Mgr Ivan Jurkovic @YouTube/OPTIC

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Santé : la propriété intellectuelle, « au service du bien commun » (traduction complète)

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Mgr Jurkovič évoque «certaines préoccupations éthiques»

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Face à la « tragédie commune à laquelle la famille humaine est confrontée cette année » à cause de la pandémie de Covid19, Mgr Ivan Jurkovič souligne que « la propriété intellectuelle doit être subordonnée aux exigences du bien commun ». « Personne ne doit être laissé pour compte » dans la lutte actuelle pour sortir de la crise, insiste-t-il.

Mgr Ivan Jurkovič, représentant permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, est intervenu au 32e Comité permanent des brevets de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, sur le point 7 : « Brevets et santé », à Genève, le 7 décembre 2020.

« De nombreux pays sont confrontés à des pénuries de produits médicaux et d’accès aux diagnostics, aux tests et aux traitements », rappelle le représentant du Saint-Siège. D’où l’importance, explique-t-il, de partager la recherche, les connaissances, les équipements et les fournitures médicales et d’inciter « à l’innovation », « tout en assurant l’approvisionnement et l’accès, y compris aux technologies de santé existantes ».

Il rappelle toutefois que subsistent « certaines préoccupations éthiques – notamment en ce qui concerne le matériel génétique – quant à l’accessibilité de cette recherche et aux obstacles potentiels que cela peut créer pour la “liberté d’exploitation“ »

Voici notre traduction du discours de Mgr Ivan Jurkovič, prononcé en anglais.

HG

Discours de Mgr Ivan Jurkovič

Monsieur le Président,

D’emblée, ma délégation tient à vous adresser ses compliments pour votre élection à cette importante commission. Nous espérons que ses travaux progresseront sous votre direction. Nos félicitations vont également au(x) vice-président(s) et au secrétariat pour leurs efforts de préparation de cette session, en ces temps difficiles et, en particulier, pour la préparation du document SCP/31/5.

Le Saint-Siège soutient les travaux du Comité permanent du droit des brevets (SCP) et attache une grande importance à son mandat. Une crise unique et historique, telle que la pandémie de COVID-19, souligne l’importance de la question des incitations à l’innovation, en l’occurrence le besoin urgent de développer de nouveaux produits médicaux, tout en assurant l’approvisionnement et l’accès, y compris aux technologies de santé existantes. L’accès pour tous à des médicaments, outils, vaccins, diagnostics et traitements abordables pour la COVID-19 est primordial pour sortir de la crise : personne ne doit être laissé pour compte. Depuis le début de la pandémie, des appels ont été lancés en faveur d’efforts coordonnés pour la production de produits médicaux, pour le partage des technologies et pour garantir l’accès à des traitements abordables pour tous, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables[1].  De nombreux pays sont confrontés à des pénuries de produits médicaux et d’accès aux diagnostics, aux tests et aux traitements.  L’Assemblée générale des Nations unies a souligné à plusieurs reprises la nécessité d’intensifier la coopération internationale et les efforts multilatéraux pour contenir, atténuer et vaincre la pandémie, tout en respectant pleinement les droits de l’homme fondamentaux[2].  Cette coopération comprend l’échange d’informations, de connaissances scientifiques et de meilleures pratiques, ainsi que l’expansion des capacités de fabrication pour répondre aux besoins croissants en fournitures médicales et pour faire en sorte que celles-ci soient largement disponibles, à un prix abordable, sur une base équitable, là où elles sont le plus nécessaires et aussi rapidement que possible.

Les États ont également l’obligation, en matière de droits de l’homme, de fournir un soutien financier et technique pour faire respecter le droit d’accès aux services de santé, en particulier face à la propagation mondiale de la maladie[3].  Cela peut inclure le partage de la recherche, des connaissances, des équipements et des fournitures médicales[4].

Monsieur le Président,

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, l’OMPI a montré sa volonté et sa capacité à relever les défis en matière d’innovation en fournissant une base de données, PATENTSCOPE. Cette plateforme fournit des informations concernant plus de 80 millions de divulgations de technologies et un système de recherche et d’extraction COVID-19 spécialement conçu pour améliorer l’accès aux informations technologiques divulguées dans les brevets publiés concernant les inventions liées à la détection, la prévention et le traitement de la COVID-19. En outre, la création de quelque 900 centres de soutien à la technologie et à l’innovation dans le monde entier, qui donnent accès à des données et publications scientifiques et de brevets, ainsi qu’à des installations auxiliaires pour les chercheurs des pays les moins avancés, en développement et en transition, représente certaines des actions immédiates mises en place par cette Organisation.

Il convient de noter que la croissance soudaine de l’activité de brevetage a été interprétée comme le signe d’une réponse pratique intensive, large et diversifiée à une crise sanitaire potentielle. Toutefois, comme cela a déjà été souligné dans le document de 2007

« Questions relatives aux brevets concernant les virus grippaux et leurs gènes », commandé par l’OMS et préparé par le Programme des sciences de la vie de l’OMPI sur les questions de brevets liées aux virus grippaux, si l’augmentation des activités de recherche est bienvenue, il subsiste certaines préoccupations éthiques – notamment en ce qui concerne le matériel génétique – quant à l’accessibilité de cette recherche et aux obstacles potentiels que cela peut créer pour la « liberté d’exploitation »[5].

La cohérence des politiques pour atteindre le double objectif de l’accès aux médicaments et de l’innovation médicale est plus vitale que jamais. Comme nous l’avons constaté au cours des sessions de cette commission, la contribution à la société de l’invention à breveter ne consiste pas seulement en l’invention en tant que telle, mais aussi en la fourniture d’informations techniques liées à cette invention. Le système mondial des brevets doit être amélioré en permanence, en s’efforçant notamment d’accroître la transparence et l’efficacité. Comme l’indique clairement l’étude trilatérale de 2013, la Déclaration de Doha a servi de catalyseur pour développer la cohérence au niveau international, tant au niveau juridique que politique, en plaçant un accord commercial multilatéral dans un contexte de santé publique, traitant directement de l’interaction entre les politiques de santé publique et la propriété intellectuelle[6].

Monsieur le Président,

Comme le montrent la pandémie actuelle et la tendance croissante et regrettable de certains États à accumuler les vaccins nouvellement développés, l’accès à des médicaments et vaccins abordables ne représente plus un défi uniquement pour les pays les moins avancés et les autres pays en développement ; il est également devenu une question de plus en plus urgente pour les pays développés. Le Saint-Siège tient à rappeler une fois de plus que « les droits de brevet devraient être exercés de manière cohérente avec pour objectifs l’avantage mutuel des titulaires de brevets et des utilisateurs de médicaments brevetés, d’une manière propice au bien-être social et économique, […] à un équilibre de droits et d’obligations »[7], et au service de la promotion du développement humain intégral.

En reconnaissant l’accélération de la recherche de solutions aux problèmes du monde, que la protection des droits de propriété intellectuelle peut favoriser, la délégation du Saint-Siège tient à souligner que la propriété intellectuelle doit être subordonnée aux exigences du bien commun.  Cela implique la nécessité de mécanismes de contrôle adéquats pour surveiller la logique du marché. La tragédie commune à laquelle la famille humaine est confrontée cette année devrait réveiller le sentiment de notre interconnexion en tant que communauté mondiale. « [Nous sommes] tous dans le même bateau, où les problèmes d’une personne sont les problèmes de tous. Une fois de plus, nous avons réalisé que personne n’est sauvé seul ; nous ne pouvons être sauvés qu’ensemble »[8].

Merci, Monsieur le Président.

*****

NOTES

[1] Cf. pape François, Message vidéo de Sa Sainteté à la soixante-quinzième réunion de l’Assemblée générale des Nations unies, 25 septembre 2020.

[2] Résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies : sur la solidarité mondiale pour lutter contre la maladie du coronavirus 2019 (COVID19), UN Doc A/RES/74/270, 3 avril 2020, https://undocs.org/en/A/RES/74/270, sur la coopération internationale pour assurer un accès mondial aux médicaments, vaccins et équipements médicaux pour faire face à la COVID-19, UN Doc A/RES/74/274, 21 avril 2020, https://undocs.org/en/A/RES/74/274, et sur une réponse des Nations unies aux menaces sanitaires mondiales : combattre la COVID-19, UN Doc A/RES/74/307, 15 septembre 2020, https://undocs.org/en/A/RES/74/307.

[3] OMS, Règlement sanitaire international (2005), troisième édition, https://www.who.int/publications/i/ item/9789241580496.

[4] Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies (Comité DESC) sur la pandémie de coronavirus (COVID-19) et les droits économiques, sociaux et culturels, paragraphe 19. Le devoir d’assistance et de coopération internationales est également souligné dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 2.1 et 11.1).

[5] Cf. Document SCP/31/5 https://www.wipo.int/edocs/mdocs/scp/en/scp_31/scp_31_5.pdf

[6] OMPI-OMS-OMC, Promouvoir l’accès aux technologies médicales et à l’innovation : Intersections entre santé publique, propriété intellectuelle et commerce, Genève, 2013.

[7] Accord sur les ADPIC, article 7.

[8] Pape François, lettre encyclique Fratelli tutti, n. 32.

 

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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