Card. Cornelius Sim (Brunei) @ wikipedia /réseaux sociaux

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Le nouveau cardinal de Brunei, « un visage de l’Église qu’on ne voit pas souvent »

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Entretien avec Deborah Castellano Lubov

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« Peut-être le Saint-Père a-t-il senti que cela pouvait être le moment opportun pour mettre en lumière des communautés comme la nôtre, pour dire que nous pouvons nous aussi présenter un visage de l’Église qu’on ne voit pas souvent », confie le cardinal Cornelius Sim après avoir été créé cardinal par le pape François le 28 novembre 2020.

Le vicaire apostolique de Brunei se confie à Deborah Castellano Lubov, de Zenit en langue anglaise.

Vous êtes le premier évêque de l’histoire de votre pays, Brunei (depuis l’érection en 1997 de la Préfecture apostolique de Brunei) et vous venez d’être créé premier cardinal de Brunei. Savez-vous s’il existe des cas similaires dans l’histoire de l’Église, à savoir que le premier évêque d’un pays devienne le premier cardinal de ce pays ?

Je ne suis pas très compétent en histoire de l’Église pour dire s’il y a eu des exemples similaires ! Je pensais que cela pouvait être le cas de l’Église au Laos, mais apparemment non. Après tout, Brunei est peut-être un cas unique !

Quand avez-vous rencontré le pape pour la dernière fois ? 

Ma première rencontre personnelle avec le pape François a eu lieu pendant la visite ad limina de notre conférence épiscopale, en février 2018. Il m’a demandé : « D’où êtes-vous ? » et j’ai répondu : « Brunei ». Il m’a surpris en s’exclamant : « Ah, paradiso ! » (Ah, le paradis ! »). Il m’a demandé combien de prêtres j’avais et je lui ai dit : « Deux et demi ! ». C’est lui qui a été surpris avant que je ne lui explique que quelques jours auparavant, l’un de nos trois prêtres avait eu une grave crise cardiaque et qu’il était gravement malade dans une unité de soins intensifs. Dans ce bref échange, j’ai réalisé que notre pape avait le sens de l’humour et une bonne idée de la géographie.

Vous êtes devenu prêtre en 1989, à l’âge de 38 ans. Quel a été votre parcours ?

J’ai terminé mes 11 années d’études primaires et secondaires dans une école catholique au Brunei. Après cela, j’ai fait des études d’ingénieur en Malaisie, avant de travailler pendant 4 ans chez Shell Petroleum. Puis j’ai poursuivi mes études d’ingénieur en Ecosse pendant 4 ans entre 1974 et 1978, travaillant dans des hôtels pendant les vacances. De 1978 à 1985, j’ai travaillé dans une usine de GLN (gaz naturel liquéfié, ndr), à nouveau chez Shell, dans le domaine de la technologie et l’exploitation des services publics, principalement le traitement de l’eau, la vapeur et la production d’électricité.

Au cours de ma seconde période chez Shell, j’ai passé une année à l’étranger aux Pays-Bas et en Angleterre, travaillant sur un projet pour Shell. A mon retour en 1981, mon curé m’a invité à revenir à l’église après une absence de plus de 12 ans.

Que s’est-il passé alors ?

J’ai saisi son invitation parce que j’avais de nombreuses questions sur le sens de la vie, suite à la mort soudaine de mon père. En revenant à l’église, j’ai réalisé que j’avais vraiment besoin d’appartenir à une communauté et d’une opportunité pour grandir dans ma foi personnelle, dans mon cas, à travers le renouveau charismatique.

En 186, j’ai quitté mon travail et je suis allé aux États-Unis faire un Master en théologie, pour donner des fondements plus solides à ma foi. A mon retour, en 1988, à cause du départ de prêtres et de religieux, dont le permis de travail ne pouvait plus être renouvelé, l’évêque m’a proposé de m’ordonner, ce que j’ai d’abord refusé. Toutefois, voyant l’éventualité d’une Église sans prêtre et sans sacrements, j’ai fait une retraite d’une semaine et j’ai décidé qu’accepter la proposition était la bonne chose à faire ! J’ai été ordonné prêtre le 26 novembre 1989.

Le pape François nous a habitués aux surprises dans ses consistoires. Pourtant, personne n’avait probablement imaginé, au moins jusqu’aux récents consistoires du pape François, qu’il allait inclure dans le Collège des cardinaux l’évêque d’un pays si lointain, et où l’Eglise catholique est si minoritaire.

Cela a-t-il été aussi une surprise pour vous ?

Oui, l’annonce est arrivée comme une grande surprise. J’ai pensé que c’était un hoax, lorsque les premiers messages écrits sont arrivés sur notre table à l’heure du dîner le dimanche 25 octobre. J’ai été très étonné qu’il ait choisi notre petit pays avec sa petite communauté catholique pour une nomination si prestigieuse. J’aimerais croire que c’est une reconnaissance de la contribution de la communauté à la vie de l’Église ici, pas tellement les réalisations d’un prêtre ou d’un laïc en particulier.

Le pape François a fait beaucoup d’efforts pour inclure les communautés oubliées, notamment celles des périphéries, qui ne demandent ni ne reçoivent beaucoup de publicité. En ce sens, Brunei est une périphérie sans périphérie. Ce genre d’Églises ne sont pas à la une des journaux parce qu’elles sont généralement tranquilles et vivent leur foi chrétienne sans attirer l’attention. Il y a bien sûr de la place pour les « megachurches » avec leurs beaux monuments architecturaux et leurs grandes organisations. Ce n’est pas notre situation.

Que pensez-vous que le pape François ait voulu dire à travers votre nomination ?

Peut-être le Saint-Père a-t-il senti que cela pouvait être le moment opportun pour mettre en lumière des communautés comme la nôtre, pour dire que nous pouvons nous aussi présenter un visage de l’Église qu’on ne voit pas souvent. Nous sommes le petit troupeau (Lc 12, 32). Peut-être pouvons-nous trouver ici, dans de plus petites communautés de l’Église la vision du pape Benoît XVI pour l’Église du futur ? Dans une émission de radio en 1969, on avait dit : « De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui a beaucoup perdu. Elle sera petite et devra repartir plus ou moins des débuts. Elle ne sera plus en mesure d’habiter beaucoup des édifices qu’elle a construits dans la prospérité ».

A Brunei, la religion de la majorité de la population est l’islam et il y a également des communautés d’autres religions. Comment décririez-vous la coexistence des religions et la situation de la liberté religieuse à Brunei ?

La loi de Brunei, Art 3. (1) affirme : « La religion de Brunei Darussalam sera la religion musulmane selon la secte shaféite de cette religion : à condition que toute autre religion puisse être pratiquée dans la paix et l’harmonie par la personne qui la professe partout dans Brunei Darussalam ».

Dans la pratique, des personnes de différentes cultures, croyances et ethnies sont engagées dans ce que j’appellerais un « dialogue de la vie ». Le dialogue interreligieux porte moins sur des débats théologiques que sur le respect mutuel des croyances de chacun et sur la recherche du bien commun à travers une interaction harmonieuse. Il s’agit d’un environnement sûr et sécurisé pour élever une famille et vivre une vie paisible avec un espoir raisonnable de prospérité et d’avancement personnel. A juste titre le nom officiel de notre pays est « Brunei Darussalam », qui signifie « Demeure de paix ».

Depuis leur arrivée à Brunei, les catholiques vivent depuis presqu’un siècle au sein d’une société largement musulmane, au même titre que d’autres religions comme le bouddhisme. L’introduction de la charia en 2014 a codifié un grand nombre des règles et usages musulmans avec lesquels notre société a coexisté pendant tout ce temps. En interagissant dans des espaces de vie commun à l’école, au travail et dans les jeux, les membres de ces religions ont vécu ensemble paisiblement. Travailler pour le bien commun et le développement de tous les citoyens et résidents nous donne l’orientation dont nous avons besoin.

Parlez-nous un peu de l’Église dans votre pays. Qui sont les catholiques de Brunei et combien sont-ils ? Sont-ils originaires de Brunei ou viennent-ils d’autres pays ?

L’Église catholique a vraiment commencé à s’enraciner dans ce pays au cours du second quart du vingtième siècle, avec l’arrivée de Missionnaires itinérants Mill Hill (Missionnaires de la Société de Saint Joseph). Avant cela, un prêtre italien du PIME avait fondé une petite communauté dans les années 1960 mais cela n’avait duré que 3 ans. Les écoles furent le premier apostolat établi et elles continuent d’être un signe visible de notre engagement à contribuer au bien-être et au développement de ce pays.

Le temps des prêtres et des religieux étrangers s’est arrêté début 1991 lorsque les expatriés ne purent plus prolonger leur permis de travail parce qu’ils avaient dépassé l’âge limite. Un prêtre local a tenu pendant plusieurs années pour s’occuper des 3 paroisses et 4 écoles. Depuis 1998, il y a eu 3 ordinations de prêtres, grâce à Dieu. Actuellement, il y a une candidate à la vie religieuse et un séminariste qui va commencer ses études de théologie.

Selon une estimation prudente, il y a 16 000 catholiques, dont 80 % viennent de l’étranger.

Qui forme cette communauté catholique ?

La majorité de ces expatriés viennent des Philippines, d’autres de Malaisie, d’Indonésie, d’Asie du sud et de plus loin. Ils apportent de la couleur et de l’animation à la vie de l’Église par leurs traditions, leurs dévotions, la musique et la danse. Les catholiques locaux sont moins susceptibles de participer activement à la vie de l’Église, peut-être parce qu’ils sont généralement mieux lotis sur le plan économique et social.

L’Église est devenue un foyer pour un grand nombre de migrants, à la fois socialement et spirituellement. Ils se sentent connectés ici. Il y a des possibilités de rejoindre des groupes de prière, de se rassembler pour des dévotions, de suivre la liturgie dans leur langue (cela dépend des lieux). L’Église est ouverte pour la prière toute la journée pour quiconque souhaite s’y arrêter. L’Église apporte un réconfort là où beaucoup d’organismes publics échouent : pendant la maladie et la mort, peut-être aussi certaines formes de service d’urgence ou de rapatriement. L’Église s’efforce d’être une mère dans ces cas-là.

Comment vos compatriotes non-catholiques et non-chrétiens ont-ils réagi en entendant que vous alliez devenir cardinal ?

Je dois dire que la réponse a été très encourageante. Mes amis chrétiens non-catholiques, dans l’ensemble, ont vu cela comme un signe de reconnaissance de la communauté chrétienne de Brunei en général, pas seulement des catholiques, pour notre petite mais précieuse contribution à la paix et au bien-être de notre pays tout entier. Il n’y a pas grand-chose à ce sujet dans la presse, mais je suis heureux d’observer que les retours personnels que j’ai reçus de la part de non-chrétiens ont été également tout à fait positifs.

A cause de la pandémie de Covid, vous n’avez pas pu venir à Rome pour le consistoire et vous y avez participé virtuellement. Comment avez-vous vécu cette situation ? Savez-vous déjà quand vous recevrez la barrette cardinalice ?

La Covid-19 a rendu les voyages quelque peu hasardeux pour la plupart des gens. J’ai suivi le consistoire en ligne mais ce n’est pas comme d’être personnellement sur place. Je comprends que la « barrette rouge » sera apporté par le récemment nommé délégué apostolique à Brunei Darussalam, lorsqu’il pourra se rendre à Brunei, très probablement l’année prochaine.

A bien des égards, je pense que c’est une bonne alternative, après tout, puisque davantage de personnes de la communauté catholique ici seront en mesure de participer en personne à la cérémonie, ce qui n’aurait pas été possible si cela avait été fait à Rome.

A propos de voyages, à une époque de papes voyageurs, Brunei est l’un des rares pays où aucun pape n’est jamais allé. Pensez-vous qu’un voyage papal à Brunei pourrait se faire dans un proche avenir ?

Depuis 1990, le délégué apostolique à Brunei Darussalam a visité Brunei tous les ans. Le diplomate le plus haut placé qui a visité Brunei est l’archevêque Mgr Giovanni Lajolo, à l’époque secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les États, en 2005. Jusqu’ici, il n’y a toujours pas de relations diplomatiques formelles entre Brunei et le Saint-Siège. Je pense que la possibilité d’une visite d’État formelle de Sa Sainteté dépend de l’établissement préalable de relations diplomatiques entre nos deux pays.

Propos recueillis par Deborah Castellano Lubov et traduits par Hélène Ginabat

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Rédaction

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