A l’occasion de la Journée mondiale de la pêche, ce 21 novembre 2020, le Vatican lance un appel pour les dix-huit pêcheurs de Sicile détenus en Lybie depuis le 1er septembre dernier.
Dans son message annuel, le cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, appelle les autorités et les gouvernements nationaux concernés « à résoudre cette pénible situation et à trouver une réponse satisfaisante à travers un dialogue ouvert et sincère ».
Ces marins, huit Italiens, six Tunisiens, deux Indonésiens et deux Sénégalais, partis pêcher la crevette depuis le port sicilien de Mazara del Vallo, ont été capturés par des patrouilleurs les accusant de pêche dans les eaux territoriales libyennes. « Leurs familles continuent d’attendre avec anxiété d’avoir de leurs nouvelles, de pouvoir parler avec leurs êtres chers et sont impatientes d’être à nouveau réunies avec eux », ajoute le préfet.
S’inquiétant aussi pour les pêcheurs qui « vivent avec difficulté » en ces temps de pandémie, il encourage à « une plus grande solidarité avec les personnes les plus marginalisées ». « L’heure n’est plus aux paroles. Il est temps d’agir ! » lance le cardinal Turkson. Il demande à cet effet « un nouvel effort des organisations internationales et des gouvernements ».
Son message a été présenté lors d’une journée organisée en ligne le 20 novembre pour le centième anniversaire de la Fondation Stella Maris et le soixante-quinzième anniversaire de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Message du cardinal Turkson
La Journée mondiale de la Pêche est célébrée chaque année pour mettre en relief l’importance de ce secteur du travail maritime, qui procure une source d’emploi à environ 59,5 millions de personnes. Étonnamment, un travailleur sur deux est une femme. L’Asie possède le nombre le plus élevé de travailleurs dans ce secteur, environ 85% de l’ensemble de la force mondiale de travail, et dispose de 3,1 millions de bateaux, représentant 68 % de la flotte de pêche mondiale.
Cette année, cette célébration survient en un moment exceptionnel, alors que les effets de la pandémie de covid-19 se sont propagés à travers le monde entier, avec des conséquences dramatiques pour les économies de nombreux pays et un impact sévère sur les secteurs les plus vulnérables comme celui de la pêche.
L’industrie de la pêche et le covid-19
L’impact du covid-19 sur l’industrie de la pêche concerne essentiellement le domaine des réponses stratégiques des gouvernants à la pandémie, comme la distanciation sociale, la fermeture des marchés de la pêche, des hôtels et des restaurants. Cela a créé de gros problèmes pour la vente du poisson frais et des produits qui y sont liés, notamment en raison de l’effondrement de la demande et de la diminution des prix offerts pour les cargaisons de pêche, de sorte que, dans la situation actuelle, la pêche, le travail du poisson, la consommation et le commerce n’ont cessé de diminuer.
Les défis de l’industrie de la pêche
En plus des effets de la pandémie sur le secteur de la pêche, il existe de nombreux problèmes chroniques qui tourmentent l’industrie et face auxquels les défis causés par le covid-19 font maigre figure. Ces problèmes chroniques, qui constituent le « crime de la pêche », sont les problèmes de la surpêche et de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) qui continuent à travers le monde sous toutes sortes de pavillons et qui sont perpétrés par des groupes qui disposent de flottes puissantes et de meilleures ressources. Ils violent les lois et les règlements internationaux et nationaux. Cela pénalise les pêcheurs réguliers et les communautés de pêcheurs à cause d’une compétition déloyale et cela provoque l’épuisement des stocks de poissons à un rythme tel que les espèces ne parviennent pas à se reproduire. Il s’agit d’une pratique non durable qui entraîne une diminution des populations de poissons et une réduction de la production à venir. Les dommages provoqués par l’INN et la surpêche ne touchent pas seulement les populations côtières, mais bien au-delà car des milliards de gens ont besoin du poisson pour leur approvisionnement en protéines. Or, la pêche est la principale source de subsistance pour des millions de personnes dans le monde.
Les conditions des pêcheurs et le covid-19
Les conditions de travail et la sécurité des pêcheurs en mer ont été affectées par la fermeture des ports de pêche due à la pandémie et par l’impossibilité de consentir aux changements d’équipage. De plus, le manque d’équipements de protection individuelle n’a fait qu’accroître les risques de transmission du virus, car les pêcheurs travaillent dans des espaces fermés et étroits. Comme conséquence directe, plusieurs membres d’équipage ont été contaminés dans un bon nombre de bateaux de pêche et, vu l’impossibilité de recevoir une assistance médicale immédiate, ils ont péri et ont été promptement ensevelis dans la mer par leurs compagnons inquiets, souvent sans que les familles ne connaissent le sort de leurs êtres chers.
D’autres pêcheurs migrants sont privés de la possibilité de travailler. Sans aucun revenu pour soutenir leurs familles et pour rembourser leurs dettes, ils courent le risque de devenir des victimes du trafic d’êtres humains ou du travail forcé. De plus, ils peuvent aussi être bloqués dans des pays étrangers et être conduits dans des camps surpeuplés de réfugiés/migrants, dans des conditions hygiéniques insalubres.
Par ailleurs, la plupart des pêcheurs de par le monde étaient, pour différentes raisons, exclus de la “ protection sociale ” de base fournie par les gouvernements nationaux et ils ont été forcés, pour survivre, de compter sur la générosité d’organisations charitables ou sur l’assistance de la communauté locale.
Les problèmes du travail forcé et de la traite des personnes ont toujours tourmenté le secteur de la pêche et demeurent particulièrement graves. Dans certains pays, ces problèmes sont aggravés par les conditions de pauvreté extrême provoquées par la pandémie de covid-19 et qui provoquent des flux de personnes désespérées provenant de zones rurales où elles ont perdu leur travail. Ces gens déplacés sont susceptibles d’être trompés et contraints par les courtiers et par des agences de recrutement de travailler à bord des bateaux sous la menace de la force ou à cause de liens contractés par leurs dettes.
La parole de l’Église
En ces temps de pandémie, je voudrais lancer un appel à une plus grande solidarité avec les personnes les plus marginalisées, comme cela est très bien expliqué dans l’Encyclique Fratelli Tutti du Pape François : «La solidarité se manifeste concrètement dans le service qui peut prendre des formes très différentes de s’occuper des autres. Servir, c’est “ en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple ” » (n° 115).
La voie menant à une pleine protection des droits humains et du travail de toutes les catégories de pêcheurs est encore longue et sinueuse. Une fois encore, nous élevons notre voix pour appeler à un nouvel effort des organisations internationales et des gouvernements, pour qu’ils renforcent leur engagement en adoptant des législations qui améliorent la vie et les conditions de travail des pêcheurs et de leurs familles et qui renforcent la lutte contre le travail forcé et la traite des personnes.
L’heure n’est plus aux paroles. Il est temps d’agir ! «Quand la dignité de l’homme est respectée et que ses droits sont reconnus et garantis, fleurissent aussi la créativité et l’esprit d’initiative, et la personnalité humaine peut déployer ses multiples initiatives en faveur du bien commun» (Pape François, Discours aux Autorités civiles, Tirana, Albanie – 21 septembre 2014).
Enfin, en cette Journée Mondiale de la Pêche, mes pensées vont vers les pêcheurs du monde entier qui font face à de grandes épreuves et vivent avec difficulté. En particulier, je voudrais mentionner les dix-huit pêcheurs de différentes nationalités provenant de Mazara del Vallo, en Sicile, qui sont retenus en Lybie depuis le 2 septembre, sans pouvoir communiquer.
Leurs familles continuent d’attendre avec anxiété d’avoir de leurs nouvelles, de pouvoir parler avec leurs êtres chers et sont impatientes d’être à nouveau réunies avec eux.
Pour cette simple raison humanitaire, j’appelle les autorités et les gouvernements nationaux concernés à résoudre cette pénible situation et à trouver une réponse satisfaisante à travers un dialogue ouvert et sincère.
Cardinal Peter K.A. Turkson
Préfet
© Librairie éditrice du Vatican