« En pèlerinage à Nazareth auprès de la Sainte Famille », c’est le titre de cette méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de la messe de ce dimanche 27 décembre 2020, dimanche « de la Sainte Famille », 4e jour dans l’octave de Noël.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), propose comme lecture patristique une homélie de S. Jean Chrysostome pour Noël.
AB
En pèlerinage à Nazareth auprès de la Sainte Famille
1) la Sainte Famille, la vraie famille
La liturgie nous propose de célébrer la Sainte Famille comme modèle pour toutes les familles humaines, pas seulement les chrétiennes[1]. En ce moment de grande crise d’identité des familles, surtout en occident, avec des séparations, des divorces et des cohabitations de tout genre, proposer cette famille singulière de Nazareth à l’attention de nos familles signifie » redécouvrir la vocation et la mission de la famille, de chaque famille. Et, comme c’est arrivé pendant ces trente ans à Nazareth, cela peut nous arriver aussi : faire que l’amour devienne normal et non la haine, faire que l’amour fraternel devienne habituel, non pas l’indifférence ou l’hostilité » (Pape François, Audience générale du 17 décembre 2014).
La Sainte Famille de Nazareth montre ce qui est le début et le centre de chaque vraie famille : Jésus Christ. La famille du Christ était sainte parce qu’elle était la Sienne, parce qu’elle L’accueillit et Le donna au monde. Nos familles sont appelées à faire de même. Si l’on est enraciné en Lui qui a vécu en elle, on peut comprendre et vivre les grands biens que sont le mariage, la famille, le don de la vie. On comprendra aussi le grand danger que représente pour l’homme et pour sa dignité leur dégradation dans les institutions civiles.
Je crois qu’il peut être utile de commencer par l’épisode raconté par Saint Marc, au chapitre 3, là où on dit à Jésus : » voici, ta mère, tes frères et tes sœurs sont là, dehors, qui te cherchent « , ce à quoi Jésus répond : » qui est ma mère et qui sont mes frères ? »
Tournant les yeux vers ceux qui étaient assis autour de lui, il dit : » voilà ma mère et mes frères ! Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère »(Mc 3,31-35). C’est comme si Jésus Christ disait : » ma famille est toute là. Je n’ai pas d’autre famille. Les liens du sang ne comptent pas s’ils ne sont pas confirmés dans l’esprit. Mes frères sont les pauvres qui pleurent, mes sœurs sont les femmes qui ont dit oui à l’Amour qui a purifié et élevé l’amour ».
Jésus ne méprisait pas sa mère, Saint-Joseph, son père légal, et sa parenté. Il ne reniait pas la mère qui L’a conçu et dont Il était le fruit : il voulait dire qu’il n’appartenait pas seulement à la « petite » Sainte famille de Nazareth, mais à Sa mission de Sauveur de la « grande » famille humaine. Dieu vient reconstruire le vrai sens de la famille humaine, la vocation de chaque homme qui est celle de fils et de frère. Dieu réunit sa famille pour enseigner à être vraiment membres d’une famille, parce qu’il veut nous libérer de la tentation de la solitude. Dieu sait qu’il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Dieu lui-même ne veut pas être seul. C’est la raison pour laquelle il engendre une famille » pour tout le monde » comme chante Siméon.
2) Pèlerins à Nazareth
Comme le Pape François l’a récemment proposé à chaque famille, à chaque maman, à chaque papa, à chaque enfant, faisons un pèlerinage spirituel à Nazareth pour remplir notre propre esprit des sublimes vertus de Marie, l’humble servante du Seigneur, de Joseph, l’homme juste, le menuisier, le Gardien de la Sainte Famille et de Jésus, le Fils de Dieu qui leur était soumis et grandissait en âge, en sagesse et en grâce.
La liturgie d’aujourd’hui nous présente une méditation centrée sur le Christ, qui intéresse particulièrement les familles chrétiennes : il nous présente le mystère de la vie de l’enfant Jésus avec ses parents.
Le passage de l’évangile d’aujourd’hui nous présente un cadre familial qui nous fait particulièrement bien comprendre le mystère du Sauveur. Nous sommes au moment de la présentation du Seigneur au temple ; et celui qui attend ce grand événement, c’est Siméon, qui occupe aujourd’hui la scène principale de l’évangile de la Sainte Famille. Le vieux Siméon reconnaît en Jésus le vrai Sauveur, Celui que l’on attend, et il est heureux que le Seigneur lui ait permis de vivre ce jour. C’est l’homme de la gratitude, mais aussi de la prophétie, du courage et de l’absence de toute peur surtout celle de la mort dont il entrevoit dans l’Enfant Jésus le futur vainqueur. Ce Saint Homme de Dieu qui avait attendu pendant des années la venue du messie, peut quitter la terre heureuse, pour rencontrer pour toujours le Seigneur dans l’éternité.
Dans nos familles, il faut éduquer au sens de l’éternel et de la communion. Les enfants grandissent en observant comment vivent les adultes. C’est pourquoi éduquer les enfants signifie les faire participer à la réalité de la communion de leur père et de leur mère qui leur ont donné la vie. Eduquer les enfants signifie les introduire dans la vie en leur apprenant la gratitude.
3) Un protagoniste oublié
La Sainte Famille n’était pas une famille sans problèmes. Marie et Joseph ont partagé la condition de ce fils déconcertant, le suivant pas à pas dans la révélation de son mystère. C’est pour toute leur disponibilité qu’ils méritent notre admiration. Il n’est pas simple de devoir veiller sur le Fils de Dieu, de fuir en Egypte, de rentrer dans sa patrie et de vivre à Nazareth, un village de banlieue pour les Juifs, de voir grandir Jésus en sagesse et en grâce alors qu’il menait une vie ordinaire et sans manifestations exceptionnelles jusqu’ à l’âge 30 ans.
Nous voudrions en savoir davantage sur la vie de cette famille extraordinaire ; dans le fond, saint Luc en dit assez pour nous permettre d’en tracer la physionomie. Même si elle est extraordinaire sous bien des aspects, c’est une famille comme toutes les autres, avec ses joies, ses peines, ses secrets : elle mène une vie de foi, elle éprouve la joie de voir naître et grandir un enfant sain et fort, elle est touchée par des prophéties qui annoncent un avenir difficile. Dans toutes les familles, les années ne s’écoulent pas toujours tranquillement ; tôt ou tard surgissent les problèmes, les souffrances, les préoccupations, d’autant plus douloureuses qu’elles viennent d’un manque d’amour. La Famille de Nazareth a affronté les joies et les difficultés de la vie sous la conduite et la protection de Saint Joseph.
Il est important de comprendre la grandeur de cet homme unique qu’était l’époux de Marie et que l’on a souvent réduit au rôle de pourvoyeur de biens matériels, comme si, dans la Sainte Famille, il n’avait eu comme fonction « extérieure » que celle de l’homme à qui on confie les tâches sans importance et qui n’exigent pas les plus grandes vertus. En effet, si l’on se met dans la situation où se trouvait Marie lorsqu’ elle portait en son sein la vie naissante du Fils de Dieu, si on la considère d’un point de vue légal, cette situation est choquante pour Joseph, parce que, d’un point de vue humain et légal, sa fiancée aurait dû être punie comme adultère et donc lapidée.
Comment Joseph a-t-il pu admettre que Marie fût innocente ? Or lui n’a eu aucun doute. Son amour pour la Vierge n’a pas été blessé. Il a voulu protéger sa réputation, aussi pour ne lui faire courir aucun risque vital. Joseph croit fermement à l’Ange et prend avec lui Marie, pour qu’elle ne coure plus aucun risque. Elle et son enfant ont besoin de lui, Joseph, qui, par amour sponsal accepte de rester vierge lui aussi pour que Celui qui est en Marie par l’opération de l’Esprit Saint, naisse, grandisse et sauve le monde. L’annonce de l’Ange : » N’aie pas peur de prendre Marie comme épouse » est le sceau de Dieu pour ce mariage unique, au cœur de l’amour humain le plus profond, le plus authentique, le plus divin. Et bien, un homme capable d’une telle grandeur appartient à la race des géants, des saints. Joseph accepte de vivre virginalement son amour pour ne pas infliger la moindre blessure à sa bien-aimée. Le mariage de Marie et Joseph a permis au Christ d’entrer dans le monde honorablement, il a permis au Christ de vivre la vie cachée de Nazareth bien protégé, en grandissant en grâce et sagesse. A Nazareth, Joseph, Marie et Jésus ont vécu héroïquement leur vie quotidienne afin que l’héroïque se fasse quotidien et que nous puissions, nous aussi, les imiter dans notre quotidien.
Joseph s’est engagé tout entier dans son œuvre de rédemption du Fils de Marie : il a donné à Dieu toute la tendresse et tout son cœur, en sacrifiant son amour.
Que l’on soit parents par le mariage ou que l’on soit père et mère spirituellement, l’exemple de la Sainte Famille nous demande d’être prêts au sacrifice qui rendra la vie vraie.
Je prie Saint-Joseph, qui est le gardien et le protecteur des vierges, comme le fut Marie, qu’il obtienne pour les vierges consacrées dans le monde de savoir faire fructifier les richesses de leur cœur pour qu’elles persévèrent dans la vie de la sainteté par le don total de soi au Seigneur qui nous aime d’un amour infini, patient et tendre.
Homélie
Quelle richesse, dans cette pauvreté!
Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407)
Homélie pour Noël, PG 56, 392
Le Sauveur est entré en Egypte pour supprimer le deuil de l’antique tristesse. Au lieu des plaies il apporta la joie ; au lieu des ténèbres et de la nuit, il donna la lumière du salut. Autrefois l’eau du fleuve avait été polluée par le massacre prématuré des petits enfants. Il entra donc en Egypte, celui qui jadis avait rougi cette eau, et il rendit les eaux des fleuves capables d’engendrer le salut, en purifiant par la puissance de l’Esprit ce qui était maudit et souillé en elles. Les Égyptiens avaient été châtiés et, dans leur folie, ils avaient renié le Seigneur. Le Seigneur entra en Egypte, il remplit les âmes religieuses de la connaissance de Dieu, et il donna au fleuve de produire encore plus de martyrs que d’épis de blé.
Que puis-je dire de ce mystère ? Je vois un ouvrier, une mangeoire, un enfant, des langes, l’enfantement d’une vierge privée de tout le nécessaire, toutes les marques de l’indigence, tout le fardeau de la pauvreté. N’avez-vous jamais vu la richesse dans une telle pénurie ? Comment celui qui était riche s’est-il fait pauvre pour nous au point que, privé de berceau et de couvertures, il est étendu dans une dure mangeoire ?
O richesse immense, sous les apparences de la pauvreté ! Il gît dans une mangeoire et il ébranle l’univers ! Serré dans ses langes, il brise les chaînes du péché. Alors qu’il ne peut pas prononcer un mot, il a instruit les mages et les a fait changer d’itinéraire ! Encore une fois, le mystère décourage la parole ! Voici le bébé enveloppé de langes, couché dans une mangeoire ; il y a là aussi Marie, à la fois vierge et mère, il y a encore Joseph qu’on appelle son père. Celui-ci a épousé Marie, mais le Saint-Esprit a couvert Marie de son ombre. C’est pourquoi Joseph était angoissé, ne sachant comment appeler l’enfant.
Dans cette anxiété, un oracle lui fut apporté par un ange : Ne crains pas, Joseph, l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint (Mt 1,20). Car c’est lui qui l’a couverte de son ombre. Pourquoi le Sauveur est-il né d’une vierge et a-t-il sauvegardé sa virginité ? Parce que jadis Eve, étant vierge, fut trompée par le démon, Gabriel apporta la bonne nouvelle à Marie qui était vierge. Mais tandis qu’Eve, s’étant laissé séduire, enfanta une cause de mort, Marie ayant reçu la bonne nouvelle, enfanta le Verbe incarné qui nous a apporté la vie éternelle.
[1] Du pape François : « J’ai décidé de réfléchir avec vous cette année particulièrement sur la famille, sur ce grand don que le Seigneur a fait au monde depuis le commencement, quand il donna à Adam et Eve la mission de se multiplier et de remplir la terre (cf Ge 1,28). Ce don que Jésus a confirmé et gravé dans son évangile.
La proximité de Noël éclaire ce mystère d’une grande lumière. L’incarnation du Fils de Dieu ouvre un nouveau chapitre de l’histoire universelle de l’homme et de la femme et ce nouveau chapitre s’inscrit au sein d’une famille, à Nazareth. Jésus est né dans une famille. Il aurait pu venir de façon spectaculaire, ou sous les traits d’un guerrier, d’un empereur… Non, non : il est venu comme le fils d’une famille, dans une famille. C’est important de regarder dans la crèche cette scène si belle » (17 décembre 2014)