aussi de dénoncer certaines situations – ce qui ne plaît pas à certains qui aiment leur confort et ne veulent pas en changer.

Vous vous rendez souvent sur les lieux brûlants, afin de désamorcer la haine. Comment ne pas être contaminé par la violence ?

Je sais que dans toutes les situations de violence, le Seigneur est là, il me précède. Lorsque je vais sur un lieu d’attaque, je dis toujours que je pars à Jérusalem. Tout peut arriver, mais je pars, parce qu’il y a mon frère, ma soeur, qui sont en danger. Ma présence peut empêcher d’autres morts. Mon rôle, c’est d’aller à la rencontre de ceux dont on pense qu’ils sont « tout-puissants », à la rencontre des violents, et de parler à leur coeur. Il faut que je désarme leur coeur, leurs mains, pour qu’ils ne s’en prennent pas aux tout-petits. J’ai parfois avancé en voiture au milieu de rafales de balles, avec une seule conviction : « Tant qu’ils n’ont pas tiré sur le véhicule, j’avance. » Je peux rencontrer la mort, mais j’y vais au nom du Seigneur.

Quel message souhaitez-vous faire passer dans ce livre ?

« Même si tu es pauvre, tu peux rêver et grandir ». Moi j’ai rêvé tout petit de devenir prêtre, je le suis devenu. Dans ma famille, on marchait pieds-nus, mes parents n’avaient pas les moyens de payer la scolarité, mais je n’ai pas considéré ce handicap comme un frein qui devait m’empêcher de grandir… Aujourd’hui je crée des écoles dans les villages, pour donner leur chance aux enfants qui pensent qu’ils ne feront jamais rien d’autre que nettoyer les chaussures… non, je veux qu’ils étudient, et peut-être qu’un médecin sortira de là. J’ai écrit ce livre pour dire que les pauvres ne sont pas condamnés ni exclus. Le cri des pauvres ne reste pas en l’air, le Seigneur entend. Je demande à tous ceux qui sont en marge de ne pas baisser les bras, de continuer à croire, de continuer à prier : croyez que le Seigneur a un projet pour vous, et que si vous vous y disposez de tout votre coeur, de votre volonté, et que vous travaillez ardemment, vous arriverez à réaliser votre rêve. Je veux dire à ceux qui sont rejetés, abandonnés : accroche-toi, c’est possible, Dieu peut te remettre sur tes deux pieds.

Vous avez vécu dix ans en France, notamment à Marseille. Que gardez-vous de vos missions ? 

Ces missions ont fait de moi ce que je suis. J’ai eu des moments difficiles. Je viens d’un pays d’Afrique où on a du respect pour les aînés, et comme jeune prêtre j’ai dû enseigner la culture religieuse à des classes où des jeunes lançaient des cailloux dès que j’avais le dos tourné, où certains se battaient. Je passais 50 minutes à faire la discipline. Que d’énergie ! Vous sortez, vous êtes vidé de vous-même, vous vous demandez « Suis-je à ma place ? Que fais-je ici ? Est-ce que je ne pourrais pas partir ailleurs ? » Non, c’est là où le Seigneur t’attend. Et je trouve la réponse en allant auprès du Saint-Sacrement, là où je pleure, je dépose mes angoisses, mes inquiétudes, mes interrogations, mes incompréhensions, tout ce que j’ai enduré… J’y puisais mes forces pour ensuite repartir vers les enfants difficiles, à l’image de la société qui les a rejetés, qui ne les écoute pas.

Vous avez aussi accueilli le pape en Centrafrique (novembre 2015). Plus de cinq ans après, quel bilan ? 

Le pape est venu à Bangui comme un messager d’espérance et de paix, il a posé un acte pour l’histoire avec l’ouverture de la Porte sainte de la miséricorde à Bangui, en dehors de Rome. Il a osé le faire dans un pays confronté à la guerre, à la violence, à la destruction, à la division, à la haine, la vengeance. Le pape a ouvert une perspective d’espoir, il a ouvert la porte de la tendresse, la porte du pardon, la porte de la réconciliation, du respect, de l’estime de l’autre. Avant la venue du pape, même la veille, les musulmans ne pouvaient pas sortir de leur petite enclave qu’on appelle « kilomètre 5 ». Le pape est rentré dans ce quartier, et désormais les musulmans peuvent aller dans tous les quartiers. De même, quand un musulman était tué, la vengeance demandait de tuer 10, 15, 30, 40 non-musulmans, mais après la venue du pape, les musulmans m’ont dit : « L’homme de Dieu est passé, il nous a invités à la réconciliation, à la paix, nous n’allons rien faire ».
Avec les chrétiens, nous avons fait une « marche de la paix » dans le quartier musulman après le passage du pape. Beaucoup de gens m’ont suivi, en franchissant la ligne militarisée entre les deux communautés, et il y a eu un miracle : nous sommes partis avec la foi, les autres regardaient avec les armes, certains commençaient à avoir peur, on avançait… et une chèvre est venue marcher avec nous. « Cette chèvre marche pour la paix », ai-je dit. Aujourd’hui encore, tout le monde se souvient de la chèvre de la paix.

*Je suis venu vous apporter la paix, cardinal Dieudonné Nzapalainga, avec Laurence Desjoyaux, éditions Médiaspaul, 152 pages,

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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